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publier, disant que son traité, une fois traduit en langue vulgaire, serait immédiatement condamné par l'autorité ecclésiastique, et qu'il en résulterait des tracasseries qui pourraient le distraire de ses études. Ce n'est pas là le dévouement de Socrate, embrasé d'un noble esprit de prosélytisme, bravant la perspective du martyre, appelant sur lui la condamnation, en déclarant que la mort seule pourra le réduire au silence.

Comme chez Spinoza, le plus célèbre des philosophes cartésiens, nous trouverons chez Descartes la curiosité scientifique devenue le mobile presque unique de toute une vie. Il sacrifie aussi à la recherche du repos et de la tranquillité le désir de propager ses opinions; et cette humilité affectée fait un contraste frappant dans un caractère altier comme celui de Descartes, dans un esprit absolu et dépourvu de souplesse. Nous ne voulons certainement pas le blâmer de n'avoir pas attaqué le catholicisme, auquel il paraît avoir eu une foi sincère; mais Bossuet a reconnu lui-même qu'il avait exagéré la prudence sous ce rapport. Ainsi, nous ne pouvons pas comprendre la suppression de son traité de la lumière après la condamnation de Galilée, et l'obscurité dans laquelle il s'enveloppe dans ses autres ouvrages, toutes les fois qu'il parle du système du monde. Nous trouvons dans sa correspondance une lettre dans laquelle il explique lui-même que cette sentence n'engage nullement la foi d'un catholique, puisqu'elle a été rendue par un conseil d'inquisiteurs, et non par un concile. Ce qui est bien plus étrange encore, ce sont les ménagements que Descartes garda en Hollande à l'égard de ses persécuteurs protestants, malgré le mépris qu'il éprouva toujours pour le protestantisme. Nous avons un exemple remarquable de cette tactique méticuleuse dans la lettre qu'il écrivit à son disciple Leroy, à l'occasion de ses discussions avec Voëtius.

Nous abordons maintenant l'examen des ouvrages de Descartes; nous parlerons d'abord de son système physique et mathématique. Le système physique de Descartes porte l'empreinte de son génie novateur et aventureux; il est fondé tout entier sur la célèbre hypothèse des tourbillons, hypothèse fausse, comme on sait, et qui a longtemps arrêté les progrès de la science. Descartes croyait que le soleil et les étoiles fixes étaient les centres de tourbillons de matière subtile, qui faisaient circuler autour de ces centres d'autres corps plus petits. Ce système a été adopté pendant longtemps en Europe; il a été renversé par les découvertes de Newton. On a souvent attribué la supériorité du système de Newton à sa méthode expérimentale, qui était celle qu'avait adoptée Bacon; tandis que Descartes,

DESCARTES.

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au contraire, procède, même en physique, synthétiquement et à priori. Nous ne nierons pas que cette remarque ne soit fondée; cependant il faut ajouter qu'à l'époque où vivait Descartes, la science n'était pas assez avancée pour qu'il fût possible de découvrir le vrai système du monde. Ce sont les découvertes sur les lois des forces centrales, faites par un disciple de Descartes, Huyghens, qui ont frayé la route à Newton, et ont rendu possible la découverte de la loi d'attraction.

Descartes, malgré la fausse base sur laquelle il appuyait son système physique, a fait de grandes découvertes dans cette science. C'est lui qui a découvert la véritable loi de la réfraction, qui se trouve exposée dans son traité de Dioptrique. Son traité des Météores renferme la théorie de l'arc-en-ciel, qui avait été entrevue avant lui, mais qui n'avait jamais été exposée et démontrée d'une manière scientifique.

Il est des points sur lesquels la science moderne a donné raison à Newton contre Descartes; mais elle a entièrement confirmé la théorie cartésienne sur la grande question du plein et du vide. On sait que dans tous les temps les spiritualistes ont soutenu le plein, et les empiristes le vide. Newton croyait que le vide existait dans le monde; Descartes et Leibniz l'ont nié. Au dix-huitième siècle on a cru voir une démonstration sans réplique de la théorie de Newton dans l'expérience de la pompe pneumatique. Cependant Leibniz avait déjà donné l'explication de ce fait, en disant que, de l'aveu de tous les physiciens, il existe dans l'atmosphère des fluides impondérables, tels que la lumière et l'électricité; et que rien n'empêche de supposer que les parties pondérables de l'air qui sont enlevées du baromètre ou de la pompe pneumatique ne soient remplacées par des fluides semblables à l'électricité ou à la lumière. Mais une découverte récente a mis en évidence la vérité de la théorie cartésienne. En observant attentivement la comète d'Euler, on a reconnu que, depuis l'époque où cette comète fut aperçue pour la première fois, la carrière qu'elle parcourt s'est rétrécie, son orbite a diminué ; et l'on ne peut douter que cette diminution de force, cet amoindrissement progressif, ne soient causés par l'action du fluide destructeur dans lequel se meuvent les astres. M. John Herschell, en rendant compte de cette découverte, dit qu'elle prouve avec évidence que Newton s'était trompé en admettant la théorie du vide; que cependant ses calculs astronomiques conservent leur exactitude. à cause de l'extrême rareté du fluide dans lequel se meuvent les

astres.

Les découvertes mathématiques de Descartes sont beaucoup plus importantes. Il a introduit dans les notions algébriques des simplifications qui ont créé une ère nouvelle dans l'histoire de cette science. Il est le premier qui se soit servi d'exposant dans les notations; on n'avait pas eu avant lui cette idée très-simple de mettre un chiffre au-dessus de la quantité, et de désigner ses diverses puissances par les différentes valeurs de ce chiffre. Outre que cette notation est beaucoup plus simple et plus abrégée que celle qu'on employait avant Descartes, elle a l'avantage de représenter exactement les rapports de quantité, et de les rendre saisissables au premier coup d'œil.

La plus grande de toutes les découvertes de Descartes dans les sciences positives est celle de l'application de l'algèbre à la géométrie c'est ce qu'on appelle aussi la géométrie analytique. Les anciens géomètres procédaient par synthèse dans la recherche des propriétés des courbes. Ils faisaient des constructions aventurées, en vue des résultats qu'ils voulaient obtenir, et employaient ainsi une méthode de tâtonnement, et en quelque sorte de divination. Descartes fut le premier qui conçut que la nature de chaque courbe pouvait être exprimée et définie par une certaine relation entre deux lignes variables, dont l'une figurait les abscisses et l'autre les ordonnées. Il pensa que, pour trouver cette relation, il suffirait d'écrire en langue algébrique une des propriétés caractéristiques de la courbe dont on s'occupait, et que l'on pourrait trouver par là une équation d'où l'on déduirait ensuite analytiquement toutes les propriétés de la courbe. Par l'invention de cette méthode Descartes a créé toute une science nouvelle, qui a produit d'immenses découvertes dans la géométrie.

Dans la doctrine métaphysique de Descartes, le premier principe qui appelle attention est celui du doute méthodique ou suspensif, qui peut être considéré comme le point de départ de la philosophie cartésienne. Descartes établit que nous devons rejeter, au moins une fois dans notre vie, toutes les opinions que nous avons précédemment reçues, pour les examiner et en faire une revue complète. Nous devons faire table rase dans notre intelligence et nous placer dans un doute absolu, non pas pour y rester, mais pour reconstruire ensuite nos opinions sur la base de l'examen. Il est incontestable que Descartes, en posant ce principe, a rendu un immense service à la science: il lui a donné une base au moyen de laquelle elle s'est débarrassée de toutes les opinions traditionnelles et routinières qui encombraient la philosophie scolastique; mais on peut contester que la méthode du doute suspensif doive être admise dans

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au contraire, procède, même en physique, synthétiquement et à priori. Nous ne nierons pas que cette remarque ne soit fondée; cependant il faut ajouter qu'à l'époque où vivait Descartes, la science n'était pas assez avancée pour qu'il fût possible de découvrir le vrai système du monde. Ce sont les découvertes sur les lois des forces centrales, faites par un disciple de Descartes, Huyghens, qui ont frayé la route à Newton, et ont rendu possible la découverte de la loi d'attraction.

Descartes, malgré la fausse base sur laquelle il appuyait son système physique, a fait de grandes découvertes dans cette science. C'est lui qui a découvert la véritable loi de la réfraction, qui se trouve exposée dans son traité de Dioptrique. Son traité des Météores renferme la théorie de l'arc-en-ciel, qui avait été entrevue avant lui, mais qui n'avait jamais été exposée et démontrée d'une manière scientifique.

Il est des points sur lesquels la science moderne a donné raison à Newton contre Descartes; mais elle a entièrement confirmé la théorie cartésienne sur la grande question du plein et du vide. On sait que dans tous les temps les spiritualistes ont soutenu le plein, et les empiristes le vide. Newton croyait que le vide existait dans le monde; Descartes et Leibniz l'ont nié. Au dix-huitième siècle on a cru voir une démonstration sans réplique de la théorie de Newton dans l'expérience de la pompe pneumatique. Cependant Leibniz avait déjà donné l'explication de ce fait, en disant que, de l'aveu de tous les physiciens, il existe dans l'atmosphère des fluides impondérables, tels que la lumière et l'électricité; et que rien n'empêche de supposer que les parties pondérables de l'air qui sont enlevées du baromètre ou de la pompe pneumatique ne soient remplacées par des fluides semblables à l'électricité ou à la lumière. Mais une découverte récente a mis en évidence la vérité de la théorie cartésienne. En observant attentivement la comète d'Euler, on a reconnu que, depuis l'époque où cette comète fut aperçue pour la première fois, la carrière qu'elle parcourt s'est rétrécie, son orbite a diminué; et l'on ne peut douter que cette diminution de force, cet amoindrissement progressif, ne soient causés par l'action du fluide destructeur dans lequel se meuvent les astres. M. John Herschell, en rendant compte de cette découverte, dit qu'elle prouve avec évidence que Newton s'était trompé en admettant la théorie du vide; que cependant ses calculs astronomiques conservent leur exactitude. à cause de l'extrême rareté du fluide dans lequel se meuvent les astres.

Les découvertes mathématiques de Descartes sont beaucoup plus importantes. Il a introduit dans les notions algébriques des simplifications qui ont créé une ère nouvelle dans l'histoire de cette science. Il est le premier qui se soit servi d'exposant dans les notations; on n'avait pas eu avant lui cette idée très-simple de mettre un chiffre au-dessus de la quantité, et de désigner ses diverses puissances par les différentes valeurs de ce chiffre. Outre que cette notation est beaucoup plus simple et plus abrégée que celle qu'on employait avant Descartes, elle a l'avantage de représenter exactement les rapports de quantité, et de les rendre saisissables au premier coup d'œil.

La plus grande de toutes les découvertes de Descartes dans les sciences positives est celle de l'application de l'algèbre à la géométrie c'est ce qu'on appelle aussi la géométrie analytique. Les anciens géomètres procédaient par synthèse dans la recherche des propriétés des courbes. Ils faisaient des constructions aventurées, en vue des résultats qu'ils voulaient obtenir, et employaient ainsi une méthode de tâtonnement, et en quelque sorte de divination. Descartes fut le premier qui conçut que la nature de chaque courbe pouvait être exprimée et définie par une certaine relation entre deux lignes variables, dont l'une figurait les abscisses et l'autre les ordonnées. Il pensa que, pour trouver cette relation, il suffirait d'écrire en langue algébrique une des propriétés caractéristiques de la courbe dont on s'occupait, et que l'on pourrait trouver par là une équation d'où l'on déduirait ensuite analytiquement toutes les propriétés de la courbe. Par l'invention de cette méthode Descartes a créé toute une science nouvelle, qui a produit d'immenses découvertes dans la géométrie.

Dans la doctrine métaphysique de Descartes, le premier principe qui appelle attention est celui du doute méthodique ou suspensif, qui peut être considéré comme le point de départ de la philosophie cartésienne. Descartes établit que nous devons rejeter, au moins une fois dans notre vie, toutes les opinions que nous avons précédemment reçues, pour les examiner et en faire une revue complète. Nous devons faire table rase dans notre intelligence et nous placer dans un doute absolu, non pas pour y rester, mais pour reconstruire ensuite nos opinions sur la base de l'examen. Il est incontestable que Descartes, en posant ce principe, a rendu un immense service à la science: il lui a donné une base au moyen de laquelle elle s'est débarrassée de toutes les opinions traditionnelles et routinières qui encombraient la philosophie scolastique; mais on peut contester que la méthode du doute suspensif doive être admise dans

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