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cette idée, et ont peu à peu rétabli la puissance du ministre de la parole, instrument presque obligé de la conversion.

L'œuvre purement doctrinale de Calvin est différente de celle des précédents réformateurs. Mais sa conception religieuse et pratique de la justification par Christ est la même que la leur. Le chapitre sur la justification vient dans l'Institution à la suite de l'étude de l'œuvre rédemptrice de Christ, de la nouvelle naissance et de ses conséquences; et cela à cause du but subjectif donné à toutes ces doctrines. Tout ce qui concerne l'individu est, soit dans le Catechismus Genevensis, soit dans les éditions de l'Institution antérieures à 1559, soumis à la notion de l'église qui réunit tous les croyants dans son sein. Aussi Calvin a-t-il affirmé plus fermement que quelque luthérien que ce soit le principe de la réformation, et trouve-t-il dans l'assurance de cette justification la garantie contre le désespoir à l'égard du salut, et contre la propre justice. La notion de la pænitentia a subi chez Calvin, comme chez les autres, une modification profonde. Fondée pour lui sur la foi en l'Evangile, elle s'étend pendant la vie entière aux actes répréhensibles que nous commettons encore tous.

2. LES PRINCIPES DE LA DOCTRINE DES RÉFORMATEURS SUR LA RÉCONCILIATION

Les réformateurs ont fait faire un plus grand progrès à la conception religieuse qui est au fond de cette doctrine qu'au dogme théologique lui-même. Ils ont pris à un point de vue plus élevé que celui du droit personnel les rapports qui unissent l'homme à Dieu, et donné une valeur bien plus grande à l'œuvre expiatoire de Christ qu'on ne le faisait au moyen âge. La conséquence devait en être d'identifier la loi morale et la volonté de Dieu, et d'ouvrir la voie à une nouvelle notion de Dieu que les réformateurs eux-mêmes n'ont pas clairement établie, mais dont Luther en particulier a posé les fondements dans des conceptions parfois contradictoires en apparence, sur la liberté de Dieu et la nécessité du maintien de la loi suprême. Zwingli, de son côté, dans son écrit de Providentia, affirme aussi bien le

côté objectif de la question et la nécessité de la rédemption pour satisfaire à la justice divine, que le côté subjectif qui concerne la valeur de cette satisfaction pour chaque individu. On se trompe donc en prétendant que Zwingli a tellement accentué la liberté de Dieu, qu'il a nié la nécessité de la satisfaction pour Dieu, et a donné à l'œuvre de Christ une valeur purement subjective, comme celle de l'exemple.

Quant à Calvin, sa notion de la souveraineté absolue de Dieu, sur laquelle repose sa doctrine de la prédestination, l'amène à soutenir que Christ n'a pu avoir de mérite que ex bene placito Dei. Ex sola gratia dependet meritum Christi, dit-il dans l'Institution. Et cependant, lorsqu'il développe la doctrine de la satisfaction, il maintient que la mort de Christ satisfait à la justice divine, et que cette satisfaction est nécessaire. Il y a donc chez lui déviation, mais seulement déviation partielle vers le système de Duns Scot.

Les réformateurs, en effet, dans leur ensemble, ont ouvert par leurs notions de l'amour de Dieu et de sa justice, qui trouve son expression dans l'éternelle loi morale, des horizons tout nouveaux pour la doctrine de la réconciliation. C'est là un progrès théologique qui dénote un pas sérieux en avant dans la conception religieuse et morale du christianisme. Il suffit, pour se convaincre de son importance, de voir la part faite à l'activité de Christ à côté et au-dessus de ses souffrances, dans l'œuvre de la réconciliation de l'homme avec Dieu. Luther, dans une de ses prédications, nous montre Jésus maître de la loi (et ici il entend ce mot dans le sens de la loi imposée et sanctionnée par des promesses), parce qu'il l'accomplit spontanément et se soumet de lui-même à cette loi, pour délivrer du joug qu'elle leur impose ceux qui, pleins de son esprit, accompliront volontairement aussi les ordonnances de la loi. Mais cette obéissance passive est aussi une souffrance, une privation pour Christ; et comme elle se consomme dans la mort, elle acquiert une valeur expiatoire, et sert à notre réconciliation. Calvin appuie la justice que Christ nous a acquise sur sa vie et son obéissance tout entière. L'obéissance active de Christ peut seule en effet nous garantir qu'il subit ses souffrances et sa

mort, volontairement et par amour, elle seule par conséquent est pour nous un gage de leur valeur.

Si les réformateurs ont posé les bases religieuses des doctrines de la justification et de la réconciliation, ils ne les ont pas entièrement coordonnées en un système scientifique. Osiander entreprit cette œuvre. Il se rattacha aux réformateurs dès l'origine en affirmant avec Luther que les œuvres sont non pas le moyen mais la suite de la justification; dès l'origine aussi il s'en sépara en appelant justification l'état de celui qui devient réellement juste. Il sépara absolument la rédemption opérée par Jésus-Christ quinze cents ans auparavant, de la justification qu'opère en l'homme la parole intérieure, le Logos divin, lorsque le pardon lui a été prêché. Cette justification est, pour lui, un changement réel du cœur qui rend l'homme véritablement juste; elle se borne à l'œuvre que le Médiateur opère et renouvelle chaque jour dans le croyant. Ce sens différent, donné au nom de justification, révèle chez Osiander un principe religieux différent de celui des réformateurs. Le chrétien ne puise plus uniquement l'assurance de son salut dans les mérites de Christ, mais déjà dans son propre état, qu'il attribue, il est vrai, à Christ. Au point de vue moral, cette action du Christ sur le fidèle, qui lui parait trop extérieure dans la doctrine de ses antagonistes, est nécessairement considérée par lui comme un fait purement surnaturel et comme enlevée aux conditions de la volonté humaine.

Par ce côté Osiander aurait dû être logiquement conduit à une sorte de déification du chrétien dans lequel Christ est venu résider. Ce qui l'a retenu, c'est son sentiment religieux, pénétré de l'esprit des réformateurs: en faisant la distinction entre l'esprit de Christ et l'homme qui en est pénétré, et en attribuant tout le mérite au premier, il a apporté à sa doctrine un tempérament qui lui enlève en grande partie le caractère essentiellement mystique qui la distingue. Ce n'est du reste pas le seul point sur lequel Osiander se rapproche de Luther. Il lui a emprunté sa distinction de l'obéissance active et de l'obéissance passive de Jésus-Christ; mais il a laissé ces deux éléments de l'obéissance du Sauveur complétement distincts et séparés. Les luthé

riens, ses adversaires, outre l'action distincte de ces deux facteurs en face de la loi, ont admis une obéissance libre, volontaire et morale vis-à-vis de Dieu, qui répond au sentiment religieux de la réformation dans toute sa pureté. Du reste, ni Osiander, ni ses contradicteurs, n'ont su attribuer à la notion de l'église sa vraie place dans l'organisme de la réconciliation; et si Calvin l'a entrevue, nous voyons par ses dernières éditions de l'Institution qu'il n'y est pas resté fidèle.

III. La réconciliation et la justification, chez les orthodoxes luthériens et calvinistes, et l'opposition à cette doctrine chez les sociniens.

La lutte de Christo mediatore, qui s'éleva entre l'orthodoxie luthérienne et calviniste d'un côté, et le socinianisme de l'autre, est la plus importante controverse théologique de tout le dixseptième siècle. Malheureusement, elle fut embrouillée par le fait que les deux partis, se croyant également chrétiens, méconnaissaient le fond même de la différence qui les séparait. Elle consiste en ceci, que l'un des partis était sur le terrain d'une église religieuse, tandis que l'autre aspirait essentiellement à former une école morale. La confusion fut d'autant plus grande que la théologie ecclésiastique avait une couleur scolastique, et que l'école morale des sociniens semblait soutenir l'universalisme de l'église.

Les caractères essentiels d'abord attribués à l'église par les réformateurs étaient purement religieux et destinés à l'établir en face du système romain, d'un côté, et des anabaptistes, de l'autre. C'étaient la profession de la pure doctrine évangélique, et l'administration des sacrements. La notion morale de l'église était plus ou moins laissée de côté. Peu à peu la profession de la pure doctrine devint l'élément qui fut considéré comme le plus essentiel, et sous l'influence de Mélanchton une couleur scolastique fut donnée à l'église. La précision du dogme fut considérée de plus en plus comme essentielle; et, chose curieuse, tout le mouvement luthérien, opposé aux réformés et à Mélanchton lui-même, eut son origine dans l'impulsion donnée

par ce réformateur. L'élément doctrinaire fut par ricochet fortifié chez les réformés, qui y étaient déjà entraînés par l'influence de Calvin. Malgré leurs divergences, les réformés et les luthériens mirent leurs doctrines sur la rédemption en rapport avec l'idée de l'église ainsi conçue, et arrivèrent sur ce point à des résultats essentiellement identiques, qui ne présentent entre eux que des divergences secondaires. Telle n'est pas l'opinion de Schneckenburger, qui fait ressortir ces divergences, et attribue à tort aux réformés une tendance vers les doctrines modernes de la rédemption. L'examen des différents points montrera l'inexactitude de ses assertions.

Les théologiens des deux confessions établissent et définissent de même le dogme de la satisfaction.

Tous déclarent que Dieu envoyant son Fils réunir les deux natures en sa personne, la justice essentielle à Dieu exige les moyens de rédemption qui ont été employés, c'est-à-dire la mort expiatoire, acquérant par la personne de celui qui l'a subie une valeur infinie. La satisfaction que doit donner cette mort à la justice de Dieu exige que Christ ait été l'objet de la colère divine.

Schneckenburger prétend que les réformés ne voient dans la satisfaction apportée par Christ que la causa instrumentalis, et non la causa meritoria de notre salut. Il explique cette différence avec la conception luthérienne par la doctrine réformée qui est à la base de la prédestination, celle de la souveraineté absolue de Dieu; il veut montrer que, puisque tout se produit ex bene placito Dei, il ne saurait être question pour les réformés de satisfaction nécessaire à la justice divine. Cette conséquence du dogme de la prédestination, déjà opposée par Gerhard aux réformés, n'a jamais été tirée par eux. Jamais la doctrine de l'absolue discrétion de Dieu (Willkür), n'a régné sur la dogmatique des réformés comme sur celle des sociniens. Le dogme de la prédestination chez Calvin lui-même, comme chez Luther, est resté sans grande influence sur le reste de son système théologique et en particulier sur la formation de ses doctrines sotériologiques.

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