Page images
PDF
EPUB

On y trouve sous une forme plus complète, plus exacte, plus détaillée, avec tout l'appareil bibliographique désirable, la matière que l'auteur a dû résumer en quelques pages dans les dernières éditions de son Histoire des livres saints du Nouveau Testament. La Bibliotheca comble une lacune depuis longtemps sentie. Elle remplacera dorénavant avec avantage des travaux, remarquables pour leur époque sans doute, mais devenus absolument insuffisants, tels que les Prolegomena de l'anglais Mill (1707) et la Bibliotheca sacra de Jaques Le Long, de l'Oratoire (1709-1723), rééditée et augmentée par Masch (1778).

On ne peut que féliciter les sciences bibliques de ce que le sujet en question a rencontré un auteur aussi exceptionnellement qualifié pour le traiter avec succès. M. Reuss non-seulement est versé comme peu d'autres dans les questions d'exégèse et de critique biblique ; il a su, à force de sacrifices de plus d'un genre, réunir avec le temps la collection d'éditions du Nouveau Testament la plus riche qui ait jamais existé. Grâce à ses soins et à sa libéralité, la nouvelle bibliothèque académique de Strasbourg possédera un trésor unique en son genre. Sur 657 éditions à lui connues dont 537 réellement différentes les unes des autres, et 120 ne différant d'autres éditions que par le titre, l'infatigable critique a réussi à en acquérir 582 (dont 484 de la première espèce), tandis que les bibliothèques publiques les mieux montées n'en possèdent que la moitié à peine et même seulement le tiers ou le quart: celle de Stuttgardt 285, provenant de Jos. Lorck, le prince des bibliophiles, qui en possédait lui-même 346; celle de Sussex à Londres un peu plus de 200; celle de Hambourg 180, provenant en bonne partie de la bibliothèque du pasteur Goze, bien connu par sa polémique avec Lessing; celle de Wernigerode dans le Harz 140, celle de Berlin 114, etc. Des 75 éditions qu'il n'a pas pu acquérir, M. Reuss a pu en examiner de ses propres yeux 66; les 9 autres ont été collationnées pour lui par des amis. A part ces 657 éditions décrites et classées en parfaite connaissance de cause, il en est au plus 50 dont l'auteur ne connaît l'existence que pour les avoir vues citées par d'autres; à quoi, dit-il, il faut sans doute en ajouter un certain nombre qui ont paru en Angleterre et en Amérique in usum scholarum, mais qui sur le continent européen ne sont pas même connues de réputation. M. Reuss a, du reste, exclu de son travail les éditions partielles n'embrassant que telle ou telle portion du Nouveau Testament, pour autant qu'elles ne font que reproduire un texte plus ancien. Il en a exclu également les fac-simile des différents manuscrits anciens.

[ocr errors]

[ocr errors]

La grande et importante innovation que présente la Bibliotheca consiste en ce que les éditions y sont groupées par familles, au lieu d'être énumérées dans l'ordre chronologique ou classées d'après le format. C'est la forme et la nature du texte, le plus ou moins de parenté ou de différence entre le texte d'une édition et celui des autres qui ont servi de principe dans cette œuvre de classification. Dans ce but, il fallait comparer les éditions entre elles. Mais comme il ne pouvait être question de les comparer toutes d'un bout à l'autre, travail qui dépasserait les forces d'un homme et qui d'ailleurs ne donnerait pas des résultats suffisamment certains, comme le prouve l'exemple de ceux qui ont tenté de l'entreprendre, M. Reuss a imaginé une méthode plus expéditive qui conduit tout aussi sûrement au but. Parmi la masse des variantes qui se rencontrent dans les manuscrits et les éditions imprimées du Nouveau Testament grec, il en a choisi mille (222 dans les épîtres pauliniennes, 151 dans les Actes, 136 dans Matthieu, 119 dans l'Apocalypse, 110 dans Luc, 94 dans Marc, 64 dans les épîtres de Jaques, Pierre et Jude, 55 dans l'évangile de Jean, 40 dans l'épître aux Hébreux et 9 dans les épitres de Jean). Le nombre de 1000 était assez considérable pour que les différences saillantes entre une édition et une autre ne pussent pas échapper à l'œil du critique, et pourtant pas assez pour que le travail de collation en devînt trop fastidieux. Les variantes, d'ailleurs, n'ont pas été prises au hasard ni choisies sous l'empire de quelque préoccupation que ce soit. Elles ont été prises autant que possible parmi celles qui affectent le sens même du texte ou qui ont acquis une certaine célébrité par les discussions critiques ou théologiques auxquelles elles ont donné lieu. Ce sont les passages renfermant ces variantes-types qui ont été conférés dans chacune des 657 éditions.

Cette méthode a le grand avantage de faire ressortir pour ainsi dire à première vue le plus ou moins de rapport qui existe entre deux textes. Elle indique même plus clairement le caractère et la valeur d'une édition que ne le ferait une collation complète de toutes les variantes indistinctement. M. Reuss en cite une preuve frappante § 5 des Præmonenda). Le critique anglais Mill ayant comparé entre elles les quatre éditions d'Erasme, constate que la deuxième (1519) diffère de la première (1516) en 400 endroits, la troisième (1522) de la deuxième en 118, la quatrième (1527) de la troisième en 106. On serait tenté de conclure de ces chiffres que la deuxième édition fut presque une œuvre nouvelle, tandis que les deux éditions subséquentes subirent des modifications beaucoup moins importantes.

Cependant, lorsqu'on regarde aux variantes qui ont pour effet de modifier réellement le texte, il se trouve que la deuxième édition ne diffère de la première qu'en 27 endroits sur 1000, la troisième de la deuxième en 15, la quatrième en 29, et que dans le plus grand nombre des cas les changements d'une édition à l'autre ne sont guère autre chose que des corrections typographiques, sauf dans la quatrième qui est un peu plus exacte dans l'Apocalypse.

Les treize premiers chapitres de l'ouvrage traitent de l'editio complutensis 1514 (tome V de la célèbre polyglotte publiée sous les auspices du cardinal Ximénès), des éditions d'Erasme et de différentes familles du texte dérivant directement ou indirectement de ces premiers travaux. Le chapitre XIV est consacré aux premières éditions critiques du XVIII° siècle, publiées antérieurement à Griesbach. Dans les chapitres XV à XXIV, l'auteur poursuit l'histoire du texte à partir de Griesbach jusqu'à nos jours. Il énumère ensuite, au chapitre XXV, des éditions suédoises, italiennes et anglaises non encore collationnées. Enfin il mentionne, chapitre XXVI et XXVI1, 8 éditions citées par des bibliographes, dont l'existence lui paraît douteuse, et 84 qui n'ont jamais existé. (On a pris pour des éditions du Nouveau Testament grec certaines éditions du Nouveau Testament latin ou néo-grec et même des éditions de l'Ancien Testament grec.) — L'ouvrage se termine par un index des éditions par ordre chronologique avec renvois à la page où chacune d'elle est décrite; un index des noms des éditeurs par ordre alphabétique, un index des variantes rangées en vingt-huit groupes, d'après les familles ou les éditions où elles ont fait leur première apparition dans le texte imprimé, enfin un index des passages cités, d'après l'ordre des livres bibliques.

[ocr errors]

Le livre de M. Reuss aura pour effet de réformer sur bien des points l'histoire traditionnelle du texte imprimé du Nouveau Testament. Bien des données et des appréciations qui, pendant longtemps, se sont transmises de confiance d'une isagogique à l'autre - souvent sur l'autorité d'on ne sait trop qui devront être corrigées ou complétées. Plusieurs critiques du XVII et du XVIIIe siècle, notamment Wells (1709-1719), Macius (1729) et Harwood (1776) que M. Reuss appelle le précurseur de Lachmann, sont vengés de l'injuste oubli où leurs mérites et leur nom même étaient tombés. Tel autre, plus ré. cent, qui a pris soin de remplir le monde de sa renommée tout en soumettant ses devanciers à une sévère critique, se voit remis à la place, très honorable du reste, qui lui revient selon la justice.

Un fait curieux qui résulte de cette histoire du texte mérite d'être

encore spécialement relevé, parce qu'il prouve combien les idées les plus répandues et qui semblent les moins sujettes à caution, reposent souvent sur un fondement peu solide.

On parle constamment, à propos du Nouveau Testament grec, d'un texte reçu. On entend par là le texte adopté par les Elzévir (1624), texte remontant à Bèze, aux Etienne et à Erasme, qui aurait été réimprimé sans changements pendant un siècle et demi jusqu'à Griesbach (1774). C'est à ce critique que reviendrait la gloire d'avoir mis le premier à la place de ce texte devenu stéréotype un texte plus correct tiré de sources plus anciennes. Or M. Reuss démontre clairement qu'un pareil texte reçu n'a en réalité jamais existé, et en même temps il explique l'origine de cette erreur. Le terme remonte à Griesbach qui appelle vulgaris et receptus le texte qu'il avait entrepris d'amender. Ce texte était en effet celui des éditions elzéviriennes. Mais le célèbre critique ne l'appelait de la sorte que parce que c'était le texte universellement reçu et presque seul connu de son temps dans les églises luthériennes de l'Allemagne septentrionale où sont situées les universités de Iéna et de Halle. Dans ces contrées on n'employait guère alors que les éditions sorties des presses de l'orphelinat de Halle et des officines de Voss à Leipzig et à Berlin, lesquelles reproduisaient purement et simplement le texte elzévirien de 1624 (c'està-dire en définitive le texte de Th. de Bèze). Elles se recommandaient par leur bon marché et avaient pour elles la routine orthodoxe. Griesbach lui-même connaissait les autres éditions alors existantes, mais il n'en a pas tenu compte parce que, dans le milieu où il vivait, elles n'étaient guère connues. On le voit, le critique de Iéna pouvait en son temps et dans son pays parler d'un texte reçu. Mais prise dans l'acception générale et absolue qu'on lui prête habituellement, cette expression est tout à fait inexacte et contraire aux faits. Sans doute le stabilisme croissant de la théologie protestante au XVIIe siècle se manifeste entre autres dans la tendance à faire du texte adopté par les Elzévir une sorte de texte masoréthique, à «l'entourer d'une haie» comme les scribes juifs l'avaient fait pour l'Ancien Testament, et à décrier, à persécuter même comme hérétiques ceux qui se permettaient d'y toucher; il suffit de rappeler le nom du bâlois J.-J. Wetstein. Il n'en est pas moins vrai que l'édition elzévirienne de 1624 n'a jamais joui de la dignité exceptionnelle et de l'autorité exclusive que l'on a bien voulu lui prêter après coup ensuite d'un malentendu. Bien avant Griesbach des hommes intelligents, érudits et courageux avaient publié le texte du Nouveau Testament sous une forme renou

velée, quelques-uns même sous une forme plus correcte que Griesbach ne le fit après eux, et plusieurs de ces éditions étaient assez généralement employées par les théologiens en dépit du prétendu texte reçu. Il serait, du reste, dans plus d'un cas, fort difficile de dire quelle est la leçon « reçue, » par la raison bien simple que la leçon changeait pour ainsi dire d'un jour à l'autre, même dans les éditions appartenant à une seule et même famille. Et à combien de critiques depuis Griesbach n'est-il pas arrivé d'opposer au soi-disant texte reçu des leçons qui, lorsqu'on y regarde de plus près, se rencontrent plus fréquemment dans les éditions antérieures à Griesbach que les leçons réputées reçues ! H. V.

F. DELITZSCH.

COMMENTAIRE SUR LA GENÈSE; 4me édition'.

«

Ce commentaire bien connu, dont la troisième édition avait paru en 1860, apparaît de nouveau, rajeuni et enrichi par dix années d'infatigable travail. C'est, en effet, une édition « entièrement remaniée » que le savant professeur de Leipzig offre au public théologique. Sans doute, le fond du livre est demeuré le même. Le point de vue général n'a pas changé : c'est toujours du point de vue de l'histoire du salut » que le contenu de la Genèse est envisagé; l'auteur s'applique a en faire ressortir le caractère religieux, symbolique et typique. La méthode exégétique également est la même: méthode reproductive, c'est-à-dire paraphrase explicative du texte, et non de simples scholies. Pas de changement non plus dans la manière de résoudre le problème de la composition de la Genèse et de celle du Pentateuque en général un homme doué de l'esprit prophétique (jéhoviste), et vivant du temps de Josué ou au commencement de l'épopue des juges, a donné au Pentateuque sa forme actuelle 1o en complétant l'œuvre d'un prêtre (écohiste), contemporain de Moïse, dans laquelle avait déjà été incorporé le livre de l'alliance (Ex. XIX-XXIV), et 2, en incorporant à son tour, à cette œuvre ainsi complétée, le Deuteronome mosaïque. Enfin l'explication du texte n'a pas non plus subi de modifications fondamentales; les passages difficiles, les termes susceptibles d'interprétations diverses sont expliqués en général de la même manière que précédemment. Ainsi les Bené-Elohim (VI, 2) sont des anges, et beshag

1 Commentar über die Genesis von Franz Delitzsch. Mit Beiträgen von Professor Fleischer und Consul Wetzstein. Vierte gänzlich umgearbeitete Ausgabe. Leipzig 1872, 602 pag. gr. in-8.

« PreviousContinue »