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son caractère propre, son sens et sa raison d'être au milieu de beaucoup de recueils semblables à d'autres égards. Nous admettrons donc avec empressement tous les articles, quelle qu'en soit la provenance, qui nous paraîtront présenter une mesure suffisante de valeur scientifique, et pouvoir fournir quelque indication utile à la solution des graves problèmes qui sont discutés par la science contemporaine.

Nous avons besoin de le dire en terminant. Si nous nous sommes résolus à étendre ainsi le champ de notre travail, c'est que plusieurs de nos lecteurs les plus assidus nous l'ont demandé avec insistance. Il s'est même trouvé parmi eux quelques amis, qui nous ont généreusement offert les moyens de subvenir aux dépenses nouvelles que les améliorations indiquées entraîneront inévitablement à leur suite. Nos abonnés actuels et futurs s'uniront sans doute à nous pour les en remercier.

Quant à nous, nous allons travailler à nous montrer, par de nouveaux efforts, dignes de la confiance et de la sympathie qui nous ont été témoignées.

Au nom de la Rédaction,

E. DANDIRAN, professeur.

J.-F. ASTIÉ, professeur.

LA

DOCTRINE CHRÉTIENNE DE LA JUSTIFICATION

ET DE LA RÉCONCILIATION

PAR

ALBERT RITSCHL'

Introduction.

La doctrine de la justification et de la réconciliation forme le centre du système théologique, en montrant le rétablissement de la libre communion de l'église avec Dieu et le retour de la volonté humaine au plan divin. Chose étrange, le nom de cette doctrine est beaucoup moins bien fixé que celui des autres. L'appeler la doctrine de la mort de Christ, c'est négliger la valeur de la vie et de la résurrection du Seigneur; lui donner pour objet l'œuvre sacerdotale de Christ, c'est s'attacher à une image qui n'a eu cours dans la théologie que depuis la réformation. Pour exprimer un fait qui est l'œuvre morale de la vie, des souffrances, de la mort et de la résurrection de Christ pour la fondation de l'église, le nom de rédemption ne suffit pas; il n'en exprime que le côté négatif; le terme de sanctification, qui serait le plus biblique, a pris un autre sens dans la théologie. Il faut donc en venir aux termes de justification et de réconciliation, qui expriment soit l'œuvre de Christ pour enlever la coulpe et l'inimitié du pécheur contre Dieu, soit les nouveaux rapports fondés par cette œuvre entre la volonté divine et la volonté humaine.

Le point de vue hégélien de Baur, dans son Histoire du déve

'Die christliche Lehre von der Rechtfertigung und Versöhnung, dargestellt von Albrecht Ritschl. Erster Band: Geschichte der Lehre. 1870. 1 vol. de X et

638 pages.

loppement de la doctrine de la rédemption, l'a obligé de voir, dans toute évolution de cette doctrine, une oscillation de la conception objective à la conception subjective du dogme; il laisse pendants, sans explication suffisante, plusieurs problèmes historiques importants. Dorner, dans son Histoire de la théologie protestante, ne nous donne pas non plus la solution de ces problèmes; car lui, aussi, il rapporte toute évolution à la combinaison des principes matériel et formel du protestantisme, et se trouve obligé d'ignorer ou de tordre tout ce qui ne se plie pas historiquement à son principe. Aussi ne trouve-t-on pas dans ces ouvrages tout le secours qu'on pourrait en attendre pour l'histoire de notre doctrine.

Cette histoire nulle, ou à peu près, dans l'église d'Orient, où l'on reste au point de vue des Pères, ne commence en Occident qu'à partir du moyen âge; c'est alors seulement que le dogme de la justification et de la réconciliation reçut dans l'église son développement scientifique.

I. Le moyen âge.

1. LA RECONCILIATION

a) Anselme et Abailard.

L'avantage scientifique du moyen âge était que les diverses théories sur la réconciliation pouvaient se développer côte à côte dans l'église, où on les considérait comme des questions d'école. La supériorité donnée à la théorie d'Anselme sur celle d'Abailard est très moderne, et n'est pas même reconnue à l'époque de la réformation. La première de ces théories est juridique et rationnelle, la seconde, celle d'Abailard, est plus morale et plus biblique.

Anselme donne à la doctrine traditionnelle de la rédemption la forme d'une réconciliation, d'un apaisement légal de Dieu. L'honneur de Dieu exigeant le châtiment des pécheurs, comme preuve de l'infériorité de leurs volontés vis-à-vis de la sienne, cet honneur doit nécessairement être satisfait par un ou plusieurs actes conformes à la justice de Dieu, et par conséquent par des actes qui ne soient pas exigibles par Dieu. Or l'humanité,

obligée à tout vis-à-vis de Dieu, est incapable de tels actes. Comme Dieu peut seul accomplir un acte d'une telle valeur, et que d'un autre côté c'est l'homme qui doit l'accomplir, un être réunissant en lui la divinité et l'humanité dans leur plénitude est seul capable de satisfaire à l'honneur et à la justice de Dieu. Il le fait par une œuvre qui est libre, et non exigible de celui qui est sans péché, c'est-à-dire par sa mort en vertu de laquelle Dieu pardonne avec miséricorde, et rétablit le dessein qu'il a formé pour le salut de ses créatures. C'est à Dieu cependant, et à Dieu seul, que se rapporte directement, suivant Anselme, la satisfaction. Quant aux hommes, le moyen de s'appliquer cette satisfaction donnée à Dieu est de suivre Christ dans la souffrance. Cette théorie d'Anselme nous montre: 1o la possibilité d'une réconciliation de Dieu avec l'homme fondée sur l'honneur de Dieu, qui ne permet pas que ses desseins pour le salut des hommes soient anéantis; 2e la nécessité de la satisfaction présentée par l'Homme-Dieu, fondée sur la justice absolue de Dieu. Ces deux déductions sont logiquement irréconciliables: la dernière place le problème dans le domaine du droit privé ou des conventions réciproques; la première, soumettant tout à l'action divine, n'admet pas ces conventions. Elle pourrait permettre un autre moyen de réconciliation, et la théorie en est naturellement affaiblie. De plus, si l'œuvre de Christ est libre et volontaire, elle est purement personnelle, et par conséquent rentre dans les devoirs de Christ, ayant pour fin la gloire de Dieu; si elle est efficace par elle-même, comme rançon équivalente à la dette, elle est purement objective et perd son caractère personnel. Ce ne sont donc pas les prémisses seules de la théorie de la satisfaction juridique qui sont contradictoires, ce sont aussi les caractères auxquels on reconnaît dans l'œuvre de Christ une satisfaction.

Anselme lui-même établit l'insuffisance de sa théorie de la satisfaction en faisant appliquer par Dieu aux pécheurs les mérites de Christ, ce qui établit un rapport bien plus intime entre ce dernier et le pécheur, et nous fait passer du point de vue purement juridique au point de vue moral. Ce point de vue est celui d'Abailard. Celui-ci se demande surtout comment Jésus

procure par sa vie et par sa mort la justification et la réconciliation des pécheurs; il n'a d'ailleurs en vue que les élus de Dieu. Dieu, par son union avec la nature humaine en Christ et par le dévouement de celui-ci, nous a montré son amour, et éveille en nous un amour pour lui et pour notre prochain, qui nous unit indissolublement à lui. Pourquoi Dieu a-t-il choisi ce moyen? C'est là une question qu'A bailard pose, mais laisse sans réponse. L'amour de l'homme est la condition de sa participation aux bienfaits de cet amour de Dieu. La justice de Dieu sert aussi à cette œuvre de salut, par le moyen de l'intercession de Christ à laquelle elle ne peut rien refuser. Jésus est le médiateur de Dieu vis-à-vis des hommes par son dévouement; il est le médiateur des hommes vis-à-vis de Dieu par son intercession.

La théorie d'Abailard est moins complète, moins systématique que celle d'Anselme; mais elle se place à un point de vue supérieur, le point de vue moral.

Pierre Lombard fait la transition à saint Thomas et à Duns Scot en appuyant sur la notion du mérite de Christ pour nous obtenir la grâce, et en la combinant avec l'ancienne théorie de la rédemption par Christ de la puissance du diable. De plus, il admet que cette rédemption est un effet de l'amour de Dieu, qui éveille l'amour dans le cœur et y détruit le péché.

b) Thomas d'Aquin et Duns Scot.

Pour bien comprendre la doctrine de saint Thomas et de Duns Scot sur la satisfaction et les mérites de Christ, il faut se rendre compte de leur notion de Dieu; et cela malgré les opinions de Baur et de Schneckenburger, qui trouvent à chaque dogme une origine purement subjective, et finissent par ne voir dans l'idée de Dieu que le reflet de la conscience bumaine. En effet, il ne faut pas confondre la condition nécessaire à une doctrine de la rédemption, qui est le besoin subjectif de la certitude du pardon et de la sanctification, avec le fondement de cette doctrine qui est l'idée de Dieu.

Les doctrines de Thomas et de Duns Scot sur Dieu ont leurs racines dans la tradition du faux Denis l'aréopagite, dans cette

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