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ce mot dans sa plus mauvaise acception, est la volupté ou la licence politique. Elle consiste à se laisser aller à tous les instincts, à toutes les passions, sans leur résister jamais. La réaction va contre les tendances générales, et croit pouvoir se passer de l'appui des sentiments populaires. La réaction systématique reste toujours stérile. Enfin la réforme peut être considérée comme une combinaison des deux systèmes précédents, qu'elle emploie chacun à sa place. Elle donne satisfaction aux instincts, mais non pas à tous; elle opère le départ des désirs auxquels il convient de céder, et de ceux auxquels il est nécessaire de résister. Elle évite le laisser aller, en prenant l'initiative de ce qu'elle juge bon; elle emploie de la sorte les forces du pays dans une bonne direction, et les empêche, par ce fait même, d'en prendre une mauvaise. Aussi peut-elle faire beaucoup de bien, tandis que la révolution ne fait que du mal, et que la réaction ne fait rien. Elle est une œuvre de l'esprit, de la raison; elle suppose le discernement et par conséquent la conscience des besoins et des positions.

VII

Ainsi le monde moral commence, à l'instar du monde physique, par un chaos d'éléments dont aucun n'est mauvais en luimême, mais qui peuvent tous être nuisibles en se contrariant. Il s'agit de mettre l'ordre dans ce chaos. C'est l'œuvre d'une force, ou si l'on veut, d'une idée particulière, que l'on a appelée l'idée ordonnatrice, et que l'on peut considérer comme l'essence de l'esprit. Semblable à l'homme au milieu de la création qu'il est destiné à compléter, à l'homme d'état digne de ce nom, dans le peuple qu'il a mission d'organiser, l'esprit est une partie de l'âme appelée à régler les autres. C'est lui qui émondera pour faire porter plus de fruits, qui retranchera ce qui est stérile pour faire place à ce qui est fécond. Il ne crée pas, si créer c'est faire sortir quelque chose de rien, car son rôle consiste à choisir entre les mobiles donnés par la nature, à réprouver les uns pour élire les autres. Ainsi la liberté de l'homme n'est pas positive et productrice comme celle de Dieu; elle est négative, élective;

elle se borne à retrancher. Elle ne fait rien par elle-même, et se borne à laisser agir les forces productrices qu'elle ne supprime pas. Aussi peut-on dire que les oeuvres de l'homme sont en même temps l'oeuvre de Dieu, et que sans l'aide de Dieu, l'homme ne peut pas ramasser un fétu. Ainsi comprise, la liberté de l'homme n'entame en rien la toute-puissance de Dieu. L'homme est libre, parce que Dieu veut lui laisser le choix entre plusieurs alternatives; mais dans cette mesure même, il ne peut pas ne pas finir par mettre à exécution la volonté divine.

En effet, nous avons vu que l'homme est déterminé dans ses actes par la jouissance et la souffrance, auxquelles il est capable de résister, mais qu'il ne saurait supprimer; il ne dépend pas de lui de n'être pas attiré par l'une, repoussé par l'autre, bien qu'il puisse surmonter cette attraction ou cette répulsion à l'aide d'autres attractions ou d'autres répulsions. L'homme peut, dans certains cas particuliers, se soustraire à ces tendances; mais il ne s'y soustrait pas en somme; en dernière analyse, ses actes sont déterminés par la jouissance et la souffrance. Or, c'est Dieu qui fait que l'homme jouit de certaines choses et souffre de certaines autres. L'homme pourra, dans un cas particulier, égaré par l'erreur et la passion, agir dans le sens de la souffrance; mais ce ne sera là qu'un accident passager, qu'un acte neutralisé par une foule d'autres commis en sens inverse. En somme, l'homme agit dans le sens de la jouissance, dans le sens dans lequel Dieu l'a prédestiné à agir. Dieu veut que dans la règle l'homme évite de toucher le feu, mais qu'il puisse le toucher accidentellement. Il lui permet de le faire, mais il établit que l'homme se brûlera s'il le fait. La volonté de Dieu s'accomplit, même quand l'homme lui désobéit, puisqu'il est puni de sa désobéissance.

Ainsi l'homme est conduit, par la satisfaction de ses besoins, à accomplir la volonté de Dieu. On peut le comparer à l'animal destiné à produire de la viande, de la laine, du miel, de la soie, qui réalise sans s'en douter le plan de l'éleveur en assouvissant l'instinct naturel qui le porte à se nourrir. Mais ce qui est toujours inconscient chez l'animal peut devenir conscient chez

l'homme; celui-ci peut arriver à comprendre que son plus grand intérêt, le meilleur moyen de satisfaire les besoins qui l'agitent. c'est de vouloir ce que Dieu veut. L'homme n'a le choix qu'entre deux alternatives: opposer des obstacles à la volonté divine, en rendre la réalisation plus lente, plus laborieuse et par conséquent plus douloureuse pour lui; ou, pour parler avec un prophète, préparer les voies et aplanir les sentiers du Seigneur. Mais plus tôt ou plus tard, la volonté de Dieu s'accomplira toujours. L'intérêt de l'homme est de faire cesser le tiraillement, la lutte qui précède et prépare cet accomplissement.

Aussi, au fur et à mesure que l'homme fera des expériences et en profitera, qu'il apprendra à connaître la conduite que lui prescrivent ses véritables intérêts, le règne de Dieu s'établira sur la terre. Son avénement prendra peut-être, dans le domaine du droit, la forme la plus claire. L'homme tâtonne à la recherche des meilleures lois; après bien des péripéties, il sera conduit à établir celles qu'il était prédestiné à établir, auxquelles Dieu voulait le conduire, mais que Dieu seulement voulait lui laisser chercher, peut-être pour mieux lui en faire sentir l'excellence. Il y a donc un droit divin, ou, comme on dit, un droit naturel, qui n'est pas réalisé, pas même dans la pensée d'aucun homme, mais dont nous subissons l'influence, et par lequel nous sommes attirés, en majeure partie à notre insu. Ce droit naturel, nous devons le chercher, mais nul de nous ne doit prétendre le posséder, et par conséquent l'enseigner. Nous avons des opinions sur le droit naturel, mais non pas le droit naturel lui-même.

Ainsi, l'idée fondamentale de la liberté est une idée de SÉLECTION. L'existence d'une pluralité de tendances, souvent contradictoires, sinon dans leur essence, au moins dans leurs moyens de satisfaction, n'est mise en question par personne. Le point contestable, le fond de la controverse entre le matérialisme et le spiritualisme, se trouve ailleurs. Les diverses tendances en présence sont-elles livrées à leurs propres forces, de telle sorte que la plus puissante l'emporte nécessairement sur celle qui l'est moins, ou l'homme peut-il modifier cet ordre naturel, ré

sister à la sollicitation plus forte pour en faire triompher une plus faible; en d'autres termes, dépend-il de nous de renforcer à notre choix l'influence de certaines sollicitations pour en atténuer d'autres ? C'est ce que nous affirmons. Dans un concert, l'attention peut s'attacher à certain instrument moins éclatant, le suivre à l'exclusion des autres, à l'action desquels elle se soustrait; il se passe quelque chose d'analogue à l'égard des sollicitations. Nous pouvons nous rendre volontairement sourds à celles qui sont à la fois impérieuses et inconstantes, qui nous traîneraient d'exigence en exigence sans jamais être assouvies, et prêter une oreille attentive à d'autres, plus douces, plus égales, plus faciles à satisfaire par conséquent. Mais la comparaison s'arrête là; nous ne diminuons en rien dans le concert la puissance des instruments que nous négligeons; l'expérience nous apprend au contraire que, bien souvent au moins, nos différents désirs ne sont que les diverses formes d'un même besoin, de telle sorte que nous faisons taire les uns en donnant satisfaction aux autres. Il s'agit donc de discerner ceux qui peuvent, et ceux qui ne peuvent pas être assouvis, de développer, d'alimenter les uns, en supprimant les autres. Ainsi nous ferons cesser bien des souffrances; ce sera le triomphe après la lutte. HENRI BROCHER.

LE

SIECLE DE JESUS-CHRIST'

PAR

A. HAUSRATH

DEUXIÈME PARTIE

Le temps des apôtres.

IV. Le paulinisme.

Saint Paul fut l'homme chez qui l'idée chrétienne arriva à sa maturité; il eut le courage de consacrer sa vie entière à ce que les autres fidèles ne faisaient qu'accidentellement. Son importance consiste en ce qu'il se donna pour tâche de faire entendre parmi les juifs de la dispersion cette prédication du royaume qui avait été réduite au silence en Galilée. Grâce à sa nature infatigable, il réussit à proclamer jusque dans les synagogues de l'Asie mineure, de la Macédoine, de l'Illyrie et de l'Achaïe les pensées et les espérances qui déjà depuis longtemps agitaient les localités où les juifs se trouvaient en grand nombre. Ensuite, son esprit radical sut tirer les conséquences de la doctrine qui veut que la participation au royaume prochain dépende entièrement de l'attitude qu'on prend à l'égard de Jésus; cela le conduisit à se tourner immédiatement vers les païens et à entraîner les populations d'entre les gentils dans le mouvement qui agitait les juifs. Enfin et surtout ce qui fit l'importance de saint Paul, c'est qu'il donna la théorie de cette

Voir la livraison de janvier 1873.

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