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THEOLOGIE DE L'ANCIEN TESTAMENT

PAR

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M. HERMANN SCHULTZ 1

(Suite et fin.)

SECONDE PÉRIODE

Le prophétisme.

La période caractérisée par l'importance du prophétisme, et qui s'étend, nous ne donnons que des chiffres approximatifs, de l'an 800 à l'an 459 avant Jésus-Christ, se subdivise au point de vue du développement religieux d'Israël en trois époques qu'il importe de distinguer soigneusement l'époque assyrienne (800-630), l'époque chaldéenne (630-555) et l'époque perse (555-459).

I. Epoque assyrienne. Au commencement de la période prophétique, le « présent du salut, » c'est-à-dire la réalisation. actuelle du plan divin par opposition à sa réalisation future, était déjà tombé en morceaux et ne présentait plus, comme au temps de David et de Salomon, toutes les conditions d'un développement idéal. Avec l'unité du royaume et du culte l'idée du « peuple de Dieu » s'était presque perdue. Il ne restait plus que l'ombre de la gloire passée. Les deux royaumes israélites étaient infidèles. Cependant ils pouvaient espérer encore le pardon et le relèvement tant que leurs ennemis étaient de petits états. Il en fut autrement lorsqu'une puissance gigantesque, l'Assyrie, apparut sur le théâtre de leur histoire. Les hommes attentifs à la voix de Dieu comprirent alors qu'un ter

Voir livraison d'avril 1873, page 161.

rible jugement était proche, que le peuple, pesé dans la balance, avait été trouvé léger.

Profondément ébranlé par un premier choc du roi Phul, le royaume du nord succombe bientôt sous les coups successifs de Teglathphalasar et de Salmanassar'. Abandonné du Dieu contre lequel il s'était révolté, Ephraïm doit mourir. Le corps de l'état se décomposé, les atomes en sont dispersés par l'exil. Il ne reste plus de peuple saint si ce n'est dans le royaume du midi. Là, il est vrai, la situation n'est guère meilleure. L'idolâtrie et la superstition se mêlent à l'adoration de Jhvh. Le fils de David devient vassal d'Assur. Là aussi la ruine semble imminente. Cependant il se fait sans bruit et sans apparence un travail intérieur de régénération. Interprétée par les prophètes, la religion mosaïque devient plus spirituelle et plus pure. La loi se transfigure, et atteint son expression la plus parfaite dans le Deuteronome et dans les discours moraux des grands prophètes. Ces influences sont assez puissantes pour retarder la mort de Juda, et amener des circonstances qui rappellent à plus d'un égard les glorieux commencements de l'existence nationale. Poussé par l'esprit des hommes de Dieu qui l'entourent, Ezéchias, digne descendant de David, entreprend une réforme religieuse et abolit les hauts lieux. La foi réveillée et raffermie donne le courage de secouer le joug de l'étranger. Au moment de l'épreuve, le miracle intervient comme aux temps primitifs. L'armée de l'orgueilleux Sennachérib est détruite en présence de la ville sainte. « La verge divine, qui s'était élevée contre son Seigneur, est brisée. » Juda est libre et peut de nouveau suivre sans entraves les lois de son Dieu. L'ancienne jalousie contre le royaume du nord fait place à des sentiments plus fraternels. L'espérance et l'amour embrassent désormais Juda et ce qui reste d'Ephraïm; et ces deux branches jadis rivales se réunissent pour constituer un seul peuple, Israël le peuple de Dieu. La grâce divine s'est manifestée avec

Pour ces noms dont l'orthographe est si vacillante, je suis celle qu'emploie M. François Lenormant dans son remarquable Manuel d'histoire ancienne de l'Orient jusqu'aux guerres médiques. Elle n'est d'ailleurs pas très différente de celle de M. Schultz.

éclat. On a fait l'expérience que la loi, la foi, le culte de la religion véritable forment une muraille capable d'arrêter et de repousser le courant de l'invasion; et qu'au contraire la prudence humaine et la confiance dans les grands de ce monde sont des appuis fragiles et trompeurs. Pourtant ces expériences, comprises par les prophètes, font peu d'effet sur la multitude; aussi sont-ils forcés de les représenter sous des couleurs sombres. Le ton général de leurs écrits n'est pas l'espérance pour un avenir immédiat. Eclairés par l'Esprit de Dieu, ils voient trop bien que ce sursis n'est pas encore le repos définitif; que le châtiment est retardé et non révoqué; que l'Eternel ne peut pas réaliser ses intentions à l'égard de son peuple sans le faire passer par la mort. Toutefois ce n'est pas l'Assyrie qui doit exécuter la sentence divine et mettre fin à l'existence de Juda. Elle marche elle-même à la destruction. Des nations nouvelles se disputent l'empire du monde, jusqu'au moment où la capitale d'Assur, la superbe Ninive, succombe après de longs combats. Mais le décret d'en haut n'en sera que plus sûrement réalisé par la formidable puissance qui tient maintenant le sceptre universel, par le serviteur de Dieu, l'invincible Nabuchodorossor, le grand monarque du nouvel empire de

Chaldée.

De sombres

II. Epoque chaldéenne ou babylonienne. nuages, s'amassant de tous côtés, annoncent à Israël une catastrophe inévitable. Placé entre la riche et belliqueuse Egypte et l'état babylonien, qui entend avoir pour lui seul l'immense héritage d'Assur, le petit territoire d'Israël, champ de bataille naturel des deux colosses, a tout à craindre de leur conflit. Dès ses premiers pas, la monarchie chaldéenne déploie une si étonnante vigueur et fait de si brillantes conquêtes que, dans toutes les contrées de l'Asie antérieure, les cœurs tremblent à l'approche de ses armées. Plus près, tout autour de soi, Juda voit des peuplades jalouses et hostiles: Edom, la Philistie, les tribus farouches du désert. Dans le peuple même la mondanité et la corruption, le culte de la Reine du ciel devenu presque culte d'état, l'infidélité atteignant jusqu'aux sacrifica

teurs et aux prophètes. Aucune force pour résister au mal et pour détourner le péril.

Alors se manifeste un phénomène que les âges précédents n'ont pas connu, du moins à ce degré de clarté et de gran deur. Du milieu du peuple, qui dans son ensemble a perdu sa vie religieuse, se distingue un noyau fidèle, qui se groupe naturellement autour des hommes inspirés. C'est là l'Israël véritable. Il s'attache à la vocation du peuple, à sa religion avec une ferveur, une pureté et une puissance incomparables. Il fait tous ses efforts pour ressusciter la nation tout entière en lui communiquant le souffle de l'amour et de la foi. La loi prophétique, le Deutéronome, devient en effet loi du royaume. Mais, d'une façon générale, cette noble tentative échoue. Le levain ne suffit pas pour pénétrer et faire lever la lourde masse du peuple matérialisé. Le véritable Israël est foulé aux pieds. Cet insuccès paraît au premier abord mystérieux et inexplicable. Nous rencontrons ici, dans une de ses réalisations particulièrement saisissantes, l'élément le plus tragique de toute histoire, cette loi d'après laquelle le châtiment, attiré par les longues fautes des pères, tombe sur une génération meilleure et à demi réformée.

Il y a là pour Israël une situation nouvelle et très digne de remarque. Le noyau sain de la nation ne mérite pas la mort, et serait tout à fait capable d'inaugurer une nouvelle période de vie et de riche développement religieux. Si cet Israël spirituel doit mourir, ce n'est pas pour ses péchés, c'est pour ceux des autres. Et un peuple pour lequel meurent de tels hommes, un peuple qui porte encore dans son sein de telles forces de dévouement ne peut pas être à toujours perdu. De pareils hommes, de pareils dévouements sont pour la nation dans son ensemble le gage certain de la réconciliation, de la résurrection après la mort à laquelle elle ne peut plus échapper.

Et si la punition doit frapper précisément cet Israël véritable, ce fait ne nous permet-il pas de regarder plus avant dans les voies de Dieu ? En voyant que l'amélioration et la purification, que la communion filiale avec Dieu peut être sans effet extérieur ou même avoir pour rémunération une part excep

tionnelle de douleurs et de misères, on apprend à séparer les idées de prospérité terrestre et de vraie gloire intérieure. La souffrance envoyée à l'individu cesse pour toujours d'être considérée comme un messager de la colère d'en haut; elle s'allie à la conscience de l'amour de Dieu; on y voit même une révélation spéciale de cet amour. On connaît désormais une souffrance pour autrui, pour l'humanité, une souffrance librement acceptée pour le peuple du salut et destinée à y conserver le germe d'un avenir meilleur. De la pensée des victimes involontaires et sans valeur que la loi réclamait l'âme s'élève à la pensée du sacrifice de soi, du dévouement cordial et spontané.

Enfin, plus le spectacle du présent offre de contradictions non résolues et d'inquiétantes énigmes, plus l'esprit religieux se sent contraint de chercher au-dessus de l'existence terrestre un bonheur suprasensible et éternel, indissolublement lié à la vie en Dieu. Comme la nature de la religion juive pouvait nous le faire prévoir, ce résultat n'est atteint, sans doute, par l'individu que lentement, insensiblement, plutôt dans de pieux élans du cœur qu'avec une connaissance claire et permanente. Mais le peuple y arrive d'un seul bond, et trouve la consolation de sa ruine imminente dans l'espérance de sa propre résurrection et de l'établissement définitif d'un glorieux royaume de Dieu.

La catastrophe fut prompte et subite. Le roi Sédécias ayant · manqué vis-à-vis des Chaldéens à son serment de vasselage, et tenté dans des circonstances désespérées une guerre d'indépendance, la vengeance ne se fit pas attendre. Une épouvantable destruction fondit sur le pauvre royaume. Ce que les Chaldéens y laissèrent, une poignée d'agriculteurs tributaires, périt à son tour au bout de peu de temps, après une révolte insensée où le gouverneur Guédalja perdit la vie. Les derniers membres du peuple saint ou bien trouvèrent la mort dans leur fuite en Egypte, ou bien furent emmenés captifs à Babylone. Jérémie lui-même disparaît dans la débâcle universelle.

Mais ces angoisses et ces détresses font ressortir dans toute sa gloire le véritable Israël, né des tribulations des derniers

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