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des églises protestantes, sur le continent comme en Angleterre. On montre, à l'endroit de cette doctrine, tant d'indifférence, qu'il faut admettre que la croyance aux châtiments éternels a fini de sa belle mort. Qui donc, en effet, se figure son père ou son enfant toujours brûlant dans des flammes inextinguibles? Dans la chaire, des doutes assaillent le prédicateur. Sa parole hésite; sa réserve, ses déclarations indécises, ou bien encore une véhémence factice, trahissent un scepticisme secret qui se communique à ses auditeurs, trouble les fidèles et endurcit les impénitents.

Cette question vient de créer un schisme au sein de la branche anglaise de l'alliance évangélique. Les uns fuient la discussion, la déclarant inutile. D'autres réduisent les peines futures à un remords incessant; d'autres vont plus loin encore en soutenant que les peines éternelles consistent dans un bonheur imparfait. En somme, on observe une grande prudence et beaucoup de réserve sur ce sujet. CHAP. XII. La vérité est notre meilleure amie. N'est-ce pas de

la vérité, de l'éternelle vérité qu'il s'agit ici? Et au point de vue de la prudence pastorale la plus pratique, la certitude et la netteté des enseignements, l'assurance du prédicateur, un châtiment, non plus atroce, mais terrible pourtant et inévitable, à la fois biblique et rationnel, voilà ce qui produira une impression plus profonde qu'une théorie inadmissible que chacun mitige à sa manière.

La doctrine biblique telle que nous l'avons exposée, écarte du chemin des fidèles une grande pierre de scandale. Nous ne sommes plus obligés d'admettre en quelque sorte deux dieux différents: l'un ici-bas, tendre et bienfaisant, l'autre au delà de la tombe, se complaisant impassible dans les interminables souffrances de ses adversaires. L'histoire rapporte des tortures épouvantables de tous genres, mais que sont ces supplices de quelques heures ou de quelques jours, tout hideux et révoltants qu'ils soient, en comparaison d'un feu violent, qui, après mille millions d'années, n'aurait fait encore que commencer son œuvre? Personne ne nie que Dieu ne puisse détruire ce qu'il a pu créer, substituer à la mort une éternelle agonie. Mais de même qu'on s'émouvrait bientôt des tortures infligées à un criminel par son bourreau, ainsi les cieux, la terre et la multitude des astres finiraient par s'émouvoir, l'amour ferait place à la haine, l'apostasie deviendrait universelle, toutes les créatures fuiraient avec effroi un Dieu devenu le plus épouvantable des tyrans. (Rev. H. Constable.) Et que l'on ne dise pas que la perspective de l'agonie et de la mort des âmes est de nature à refroidir l'activité du missionnaire ou du prédica

teur. Le croyant véritable s'effraie pour l'humanité de ce danger dont elle ne se rend pas compte. En faut-il davantage pour allumer son zèle et maintenir toujours brûlant dans son cœur l'amour sacré des âmes?

Nous avons dû nécessairement, dans ce rapide compte-rendu, laisser de côté une foule de détails intéressants, d'explications ingénieuses et souvent fort bien trouvées, d'idées fortes et lumineuses. Notons en particulier quelques pages du plus haut intérêt sur Le salut par l'expiation (VI note suppl.). Nous remercierons encore vivement M. Pétavel d'avoir attiré l'attention du public religieux sur les questions eschatologiques trop délaissées de nos jours et cependant si importantes de tout temps, puisqu'elles touchent aux intérêts éternels de chacun. J. D.

ZOECKLER. LE LIVRE DE JOB'.

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L'Allemagne protestante, pendant les dix dernières années, a produit. une série de travaux importants sur le livre de Job, ce chef-d'œuvre de poésie religieuse. En 1864, M. Delitzsch publiait son commentaire, sans contredit un des plus remarquables de tous ceux qu'il a produits et un des meilleurs qui existent sur ce livre aussi difficile qu'admirable. En 1865, a paru le travail plus concis et plus populaire de M. Kamphausen, de Bonn, l'un des continuateurs de l'œuvre biblique » de M. de Bunsen. En 1869, M. Dillmann, alors à Giessen, a réédité sous une forme entièrement nouvelle le commentaire vieilli de Hirzel. L'année 1870 a vu paraître le premier volume d'un commentaire posthume de Hengstenberg, intéressant surtout au point de vue pratique. En 1871, M. Merx, de Tubingen, a mis au jour un ouvrage où il s'occupe principalement de la critique du texte. Voici maintenant, de l'an 1872, un travail de M. Zöckler, professeur de théologie à Greifswald en Poméranie. Ce volume fait partie du Bibelwerk théolo gique et homilétique de M. Lange, dont M. Zöckler est un des principaux collaborateurs pour l'Ancien Testament. Il a déjà fourni à cette collection les commentaires sur les Proverbes (1867), sur le Cantique des cantiques et l'Ecclésiaste (1868), et sur Daniel (1870.)

Das Buch Job, theologisch-homiletisch bearbeitet von Dr Otto Zöckler, prof. der theol. zu Greifswald. (Theol.-homil. Bibelwerk von J. P. Lange. Des alten Testamentes zehnter Theil.) Bielefeld und Leipzig 1872, 321 pag., gr. in-8 à deux colonnes.

C. R. 1873.

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La forme et l'économie de l'ouvrage qui nous occupe sont celles que l'on connaît par les livraisons précédentes du Bibelwerk. En tête se trouve une introduction très développée qui témoigne, comme du reste l'ouvrage tout entier, d'une connaissance étendue de la littérature exégétique, archéologique et critique. Dans le commentaire lui-même, le texte est divisé en péricopes, dont chacune est munie d'un titre qui en résume le contenu. La traduction de chaque péricope est suivie d'explications exégétiques lesquelles, vu la difficulté de l'original, occupent une plus large place que ce n'est généralement le cas dans les autres volumes de la collection. Ensuite viennent les idées dogmatiques et morales contenues dans le morceau expliqué, et les indications homilétiques, ces dernières en partie originales, en partie empruntées à divers auteurs, la plupart anciens, tels que Brenz, Ecolampade Coccéjus, Seb. Schmid, Starcke, etc.

Le point de vue théologique de l'auteur ressort déjà d'une manière générale de l'esprit et du but de l'œuvre à laquelle il collabore. Il a caractérisé lui-même sa tendance lorsque, à la fin de sa préface, il exprime l'espoir que son livre sera accueilli comme un auxiliaire utile par tous ceux qui, sans accepter les yeux fermés certains préjugés traditionnels de la théologie critique moderne, ont sincèrement à cœur de concilier la foi à la révélation contenue dans la Bible avec les résultats assurés des recherches scientifiques de notre époque, en particulier de celles qui ont pour objet l'histoire des religions et de la culture.

Pour les questions isagogiques, M. Zöckler se rattache en général aux vues de M. Delitzsch. Il voit dans le livre de Job un drame philosophico-religieux dont le sujet n'est ni purement fictif ni entièrement historique, mais repose sur une tradition arabe remontant à l'époque patriarcale. Un poëte appartenant à la classe des sages (chakamîm) qui se rencontraient à la cour de Salomon (cp. 1 Rois IV, 30 et suiv.) aurait profité de cette tradition pour mettre en lumière la vérité importante, nouvelle en son temps pour les Israélites, que Dieu, dans sa sagesse, dispense parfois aux enfants des hommes des afflictions qui n'ont pas pour but de les punir pour tel ou tel péché, mais qui doivent servir, soit comme châtiments, soit comme moyens d'épreuve, à faire paraître la justice de ceux qui souffrent.

Cependant M. Zöckler se sépare de M. Delitzsch, ainsi que d'un grand nombre de critiques actuels, en ce qui concerne les discours d'Elihou, chap. XXXII-XXXVII. Selon lui, cet épisode a fait dès l'abord partie intégrante du poëme. Le rôle qu'il lui assigne dans l'or

ganisme du drame ressort du plan qu'il a adopté (d'après Vaihinger), comme étant celui qui lui paraît le plus conforme à la pensée de l'auteur. Voici quel est ce plan (§ 11 de l'introduction):

Prologue on introduction historique, chap. I et II: Portrait de Job; Dieu décide de l'éprouver par la souffrance; visite et mutisme des trois amis de Job.

Première partie principale du poëme : Discussion entre Job et ses trois amis sur la cause de son affliction, chap. III-XXVIII.

Explosion violente de la douleur de Job, thème et occasion de la discussion, chap. III.

Les trois cycles ou actes du débat, où le noeud du drame se serre de plus en plus, les amis accusant toujours plus ouvertement Job d'être un impie qui pâtit pour ses péchés; Job, de son côté, affirmant toujours plus énergiquement la conscience qu'il a d'être innocent, chap. IV-XIV, XV-XXI, XXII-XXVIII.

Seconde partie principale: Le dénoûment, chap. XXIX-XLII, 6.

Premier degré, chap. XXIX-XXXI: Monologue de Job: sa conduite morale ne peut pas être la cause de ses souffrances, elles doivent avoir une cause plus profonde. (Solution négative.)

Second degré, chap. XXXII-XXXVII: Discours d'Elihou: il ne saurait y avoir de souffrances réellement imméritées; les maux qui fondent sur des hommes justes en apparence sont des dispensations de l'amour divin, ayant pour but de les épurer. (Première moitié de la solution positive.)

Troisième degré, chap. XXXVIII-XLII, 6: Discours de Jehova: Dieu, le tout-puissant et seul sage, avec qui nul mortel ne doit contester, peut aussi n'envoyer des afflictions que pour éprouver les justes. (Seconde moitié de la solution positive.)

Epilogue historique: Justification éclatante de Job en présence de ses trois amis, chap. XLII, 7-17.

A titre d'échantillon de l'exégèse, nous résumerons ici l'explication que l'auteur donne du fameux passage du goël, chap. XIX, 25-27. On verra qu'elle ne diffère guère de celle qu'en ont donnée MM. Ewald, Schlottmann, Delitzsch, Dillmann et plusieurs autres théologiens de nos jours.

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Au reste je le sais: mon vengeur — celui qui revendiquera mes droits et réhabilitera ma mémoire, cp. Prov. XXIII, 11; Lam. III, 58, est vivant, et comme dernier, comme celui qui survit aux autres (Esa. XLIV, 6; XLVIII, 12), non pas dans un sens eschatologique absolu, mais spécialement par rapport à Job qui va mourir,

cp. XVII, 11 et suiv., (Ps. XII, 6), sur la poussière de ma tombe ou de mon cadavre bientôt décomposé; XVII, 16, cp. Gen. III, 19; Eccl. III, 20.

il se lèvera pour me défendre et me venger

Et après ma peau [qu'] on a mise en pièces, celle-ci, c'est-à-dire: après que ma peau, que voici, sera tombée en lambeaux par suite de la putréfaction qu'entraîne la lèpre, cp. XVIII, 13, et dépouillé de ma chair (min privatif comme XI, 15; XXI, 9), affranchi de ce corps labouré et exténué par la souffrance, et transporté dans une existence meilleure, cp. XIV, 13-15,- je verrai Dieu (futur, comme Ps. XVII, 15; cp. Math. V, 8; 1 Jean III, 2),

– lequel moi-même je verrai alors pour moi, c'est-à-dire pour mon bien (Ps. LVI, 10; CXVIII, 6), et [que] mes yeux verront (prétérit de certitude), et non [ceux d'] un autre (cp. Prov. XXVII, 2), par où Job veut donner à entendre que cette vue béatifique de Dieu dans une autre existence ne sera pas le partage de ses trois amis et adversaires. Mes reins se consument dans mon sein, ils languissent dans l'attente de ce moment bienheureux où justice me sera enfin rendue.

Ce que Job espère, ce n'est donc pas de ressusciter corporellement après sa mort, au dernier jour, mais de voir Dieu au delà de cette vie. Il s'élève très clairement et avec une grande vivacité au-dessus de la conception populaire du Sheôl qu'il a lui-même partagée jusqu'alors. Mais il ne va pas encore au delà de l'espérance d'une immortalité personnelle. Toutefois, conformément au point de vue de l'Ancien Testament, qui ne conçoit pas un esprit absolument incorporel, l'idée qu'il se fait de cette immortalité n'est pas purement abstraite et toute spiritualiste; elle implique un certain réalisme, cp. v. 27: mes yeux le verront. La foi en la résurrection, telle qu'elle s'est développée plus tard, existe par conséquent en germe dans l'espérance que Job exprime dans ces versets.

M. Zöckler a évidemment voué une attention et un soin tout particuliers à la partie de son commentaire qui a pour objet les « idées dogmatiques et morales » du livre de Job. Son texte lui a fourni l'occasion de traiter un grand nombre de sujets de théologie biblique et de philosophie religieuse. Malgré l'intérêt que présentent ces matières, et à cause même de la richesse des aperçus et des développements renfermés dans les pages que l'auteur y a consacrées, nous ne pouvons songer, dans un compte-rendu comme celui-ci, à donner des extraits de cette partie de l'ouvrage, et encore moins à en faire une étude critique. Nous devons nous borner à signaler un certain nombre de paragraphes pris plus ou moins au hasard dans différentes parties du

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