Page images
PDF
EPUB

pour satisfaire à votre désir. Je n'ai plus à relever que deux ou trois détails.

Et d'abord l'éternelle objection de l'arbitraire : « Ce qui est bien aujourd'hui pourra être mal demain. » (377.) Nous ne pouvons pas empêcher cette conclusion de se produire, mais elle ne nous touche pas. Elle ne vaudrait que si nous établissions la liberté d'indifférence comme l'expression définitive de l'absolu dans un sens dogmatique, lequel supposerait que nous nous en attribuons l'intuition. Il n'en est rien : le sens de cette doctrine est simplement de comprendre Dieu comme une personnalité morale. Le sens est que l'amour dont Dieu nous aime est un véritable amour, c'est-à-dire un fait de volonté et non pas l'effet d'une nécessité naturelle, parce que s'il était nature il ne pourrait plus nous inspirer aucune reconnaissance, et ne serait plus amour. Ainsi l'amour qui fait de l'absolu Dieu, notre Dieu, cet amour est un fait, par delà lequel il n'y a rien à chercher, parce qu'on n'y trouve que l'insondable, l'indéfinissable. Notre fondement n'est pas la nécessité de la pensée, notre fondement est la foi. L'immutabilité des lois morales et des lois naturelles est une croyance, dont l'objet véritable est la fidélité de Dieu. Tel est le vrai sens, l'unique portée du soidisant paradoxe où la banalité vient se heurter. Nous sommes certains de l'immutabilité des lois du monde, parce que toute théorie et toute pratique sont à ce prix. Mais si l'on demande sur quoi se fonde cette certitude, nous répondrons: elle ne se fonde pas sur la nécessité des choses, elle se fonde sur le fait que la volonté qui donne des lois au monde est la volonté de Dieu. M. Astié ne fait pas bien d'alléguer à l'appui de l'arbitraire absolu qu'il nous impute le passage où il est dit : « La volonté qui a produit le monde, c'est la volonté de l'être absolument libre d'exister dans la forme d'absolue liberté. » En effet, si l'indifférence, si l'arbitraire est la virtualité, la puissance, comme notre auteur l'a si souvent répété, ce ne peut pas être l'existence et l'acte. L'absolue liberté se manifestant comme telle est l'amour. Nous l'avons dit maintes fois; nous l'avons inscrit comme titre d'une de nos thèses, et nous avons peine

à comprendre comment, dans une discussion qui veut être aussi sérieuse, il était possible de l'oublier. Il ne s'agit point en effet d'examiner si notre thèse est juste ou non. M. le professeur Astié, citant textuellement un passage de mon livre pour établir la justesse de son interprétation générale du système, ne pouvait pas convenablement lui donner un sens qu'il devait savoir étranger à ma pensée, et je suis réduit à supposer que l'articulation principale de tout le système lui a complétement échappé. Résumons donc le système en un mot:

La pure essence, c'est l'infini des possibles, la liberté indéterminée, le minimum, le non-être, source de tout être. L'acte, l'existence, la liberté déterminée en tant que liberté, c'est l'amour, le maximum, la perfection effective.

[ocr errors]

Le passage de la puissance à l'acte est un vouloir. Comment ce vouloir se produit-il? Je l'ignore, et je ne sais pas même au juste ce que la question signifie. Pourquoi la pure liberté veut-elle se réaliser ? treprendrai point de le dire.

Je n'en

Je ne me

Qu'est-ce que la pure liberté avant tout acte? flatte point de l'entendre, mais je suis obligé de la statuer au point de départ pour que l'amour puisse trouver place dans ma pensée, c'est-à-dire que Dieu soit Dieu. En tout cas, il n'est pas permis, en discutant cette série d'idées, d'identifier la liberté d'indifférence avec la liberté se manifestant comme telle.

Une semblable négligence, un pareil oubli de la doctrine fondamentale affecte la discussion de l'honorable « justicier > sur les motifs. Il cite la phrase suivante : « Un motif inhérent à l'être absolu serait un motif absolu qui déterminerait l'action d'une manière irrésistible, ainsi la liberté s'évanouirait. » Et il en conclut : « Ainsi l'absolu n'a pas, ne peut pas avoir de motif ni pour sortir de son indétermination, ni pour en sortir d'une manière plutôt que d'une autre. » Je dis bien, et le justicier répète bien qu'une volonté sans motif serait aveugle, et se confondrait avec le hasard, qui n'est qu'un nom de notre ignorance; je dis bien, de la façon la plus formelle, que l'activité créatrice n'est pas sans motif; le justicier n'en persiste pas

moins à confondre l'absence d'un motif inhérent à la nature de l'être avec l'absence de tout motif quelconque. Et cependant lui-même vise plus loin la distinction qui nous importe, en citant un passage de M. P. Garreau': « La volonté de créer comprend son motif en elle-même, c'est la charité, c'est l'amour. » Le motif de la création consiste dans la considération de la créature possible, ce n'est pas un motif relatif à Dieu lui-même, un motif inhérent à sa nature, parce que l'amour ne saurait être une nature, ainsi que nous l'avons déjà dit. L'identification de la Lettre-Préface était donc précipitée et le procédé de discussion peu surveillé.

De même j'ai dit : « Lorsque nous savons ce qui rend Dieu incompréhensible, nous l'avons compris. Le censeur poursuit : << Toute l'intelligence que nous pouvons avoir de lui consis» terait à reconnaître qu'il est incompréhensible. » Mais non; reconnaître qu'il est incompréhensible ou savoir ce qui le rend tel, n'est pas du tout la même chose, et « le bon sens de l'âme la plus simple » pourrait s'en aviser, ce nous semble, à moins d'une rare distraction.

Un malentendu plane encore sur toute la discussion relative aux attributs divins. J'ai écrit : « Les attributs métaphysiques de Dieu, tels que la toute-présence, la toute-science, la toutepuissance sont tous compris dans l'idée d'absolue liberté, et ne reçoivent qu'en elle leur divin caractère. Il en est de même des attributs moraux, considérés comme appartenant à l'essence divine. » Mon savant critique ne tient aucun compte des réserves soulignées, qui sont cependant capitales, décisives, et qui fixent seules le sens de ma doctrine. Il présente la chose comme si je prétendais retrouver dans la notion de la liberté pure tous les attributs divins, tels que l'ancienne théologie les a définis, ce qui est à cent lieues de la vérité. Si notre adversaire n'avait pas commis cette méprise, il n'aurait pas écrit sa note 2 de la page 388. Il n'aurait pas dit que l'idée de subordonner la prescience à la liberté divine, l'affirmation que Dieu ne sait que ce qu'il veut savoir; est « un bloc erratique, » dans la Philoso

'Pag. 873.

phie de la liberté, mieux encore, « un germe qui, s'il s'épanouissait, ferait voler le système en éclats.» Si l'on daignait creuser, on trouverait, je crois, que ce soi-disant erratique est bel et bien de la roche en place, et que, loin de menacer le système, il sort au contraire des entrailles du système.

Cet exemple nous montre jusqu'où l'on peut arriver lorsqu'on commence à lire avec prévention. Après un échantillon pareil, on ne s'étonnera plus que votre collaborateur me tienne, lui aussi, pour un partisan de la dogmatique du réveil, que j'ai prise in extremis, dit-il, pour en faire l'apologie (pag. 385), << jusqu'aux exagérations de l'orthodoxie la plus outrée et la moins authentique. » (Pag. 386.)

Si l'on veut l'entendre ainsi, mon cher collègue, je n'ai garde de réclamer davantage. Tout mon regret, c'est que, se bornant exclusivement à l'examen de mon premier volume, M. le professeur Astié n'ait pas articulé plus précisément les exagérations orthodoxes dont il m'accuse. C'eût été l'occasion pour les lecteurs de la Revue de s'initier en quelque mesure aux sentiments de M. Astié lui-même.

Pardonnez-moi les longueurs que vous avez provoquées, faites excuser au public l'apologie personnelle que vous avez demandée, et croyez-moi

Votre tout dévoué

CH. SECRÉTAN.

BULLETIN

THÉOLOGIE

E. PÉTAVEL-Olliff.

LA FIN DU MAL 1,

Dans un précédent volume, M. E. Pétavel avait étudié la loi du progrès; maintenant il aborde le grave problème de la fin du mal. Cet ouvrage se compose d'un mémoire en douze chapitres, présenté en 1870 à la société théologique de Neuchâtel, suivi d'une réfutation des objections qu'il a provoquées. Des notes supplémentaires, très intéressantes, complètent certains points touchés dans le mémoire ou étudient quelques questions particulières. Chaque partie de ce volume est enrichie encore de notes au bas de la page. C'est assez dire que c'est à titre de « pièces du procès que M. Pétavel livre cet ouvrage au public et non dans l'intention de produire une œuvre systématique. Dans une matière aussi délicate, nous nous sommes efforcé de conserver les termes mêmes de notre auteur.

CHAPITRE PREMIER. Les conditions nécessaires de toute existence. L'homme, comme toute substance organique ou inorganique, est soumis non-seulement à des lois physiques ou physiologiques, chimiques ou dynamiques, mais aussi à des lois psychologiques qui régissent la partie spirituelle de son être, et que le philosophe moraliste doit analyser. La règle fondamentale de l'âme humaine consiste, suivant l'Ecriture, en ceci : s'aimer soi-même, aimer Dieu plus que soi et son prochain autant que soi. Par une communion incessante avec Dieu, la source de la vie, l'homme ne pouvait mourir; ayant rompu ce lien d'amour, le dépérissement commença, en vertu de cette loi universelle qui détruit tout ce qui lui résiste, qui vivifie ce qui lui obéit.

* Questions vitales. La fin du mal ou l'immortalité des justes et l'anéantissement graduel des impénitents, par E. Pétavel-Olliff, D2 en théologie. Paris, 1872, 1 vol. in-12.

« PreviousContinue »