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obtenu une prépondérance importante sur toutes les religions de l'Orient qui se faisaient concurrence. Déjà, du point de vue purement extérieur, vers le milieu du siècle, il était permis de prédire un grand avenir au christianisme.

Voici quelle était la portée historique des événements religieux de ces années-là. Les religions de l'Orient faisaient invasion dans l'empire romain. Le génie religieux de l'Orient était tellement supérieur à celui de l'Occident que les formes les plus dégénérées des cultes orientaux trouvaient encore des partisans en Occident. Isis avait son temple sur les bords du Tibre; les lions traînaient dans les rues de Gadès le char de la mère de dieu des Phrygiens; jusque sur les bords du Rhin s'élevaient les pierres de Méthra, rappelant le Dieu de la lumière des Perses. Toutefois, pour si puissant que fût le sentiment de dépendance qui dominait dans tous ces cultes, pour parler au cœur des hommes de cette époque, qui avaient suffisamment appris à connaître la vanité des choses de ce monde, il n'y avait que la religion qui se rapprochait de la nouvelle conception de l'univers, mise en avant par les hommes cultivés de la Grèce. De la rencontre du platonisme avec la foi en l'avenir des Hébreux naît la religion nouvelle, qui complète la conception platonicienne de tout un monde transcendant d'idées par la foi juive à un monde à venir, et qui fait voir en Jésus le médiateur au moyen duquel Dieu réconcilie le monde avec lui-même. Les religions naturistes et celles qui n'avaient en vue que les besoins pratiques avaient fait leur temps. Elles devaient être remplacées par une religion dont la substance serait une aspiration vers un monde meilleur, et qui harcellerait sans cesse l'humanité pour qu'elle fit de cette terre un royaume digne d'un monde supérieur. Saint Paul le premier avait décrit à grands traits comment pouvait s'accomplir cette pénétration réciproque de l'au-delà et de l'en-deçà; les autres écrivains du Nouveau Testament ne font que développer son point de vue; ceux même qui veulent faire prévaloir les idées juives ne réussissent pas à se soustraire entièrement aux conceptions de Paul. A la rédemption des cœurs était venue s'ajouter l'unité de la pensée qui, dans le cours des siècles, s'em

para toujours plus des esprits. La foi en la réconciliation, et en la présence du monde à venir dans le monde présent, et en l'idée que ce monde-ci est fait en vue du monde à venir, est la conception qui domine tout le moyen âge. Il fallut sans doute des siècles pour arriver à cette théologie paulinienne, à l'idée complète du moyen âge qui, derrière chaque replis des choses sensibles, sait apercevoir le monde spirituel. Il fallut s'essayer, s'exercer pour que cette conception devint familière à chacun ; mais tous les contours généraux du monde nouveau se trouvent déjà chez saint Paul. Telle était la haute portée, les grands résultats de ce temps des apôtres. Saint Paul avait tout droit de dire « La victoire par laquelle le monde est vaincu, c'est notre foi ! »

J.-F. ASTIE.

NOUVELLE CRITIQUE DE LA RAISON

PAR

1

CH.-CHR.-FR. KRAUSE 1

Ce volume est le premier tome d'un ouvrage qui contiendra le cours fait par Krause à Dresde, en 1823, devant un auditoire de personnes appartenant à la classe cultivée.

Né en 1781, à Eisenberg, Krause avait suivi à Iéna les leçons de Reinhold sur la Critique de la raison pure, de Kant. Plus tard, il avait entendu Fichte et Schelling, sans admettre les idées de ces philosophes. Suivant sa propre voie, il commença de professer à Iéna de 1802 à 1804, voyagea dès lors en divers pays pour étendre ses connaissances et se fixa, en 1824, à Gœttingue. Il s'y fit de nombreux disciples parmi les esprits que ne satisfaisait point l'hégélianisme dominant à cette époque. Krause mourut à Munich, en 1832, où il s'était retiré une année auparavant.

Il n'a pas eu le temps de publier lui-même l'ensemble de ses travaux. On sait que ce sont deux professeurs belges, MM. Ahrens et Tiberghien, qui ont initié le public français aux doctrines profondes et vraiment originales de ce philosophe qui n'a pas toujours été apprécié à sa valeur, mais dont l'autorité semble destinée à s'étendre de plus en plus dans le monde des penseurs.

• Vorlesungen über die Grundwahrheiten der Wissenschaft, zugleich in ihrer Beziehung zu dem Leben. Für Gebildete aus allen Ständen. Von K.-Chr.-Fr. Krause. 2te vermehrte Auflage. Band. I Erneute Vernunftkritik, 1868. - In-8 de XLIV et 280 pages.

Dans le Cours dont nous allons essayer de rendre compte, Krause s'est proposé d'établir les vérités fondamentales de la science, en elles-mêmes et dans leur rapport avec la vie.

La science dont il s'agit ici, c'est proprement la connaissance philosophique, laquelle a pour objet ce qui est permanent et éternel, à l'exclusion de ce qui est purement historique. Mais la philosophie elle-même n'est qu'une partie de la science. Celle-ci forme un tout organique dont les sciences particulières ne sont que les membres et les organes, et les idées fondamentales de chacune sé réunissent dans une idée fondamentale unique qui les contient toutes. Le but de Krause n'est pas, nous dit-il, d'ajouter quelque chose à l'érudition, qui n'est que le savoir historique et non la science philosophique; il veut offrir un aliment à l'esprit scientifique, transformer en notions claires nos pressentiments sur les questions les plus importantes, et montrer l'influence que ces hautes et premières notions exercent sur la vie des individus et de la société pour épurer, élever et sanctifier la pensée, pour apprendre à mener une vie vraiment bonne et belle, où ces vérités se traduisent en prudence et en sagesse pratique.

Pour faire passer la vérité dans la vie, il faut qu'on l'ait d'abord vue en soi-même. La connaissance doit devenir sagesse; car la science n'est pas encore la sagesse. La sagesse est l'application de la vérité qu'on a reconnue dans l'harmonie de tout l'être moral sentant, voulant et agissant.

La sagesse pratique a besoin de toute la science; car la vie elle-même est la réalisation de toute la vérité. Le savoir seul ne suffit pas pour l'art de vivre, ni même la connaissance de l'éternelle vérité. La philosophie et le savoir réunis sont les conditions indispensables de la sagesse pratique de l'humanité en général. Chez l'homme non cultivé, la force sanctifiante de la vérité se manifeste dans le pressentiment qu'il a de celle-ci, sans compter que chacun se fortifie au contact des esprits cultivés dans un milieu social où déjà bien des vérités essentielles ont passé dans les faits.

Dans la recherche de la vérité, notre auteur suit une double méthode. D'abord, il prend son point de départ dans l'expé

rience commune pour s'élever de là à des considérations de plus en plus en plus hautes jusqu'au sommet de la science. Commençant par déterminer l'idée même du savoir et de la science, il en trouve le fondement et l'origine dans le premier fait certain en lui-même (wissen, gewiss), reconnu commne tel par tout homme. Il montre alors comment, autour de ce premier savoir d'une certitude immédiate et en quelque sorte vivante, se forme et grandit toute autre certitude, à la manière d'un être accomplissant son évolution dans un germe sain; des forces nouvelles se produisant pendant cette formation, nous nous élevons du premier fait certain à une vérité toujours plus haute et nous arrivons enfin à la connaissance de Dieu, comme à celle de l'Etre un, absolu et infini. C'est là que commence pour nous la science (Wissenschaft), et qu'elle s'offre à nous comme accomplie. C'est là que nous saisissons le rapport fondamental du monde et de l'humanité en Dieu, avec Dieu et par Dieu.

La notion de Dieu ne doit pas être admise dans la science comme une simple probabilité, une hypothèse ou un postulat de la raison; mais le résultat même de la première recherche, indiquée plus haut, doit nous conduire du fait d'expérience intime à la constatation de la certitude absolue de la notion de Dieu. C'est en nous élevant du savoir immédiat, fini, certain pour nous, à une certitude toujours plus haute, que nous arrivons à voir enfin que la notion de l'être (Wesen), ou de Dieu, est la notion suprême, seule certaine en soi, celle que nous supposons dans toute connaissance et notion particulière, quoique le plus souvent sans en avoir clairement conscience. On se convainc alors que la seule notion de Dieu est le principe de la science, c'est-à-dire que c'est la seule connaissance vraiment première, absolue, inconditionnée.

Arrivé ainsi au sommet de sa recherche, notre penseur jette de là ses regards sur nous-mêmes, sur le monde et l'humanité en général. Il observe comment toutes les choses et leurs rapports s'éclairent à la lumière de la connaissance acquise de Dieu, une fois que s'est levé le soleil de la connaissance dans l'intuition primitive, Dieu. Tout le domaine de la vérité ap

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