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CHAPITRE III

La tombe et la résurrection.

Les crucifiés après leur mort restaient ordinairement pendus au bois; mais par égard pour les Juifs les Romains permettaient, on le croit du moins, la sépulture des crucifiés. Ce fut un ami courageux de Jésus, qui, gardant pour son infortuné maître l'affection qu'il avait eue pour lui pendant sa vie, donna une preuve éclatante de son dévouement en allant demander à Pilate le corps de Jésus. Nous suivons ici le récit tout simple de Matthieu. Le quatrième évangile arrange l'histoire et y introduit des éléments étrangers pour produire trois miracles, dont les synoptiques ne font pas la moindre mention: D'abord le sang et l'eau que le coup de lance fait sortir de Jésus, phénomène physiologiquement impossible; puis la réalisation des paroles de Moïse touchant l'agneau pascal, dont les os ne doivent point être brisés; enfin l'accomplissement de la prophétie de Zacharie: « Ils verront celui qu'il ont percé. »

Joseph d'Arimathée, aidé de quelques serviteurs ou des soldats présents, descendit le corps de Jésus et, avec le secours des femmes galiléennes qui s'étaient tenues à quelque distance du crucifié, il le déposa dans un sépulcre, après l'avoir lavé et entouré de bandes de toile selon la coutume. Il est peu probable qu'ils l'aient embaumé. On trouve dans un des passages ajoutés au Matthieu primitif un détail concernant la garde, que les juifs auraient fait placer devant le sépulcre. Mais cette donnée a été imaginée après coup et doit son origine aux intérêts polémiques des chrétiens dans leurs discussions avec les juifs. Le fait même de l'ensevelissement de Jésus, contesté par quelques commentateurs, ne peut être renversé par la critique.

Nous abordons maintenant le sujet de la résurrection. En présence des contradictions multiples des évangiles, on est heureux de pouvoir recourir aux écrits de Paul, qui dans ses épîtres, surtout au chapitre XV de la première aux Corinthiens,

nous donne les détails les plus authentiques qu'on possède sur la résurrection. Il nous raconte de bonne foi ce que lui ont raconté des personnes de bonne foi.

D'après la relation de Paul, il paraît assuré que toutes les révélations de Jésus ressuscité eurent lieu en Galilée, fait que confirment Matthieu et Marc. D'ailleurs on se rappelle que les disciples s'étaient enfuis de Jérusalem. Il n'est pas probable, qu'ils se fussent rendus nulle part ailleurs que dans leur pays. Ce ne fut que plus tard, sous l'influence de divers motifs, pour sauver l'honneur des apôtres compromis par leur fuite, ou parce que Jérusalem était devenu le point central de l'église, qu'on chercha à y transposer les apparitions du ressuscité. Ces apparitions commencèrent très tôt après la mort de Jésus et ne se répétèrent que peu de temps. Celle que Paul eut sur le chemin de Damas n'eut lieu que plus tard, l'année d'après, probablement.

Paul appelle ces apparitions du nom de visions. Il n'a fait mention d'aucune parole prononcée par Jésus dans ces circonstances-là, bien qu'il ait eu souvent l'occasion de citer les mots que le livre des Actes met dans la bouche de Jésus lors de la vision sur le chemin de Damas. Les évangiles au contraire s'efforcent de donner la teinte la plus réaliste aux apparitions de Jésus, au moyen de détails bien matériels.

Des cinq visions mentionnées par Paul, il n'y en a que deux ou trois qui soient rapportées aussi par les évangiles. On se demande si Paul n'a pas su l'apparition de Jésus à Madeleine, ou s'il n'a pas voulu en parler; on pourrait hésiter si cette apparition ainsi que celle de Clopas étaient authentiques; mais les récits qui s'y rapportent ne le sont pas; on voit trop bien qu'ils ont dû leur origine à la tendance prononcée qu'on avait dans les premiers temps de l'église, à tirer de faits purement spirituels des conséquences palpables.

Quant au fait que le tombeau de Jésus aurait été trouvé vide, Paul n'en dit pas un seul mot, et comme les disciples n'étaient pas à Jérusalem, que l'attouchement des morts, l'abord des tombes étaient considérés comme des souillures, et que les juifs n'apprirent que plus tard ces bruits de résurrection,

on est forcé d'admettre que cette assertion des évangiles est une création arbitraire de la légende. Ce qu'il y a d'historique, ce sont donc les apparitions, considérées alors comme des effets de la résurrection et qui donnèrent naissance à beaucoup de traits imaginaires et fantastiques. En outre il est certain que la première apparition eut lieu vers le soir du sabbath, au temps où Pierre fuyait du côté de la Galilée, ou le matin du dimanche, que l'église dès lors transforma pour cela en jour du Seigneur.

Les légendes auxquelles a donné lieu la résurrection, et qu'on trouve soit dans les évangiles canoniques, soit dans l'évangile des Hébreux et dans les Actes de Pilate, s'amplifient d'un livre à l'autre et deviennent de plus en plus matérielles à mesure qu'elles s'éloignent des événements, comme nous l'avons déjà remarqué pour plusieurs autres détails.

Pour expliquer les faits on a eu recours à diverses hypothèses. Nous laissons de côté celle qui voit dans la résurrection une supercherie des disciples et celle qui transforme la mort de Jésus en une léthargie, dont la fraîcheur du tombeau et les aromates l'auraient réveillé. Ces hypothèses sont insoutenables. Quant à celle qui a le plus de vogue aujourd'hui, et d'après laquelle les apparitions du ressuscité ne seraient que des visions subjectives des disciples, de pures hallucinations, nous reconnaissons qu'elle a quelque chose d'assez plausible; elle semble tenir compte des faits, trouver un ferme appui dans de nombreux cas analogues tirés de l'histoire sainte et de l'histoire profane; elle nous dispense de la tâche difficile de croire à la résurrection traditionnelle; elle se légitime elle-même par l'effet puissant que devait produire sur les disciples le souvenir imposant de leur maître et par les impressions encore vives qu'ils avaient reçues de sa personne. D'un autre côté les objections élevées contre cette hypothèse au nom de la morale et du christianisme lui-même n'ont pas une valeur bien considérable. Cependant nous ne l'adoptons pas et cela pour plusieurs raisons: D'abord en admettant l'agitation des esprits que supposent les visions, on ne comprend plus le caractère si mesuré, si calme de la conduite

des apôtres. En outre il n'y a pas de rapport entre ces apparitions du Christ immédiatement après sa résurrection et les visions dont il est parlé ailleurs dans le Nouveau Testament; Paul les met évidemment sur une autre ligne. Troisièmement, le caractère même si simple, si sérieux, si froid de ces manifestations est inconciliable avec le caractère ordinaire des visions. En quatrième lieu le nombre restreint et la prompte interruption des apparitions ne s'explique pas avec l'hypothèse que nous combattons maintenant. Un état visionnaire, ordinairement, se prolonge et n'arrive que peu à peu à se calmer. Enfin le temps des apparitions est suivi bientôt d'un immense déployement d'activité, sans qu'aucune influence intermédiaire vienne expliquer ce revirement; de telle sorte que le zèle des disciples doit se rattacher d'une manière directe à ces apparitions, ce qui serait parfaitement inexplicable dans le cas où les disciples auraient été les victimes de pures hallucinations.

Il ne reste à la critique qu'à confesser son impuissance et à constater le fait historique que les disciples croyaient fermement que Jésus était ressuscité.

La foi chrétienne peut aller plus loin que la science. Elle franchit les limites de la nature et demeure convaincue que c'est Jésus, non son corps sorti de la tombe, mais le Jésus glorifié, qui s'est révélé aux siens dans ses apparitions. Dès qu'on ne peut y voir des hallucinations, il n'y a que Dieu et le Christ glorifié qui aient pu les accorder aux disciples, d'abord pour donner au souvenir qu'ils avaient de sa personne, de ses discours, de sa vie, un appui sans lequel tous ces trésors seraient tombés dans l'oubli, puis, pour ouvrir aux enfants de Dieu sur la terre les perspectives d'un avenir et d'une patrie célestes.

L'ascension prise dans un sens général, c'est-à-dire comme l'expression du passage de Jésus de la vie terrestre à la vie céleste, n'a rien d'inadmissible. Mais la description matérielle qu'en donnent les évangiles, surtout Luc, ne saurait être considérée comme authentique. Ces récits portent la marque d'une époque plus récente; ils se contredisent de bien des manières; toutefois, la contradiction insoluble entre l'ascension de Galilée et celle du mont des Oliviers suffit pour nous faire renon

cer à des récits aussi fantastiques, qui d'ailleurs ne nous apprennent absolument rien sur l'entrée et le séjour de Jésus dans le monde invisible.

CHAPITRE IV

Le nom du Messie dans l'histoire.

L'homme qui a été crucifié sous Ponce-Pilate se trouve être, après soixante générations, le plus grand nom et la plus grande puissance qu'il y ait dans l'humanité. Il a donné à la créature humaine une idée et une forme plus élevées de son existence; il a comblé l'abîme que l'esprit judaïque creusait entre Dieu et l'homme. Mais si les premiers disciples ont saisi ce christianisme par le cœur, d'un autre côté, leur intelligence, formée dans les écoles de l'antiquité, a fait du Christ un être analogue, sinon aux dieux de la mythologie païenne, du moins aux êtres intermédiaires de la philosophie alexandrine.

Cette conception des apôtres et de Paul lui-même, l'idée d'un Dieu-homme et d'un homme-Dieu, combattue dans tous les siècles, s'est maintenue même au travers de la réforme jusqu'à nos jours; mais il faut décidément chercher désormais une formule différente qui, sans porter atteinte aux faits, tienne mieux compte de la pensée moderne.

Avec une entière humilité, Jésus n'en savait pas moins que, pour la connaissance de Dieu, il était plus que Moïse et les prophètes. Il ne s'arrogeait pas le privilége d'être égal à Dieu, mais il savait qu'il était le messager, le fils favori du Père, que Dieu prenait plaisir en lui, comme lui prenait plaisir dans le Père.

Les traits essentiels de son enseignement religieux confirment ce qu'il disait de lui-même: Dieu est un Père, la créature humaine est l'objet de sa sollicitude; chaque vie d'homme est à ses yeux d'une valeur éternelle; le vrai culte consiste dans la pureté du cœur ; l'amour fraternel n'a pas de bornes; la vie matérielle n'est pas nécessairement la contre-partie de la piété, mais doit être un reflet de la vie divine; la famille est un sanc

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