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possède; il nous la faut, parce que nous avons un devoir à accomplir et que nous ne pouvons pas l'accomplir sans son secours. La notion de vérité est donc une idée morale; d'abord parqu'elle ne peut se trouver que chez un être moral; ensuite parce qu'elle renferme l'idée d'un but qui ne peut être atteint que par l'activité d'un être moral; enfin parce qu'elle répond à une idée de devoir, et nous impose l'obligation de tendre à la perfection de la connaissance. Ainsi comprise, la notion du vrai est la base indispensable de celle du bien.

LE BIEN

Si le vrai nous était inaccessible, nous ne pourrions avoir une notion vraie du bien. Toutefois la méthode qui conduit à la vérité sur le bien n'est pas celle qui conduit à la vérité sur les choses, leur but et leur règle; le secours de l'expérience fait ici défaut. Une action en effet est bonne ou mauvaise suivant les buts qu'elle poursuit, les motifs qui la déterminent. Or, les buts et les motifs ne sont pas révélés par l'expérience, immédiatement au moins.

Nous appelons bien tout ce qui satisfait nos besoins, tout ce qui a une valeur pour nous. A ce titre, la vérité elle-même est bonne. L'homme est la mesure du bien, tandis que la mesure du vrai se trouve dans l'objet, dans l'ensemble du monde. Le bien est anthropocentrique, le vrai cosmocentrique.

Le critère du bien, c'est l'homme, mais l'homme tel qu'il doit être. Au physique comme au moral, ce qui convient à l'être sain ne convient pas toujours à l'être maladif; d'où résulte que la perfection est nécessaire au bonheur. Mais l'homme ne naît pas parfait; il faut distinguer en lui le bien du mal. Il faut distinguer aussi le bien ou le mal naturel, qui sont tout ce qui favorise la perfection ou s'y oppose, et le bien ou le mal moral, qui supposent une volonté humaine dans les conditions indiquées.

LE BEAU

La notion du beau se développe aussi graduellement. Elle a son point de départ dans un fait naturel et sensible, qui doit

être complété par un élément spirituel. L'élément naturel c'est la perception d'une apparence agréable ou désagréable; l'élément spirituel, c'est la satisfaction donnée par le beau comme par le bien et le vrai, au besoin de perfection, au sentiment de ce qui doit être. On arrive de la sorte à définir le beau : ce qui met en évidence la perfection humaine. Complétons la définition en disant : Le beau présente la perfection que l'hommedoit atteindre par sa volonté.

Le sens du beau se manifeste d'abord dans le goût de la parure, que nous trouvons chez l'enfant et le sauvage, L'homme cherche le beau d'abord en lui, et en étend plus tard l'idée au reste de la nature. La nature n'est belle qu'en sens qu'elle répond à des sentiments humains.

La faculté qui nous permet de distinguer le beau est l'imagination, laquelle travaille, souvent à notre insu, à mettre de l'ordre dans nos conceptions comme la force plastique en met dans les éléments matériels de notre être. L'imagination est satisfaite ou choquée par les données de nos sens; de là la cont fusion souvent faite entre ce qui flatte les sens et ce qui plaît à l'imagination; de là aussi l'attrait, l'amour qu'éveille en nous la contemplation du beau.

Cet attrait ne se retrouve pas toujours ni dans le vrai qui nous déplaît souvent, ni dans le bien qui se présente parfois sous la forme d'un devoir pénible à accomplir. Le beau est précisément destiné à nous faire aimer le bien et le vrai, en nous les signalant et les couvrant de charmes.

D. RAPPORT DE NOS DIVERSES IDÉES MORALES. LA RAISON. LA SCIENCE ET L'ART; L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

Pourquoi les notions fondamentales du beau, du vrai et du bien varient-elles suivant les temps et les personnes? Cela tient soit au développement inégal de l'idée de devoir dont elles sont des fonctions, soit au fait que la faculté de discernement, qui est nécessaire aussi, s'exerce avec plus ou moins de profondeur, de précision et de pureté; elle est souvent dénaturée par l'intervention d'intérêts personnels, de sympathies, etc. Les trois idées du beau, du bien et du vrai ayant be

C. R. 1873.

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soin les unes des autres pour se développer, cette solidarité a fait supposer l'existence d'une faculté unique de l'âme, qui s'appliquerait à ces trois objets et qu'on appelle la raison, Vernunft. Le sens de ce mot est difficile à déterminer. On considère généralement la raison comme la faculté qui nous permet de concevoir le suprasensible; elle tient nécessairement du sentiment, puisqu'il ne peut être ici question de sensation; elle renferme en outre un élément de discernement. Comme le nom l'indique (Vernunft de vernehmen), la raison est une prise de possession de certaines données; elle a une valeur pratique, puisqu'elle nous met en mesure d'atteindre nos buts; enfin, on se la représente comme un mobile, qui nous pousse à agir raisonnablement et s'efforce de régler les autres mobiles.

On voit que la raison met en jeu des facultés diverses; c'est à cause du caractère moral qui leur est commun qu'on les réunit dans une même conception et sous un même nom. La raison se présente ainsi comme le concours de toutes nos facultés, pour l'accomplissement de notre destinée.

L'esprit humain ayant besoin d'unité, ce concours des diverses facultés ne peut se faire qu'au moyen d'une répartition du travail entre les différents moments ou entre les différents individus qui composent une société. L'instant consacré à la recherche du vrai ne peut pas l'être à la réalisation du bien ou du beau. La personne qualifiée pour l'une de ces tâches ne l'est par le fait même généralement pas pour une autre. C'est ce qui a fait distinguer diverses sphères d'activité, dont certains individus font leur spécialité; ainsi la science, qui poursuit le vrai et l'art qui se propose le beau. Le bien est l'objet de la pratique qui est l'affaire de tout le monde, sans excepter le savant et l'artiste. C'est pour satisfaire leurs besoins communs au moyen de facultés diverses que les hommes s'organisent en sociétés, parmi lesquelles l'état et l'église tiennent le premier rang.

E. BUT ET DIVISION DE LA PHILOSOPHIE PRATIQUE.

Les diverses branches de l'activité humaine et les diverses institutions qu'elles font naître doivent conserver les unes vis

à-vis des autres une certaine indépendance, qui laisse pourtant subsister leur solidarité. La détermination de leurs limites ne peut être opérée que par la philosophie pratique ; elle seule est en mesure de montrer à l'homme les divers buts qu'il doit se proposer et d'assigner à ces buts leur importance relative. La philosophie pratique montre d'abord comment la nature humaine est essentiellement morale, et comment le sens moral est indispensable à la recherche et à la conquête du vrai; elle laisse aux autres sciences l'exécution de cette tâche.

Elle ne s'acquitte pas aussi facilement à l'égard du bien et du beau; ici elle doit entrer dans le détail. Elle se divise alors en plusieurs branches, qui sont la morale proprement dite, l'esthétique et le droit ; ce dernier, qui s'occupe de l'organisation de la société, de la création des conditions nécessaires au développement de l'homme moral, est un prélude nécessaire aux deux autres sciences. Mais on ne peut l'aborder que si on connaît la nature morale de l'homme. C'est ce qui a forcé l'auteur à faire précéder de l'étude que nous venons de résumer le traité de droit naturel que nous allons aborder maintenant.

(A suivre.)

HENRI BROCHER.

BULLETIN

THÉOLOGIE

E. REUSS.

BIBLIOTHECA NOVI TESTAMENTI GRAECI1

Ce n'est pas sans quelque tristesse que nous annonçons cette nouvelle publication d'un homme qui, durant de longues années, fut un des principaux soutiens de la science théologique protestante dans nos pays de langue française et qui ne nous appartient plus aujourd'hui. L'ouvrage que voici, le premier qu'il ait publié depuis les événements de 1870, est dédié à l'alma mater Argentoratensis rajeunie sous l'égide de l'empire germanique ressuscité. Mais la science, heureusement, n'est en soi pas plus allemande que française. Le livre de M. Reuss en est lui-même la preuve la plus éloquente, ne fût-ce que par l'idiome dans lequel il est écrit. La langue latine, que le savant professeur manie si bien, n'est-elle pas comme le symbole de ce cosmopolitisme ou de cette neutralité de la science?

La Bibliotheca Novi Testamenti græci est le type d'une œuvre d'érudition méthodique, exacte et patiente. Il est à craindre, seulement, que ce mérite même n'ait pour effet de la laisser passer inaperçue de la plupart de ceux qui ne sont pas exégètes ou critiques de profession. Raison de plus pour nous de la signaler à l'attention de ceux de nos lecteurs qui n'en auraient pas encore eu connaissance et qui, sans être du métier, s'intéressent aux recherches sérieuses sur le texte des Livres saints.

Contrairement à ce qui se voit souvent, cet ouvrage offre plus et Inieux que ne promet son titre. En effet, ce n'est pas ici un simple catalogue plus ou moins complet des éditions du Nouveau Testament grec, mais une véritable histoire critique du texte imprimé de 1514 à 1870.

'Bibliotheca Novi Testamenti graeci, cuius editiones ab initio typographiae ad nostram aetatem impressas quotquot reperiri potuerunt collegit, digessit, illustravit Ed. Reuss Argentoratensis. Brunsvigæ ap. Schwetschke et fil. 1872. VIII et 314 pag.

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