Page images
PDF
EPUB

comme la continuation d'une existence individuelle au delà du tombeau? Le retour dans le sein du grand tout, le Nirvana bouddhiste sont pour eux des conceptions inconnues. Pour les mêmes raisons, le Sémite pur n'avait aucune tendance à l'ascétisme ou au monachisme. Le célibat est pour l'Arabe quelque chose d'inouï, d'incompréhensible. Avoir si possible plusieurs femmes et une nombreuse postérité, voilà l'idéal du bonheur terrestre.

Rappelons, en terminant, que c'est sans doute à cette subjectivité si prononcée qu'il faut attribuer le fait que les Sémites n'ont pas dans leurs religions de dogmes rigoureusement déterminés. Seuls, certains principes généraux sont admis partout (unité de Dieu, providence, rémunération, etc.); mais les préciser, les déterminer, les étudier, en un mot, c'est l'affaire de chacun. De là résultent naturellement des avis divergents et, en même temps, une grande liberté d'opinion. On sait assez que les Ariens ont une tendance tout opposée.

III. La profondeur el la vivacité du sentiment, la tendance à l'idéalisme, qui forment le troisième caractère spécifique des Sémites, se manifestent, tout d'abord, dans la sphère religieuse.

On sait que les Sémites, les Hébreux en particulier, ont été les créateurs de notions religieuses nouvelles, inconnues aux peuples indo-germains même les plus développés. Tandis que l'antiquité a presque toujours conçu la divinité comme une force capricieuse et aveugle, qu'il s'agissait avant tout de fléchir ou d'apaiser, les Sémites la regardaient bien plutôt comme une puissance miséricordieuse et surtout morale. La religion n'était point un compromis entre l'homme, être faible, et la divinité touté-puissante; mais elle avait sa source dans le cœur, et était basée sur l'idée de l'amour. C'est aux Sémites, aux Hébreux surtout, que nous devons ces précieuses notions; et jamais nous ne saurions leur en être assez reconnaissants.

De cette profondeur de sentiment procèdent encore la douceur et l'humanité des Sémites. On connaît les lois mosaïques concernant le traitement des esclaves et même des animaux, la bienfaisance et l'hospitalité proverbiales de l'Arabe. Aujourd'hui encore, les juifs se distinguent par leur charité. On ne rencontre, pour ainsi dire, pas une seule communauté juive où n'existe quelque institution pour le soulagement des pauvres et des malades. Mais, comme partout, le défaut touche de près la qualité. A la profondeur, à la vivacité de sentiment se joint bientôt la passion. La haine, comme l'amour, se

manifeste chez le Sémite avec toute son ardeur. La vengeance est pour l'Arabe, par exemple, un devoir sacré.

Chez les Ariens, les héros, les fondateurs de dynastie, sont, en général, de grands conquérants. L'idéal du grand homme est le soldat plein de bravoure et de talents. Ce sont des combats, des prodiges de valeur, la force physique, en un mot, que chantent les épopées de l'Inde, les poëmes d'Homère ou les Niebelungen. Pour le Sémite, au contraire, l'idéal du héros est, non le guerrier illustre, mais le sage, le prophète. C'est un Salomon, un Mahomet, et non les Chalid ou les Okba, qui pourtant, en peu d'années, fondèrent un empire aussi grand que celui des Césars. David chez les Hébreux, Ali chez les Arabes, sont plus renommés par leur piété et leur sagesse que par leurs exploits militaires. Aussi les Sémites ne font-ils pas la guerre pour le plaisir de la guerre, comme cela n'arrive que trop souvent chez les Ariens. Pour eux, la guerre a toujours un but pratique se défendre contre les ennemis, secouer un joug odieux, faire du butin; ou bien encore, ils prennent les armes pour l'amour d'une idée, pour la défendre ou la propager au loin. Ce n'est pas à eux que l'on pourrait faire le reproche de ne pas tout sacrifier, même leur vie, pour un principe. Les auteurs grecs, par exemple, ne comprenaient absolument pas comment un juif se laissait mettre à mort plutôt que de violer le sabbat. Du reste, la patience des juifs, dans les nombreuses persécutions qu'ils ont endurées, leur héroïsme au milieu de la souffrance, l'opiniâtreté avec laquelle ils ont défendu leur cause, prouvent suffisamment notre thèse. Ce n'est que par le christianisme, d'origine sémitique, que le monde arien a appris à souffrir pour une idée, pour un intérêt moral. L'antiquité nous offre, sans doute, des exemples d'hommes mourant pour le bien de l'état; mais ceux qui sacrifièrent leur vie pour l'amour d'une idée y sont rares.

Cette haute valeur, accordée aux choses de l'esprit, se manifeste encore dans l'importance attachée à l'instruction. L'école est chez les juifs une institution très ancienne et exerça chez eux une influence immense. Instruire les enfants, répandre partout les connaissances est pour le juif, comme pour le mahométan, un devoir religieux. Est-il nécessaire de rappeler ici l'influence intellectuelle des Arabes en Espagne, où les cours des califes et les maisons des grands étaient devenues le siége de riches bibliothèques et l'asile de savants illustres, et cela dans un temps où l'ignorance était l'apanage des hommes les plus haut placés en Europe?

Un fait encore est à signaler, c'est le culte sans images, sans idoles

des Sémites. C'est là une autre conséquence de leur idéalisme. Il est vrai que sur ce point il y eut de nombreuses exceptions, de longues luttes. C'est ce qui arriva, entre autres, en Palestine; mais, à la longue, le principe d'un culte spirituel l'emporta sur l'autre, grâce à la tendance générale du caractère national.

Enfin et surtout, cet idéalisme se manifeste dans les espérances d'un avenir meilleur. Quel idéal se faisait le plus distingué des peuples de cette race, le peuple juif? Il attendait et entrevoyait un temps où la vérité régnerait en maîtresse souveraine, où les épées et les lances seraient transformées en instruments de paix Puisse, un jour, cet idéal se réaliser!

[ocr errors]

HERM. STRACK. PROLEGOMÈNES CRITIQUES A L'ANCIEN TESTAMENT HÉBREU'.

«En voyant paraître presque chaque mois de nouvelles éditions critiques d'auteurs grecs et romains, et en songeant à tous les travaux accomplis dans ce siècle par les Lachmann, les Tischendorf et tant d'autres, en vue d'améliorer le texte du Nouveau Testament, je n'ai pu m'empêcher de déplorer le peu de soins qu'on a voués à la Bible hébraïque depuis de Rossi. Aussi ai-je résolu de consacrer tout ce que j'ai de forces à la critique sacrée. » C'est par ces mots que s'ouvre la préface du peu volumineux, mais substantiel ouvrage que nous avons sous les yeux. L'auteur, un jeune savant berlinois récemment promu an doctorat, a déjà fait ses preuves en philologie en rééditant un vocabulaire de l'Anabasis de Xénophon, et en soumettant à la faculté de philosophie de Leipzig un travail sur les manuscrits de l'Ancien Testament hébreu, auquel des juges compétents ont fait le meilleur accueil. Les Prolegomena critica qu'il vient de publier sont le développement et la continuation de cette dissertation académique. Ils font bien augurer des services que M. Strack pourra rendre à la critique du texte hébreu, s'il lui est donné de poursuivre ses consciencieux travaux.

Le texte hébreu dont nous nous servons aujourd'hui n'est pas correct. Les éditions usuelles ne donnent pas même le texte masoréthique dans toute sa pureté. Elles ne font guère que reproduire, avec

1

Prolegomena critica in Vetus Testamentum hebraïcum... scripsit Hermann L. Strack, ph. dr. Lipsiæ 1873. VIII et 131 pag. in-8.

quelques modifications qui sont loin d'être toujours des améliorations, le texte de la Bible de Venise, publiée en 1525 par le Rab. Jacob ben Chayim, texte fautif tiré d'une copie manuscrite fautive ellemême. Il importe donc de profiter de tous les moyens disponibles pour rétablir le texte biblique dans son intégrité. Plusieurs savants, tant juifs que chrétiens, ont déjà travaillé dans ce but, en recueillant des variantes. Parmi les juifs : le Rab. Méir de Tolède (†1244), dans sa Haie de la Loi; le Rab. Ménahem di Lonzano, dans sa Lumière de la Loi; Sal. Nortsi (commencement du XVIIe siècle), dans son Réparateur des brèches, connu, sous le nom Minchath Schai, par les notes qu'en a extraites l'éditeur de la Bible de Mantoue (1742-44); sans parler de quelques modernes tels que Dubno, Wolf Heidenheim, Seligmann Bær. Parmi les chrétiens Benj. Kennicott, professeur à Oxford (Vet. Test. hebr. cum variis lectionibus 1776-80), secondé par l'Allemand P.-J. Bruns; J.-Bernh. de Rossi (Variae lectiones Vet. Test. 1784-88; suppl. 1798); de nos jours M. Delitzsch dans ses commentaires. Mais de ces travaux la plupart ne se rapportent qu'à certains livres de l'Ancien Testament; plusieurs, ceux des juifs en particulier, sont presque inaccessibles aux théologiens chrétiens, parce qu'il n'en existe que de rares exemplaires et qu'ils sont écrits en dialecte rabbinique; que lques-uns, comme celui de Kennicott, laissent beaucoup à désirer sous le rapport de l'exactitude. La critique du texte hébreu n'en est donc encore qu'à ses débuts. Elle n'est pas même bien fixée, jusqu'à ce jour, sur les voies et moyens à employer pour accomplir sa tâche de la façon la plus sûre et la plus fructueuse. Notre auteur pense que la meilleure marche à suivre consiste à partir du texte actuel et à remonter graduellement le cours des siècles, aussi près que possible de l'époque où les livres ont été écrits. S'agit-il de faire une édition critique des chants d'Homère, comment procédera-t-on ? On s'informera d'abord de ce que fut le texte d'Aristarque; puis on rassemblera les vers homériques cités par les auteurs grecs tels que Platon, Hérodote, etc., on réunira tout ce qu'il est possible de savoir de la recension de Pisistrate, etc. De même pour préparer une édition critique de l'Ancien Testament, on commencera par recueillir les variantes fournies par les manuscrits; on cherchera à reconstruire la recension des rabbins et des Masorèthes; on examinera si à l'époque des talmudistes et des anciennes versions le texte présentait des leçons différentes et quelles étaient ces leçons, et ainsi de suite, en remontant, autant que faire se peut, à la forme la plus ancienne, la plus rapprochée du texte primitif.

Dans la présente publication, M. Strack s'occupe spécialement des manuscrits et du texte biblique tel qu'il était au temps des talmudistes.

Au livre Ier, après avoir parlé du soin que les juifs apportaient à la conservation de leurs livres saints, il donne d'intéressants détails sur quelques manuscrits aujourd'hui perdus, mais mentionnés soit dans d'autres manuscrits soit dans les écrits des rabbins. Les plus importants et les plus célèbres sont ceux de Hillel (non pas, comme on l'a longtemps cru, de Hillel l'ancien, mort vers le commencement de notre ère; ni de Hillel le jeune, du IVe siècle, mais probablement d'un sopher espagnol, postérieur au VIe siècle), et du Rab. Moïse ben-Naphtali le karaïte, qui vivait vers l'an 900 en Babylonie.

Quant aux manuscrits encore existants, le chapitre qui leur est consacré commence par une revue des ouvrages, dissertations, catalogues de bibliothèques publiés jusqu'à ce jour, où sont décrits et caractérisés les manuscrits connus. - Un paragraphe spécial traite de la collation des manuscrits. L'auteur constate que personne, jusqu'ici, n'a recueilli toutes les variantes qui se rencontrent dans les meilleurs d'entre eux, et qu'on n'a pas encore discuté suffisamment leur âge, leur provenance et leur valeur. Bon nombre de manuscrits sont sans valeur critique et ne peuvent entrer en ligne de compte, parce qu'ils ne sont que des copies faites sur tel ou tel manuscrit plus ancien encore existant; il importe donc de bien établir la filiation des manuscrits. Pour bien juger de la valeur d'un manuscrit de la Bible hébraïque, il faut toujours rechercher pour quel usage il a été écrit, si c'est pour l'usage public ou pour l'usage privé; car il est constant que les volumes écrits pour l'usage synagogal ont été l'objet de beaucoup plus de soins que les autres. Il faut s'assurer aussi si le copiste ou le correcteur ne s'est pas laissé influencer par quelqu'une des versions anciennes. Dans la détermination de l'age des manuscrits il faut user de beaucoup de précaution; en effet, les scribes indiquent de bien des manières différentes l'année où ils ont confectionné leurs copies; tantôt ils comptent d'après l'ère des Séleucides, tantôt d'après celle de la création du monde, tantôt d'après la ruine du temple ou l'exil de Babylone, etc., et ils ont négligé parfois d'indiquer l'ère. Souvent, dans ces souscriptions, il y a des erreurs manifestes; souvent la lettre indiquant le siècle ou le millénaire est omise; souvent aussi la date est fictive, pour donner au manuscrit une apparence d'antiquité. Enfin il faut toujours rechercher où la copie a été faite; car il existe de notables différences entre les manuscrits espagnols et allemands, entre les manuscrits orientaux (babyloniens) et occidentaux (palestiniens).

« PreviousContinue »