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grande; il conçoit la possibilité d'un rejet d'Israël de la part de Dieu. La question était soulevée : si, malgré ses refus de frayer avec les païens, ceux-ci viennent à lui, ne se pourrait-il pas qu'il y eût dans le royaume autant de gens des nations que d'enfants d'Abraham? La conduite admirable de la Cananéenne en particulier dut briser la résistance de Jésus, et devint l'occasion d'un développement nouveau de sa pensée.

Toutefois les idées juives d'un jugement, d'une catastrophe finale et prochaine subsistent dans son esprit en raison même de l'opposition des adversaires et du mélange qu'il remarque parmi ses disciples. Ainsi il se voit arrêté dans son développement spirituel par la puissance surhumaine des obstacles. Aujourd'hui que ces obstacles alors insurmontables se sont trouvés impuissants dans le cours de l'histoire, nous pouvons, grâce à Jésus et en prolongeant sa pensée, concevoir le royaume des cieux dans toute sa spiritualité et son actualité. Ajoutons que si sa conception a été retenue dans le judaïsme, il n'en n'a pas moins fidèlement lutté jusqu'à la fin, comme s'il avait voulu, contre toute espérance, faire la conquête d'Israël.

CHAPITRE III

Derniers efforts en Galilée.

Les discours de la fin du séjour en Galilée sont adressés à d'anciens auditeurs; toutefois Jésus ne renonce jamais à l'extension du royaume. C'est à ce moment que les évangiles placent son voyage à Nazareth, pendant lequel apparut dans toute sa crudité l'incrédulité de la famille de Jésus. A partir de ce moment, ses discours, où il rappelle sans cesse la nécessité de rompre tout, même les liens de famille, pour être fidèle au royaume, ses discours prennent un tour de plus en plus grave, parfois menaçant. Les invitations affectueuses deviennent plus pressantes, il parle plus ouvertement, et sa condescendance va jusqu'à adopter le langage le plus populaire. Il s'adresse aux foules en paraboles comme dans une langue plus facile à comprendre. Le but négatif ou même cruel que lui prê

C. R. 1873.

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tent les évangélistes, pour expliquer l'emploi de cette forme d'enseignement, ne saurait être concilié ni avec la pensée de Jésus, ni même avec certains indices plus anciens qui se trouvent ici et là dans les textes.

Il y a un groupe de paraboles qui forment un tout celles du semeur, de l'ivraie, de la perle, du trésor et du filet. Peut-être y eut-il à cette occasion une recrudescence de foi parmi le peuple; car Jésus semble avoir conçu de nouvelles espérances, dont l'expression se trouve dans les deux paraboles du levain et du grain de moutarde, mises si bien à leur place dans l'évangile de Luc. (XVIII et suiv.)

A ce moment aussi, les évangiles signalent, à côté des guérisons miraculeuses, des prodiges proprement dits. Plusieurs sont racontés par les quatre évangiles, mais ils portent à divers degrés des traces d'amplification, si ce n'est un cachet mythique très prononcé. Ce sont les guérisons des démoniaques de Gadara, de la main sèche, de la femme courbée, de l'hydropique et de la femme à la perte de sang, les résurrections de la fille de Jaïrus et du fils de la veuve de Naïn; l'apaisement de la tempête et des flots de la mer, la marche sur les eaux, la multiplication des pains, la pêche miraculeuse et le miracle de Cana.

A ce moment aussi, on voit la foule accourir de nouveau, plus nombreuse et plus enthousiaste. Toutefois nous considérons comme une exagération manifeste la notice du quatrième évangile qui prête au peuple l'intention de proclamer Jésus roi. En dépit de ces succès apparents, l'orage se préparait au loin.

CHAPITRE IV

Les avant-coureurs de la fin.

La première attaque sérieuse dirigée contre Jésus fut la mort violente de Jean-Baptiste à Machéron; il en fut profondément ému. C'est à cette date aussi que, selon les évangiles, Antipas s'occupa de Jésus et qu'on entendit parler d'espionnage, de

menaces et d'une arrestation probable. Jésus crut devoir quitter la contrée où était le despote nouvelle preuve de la parfaite simplicité de son caractère. On compte quatre fuites ou retraites de Jésus la première à Bethsaïda, au N.-E. du lac; la seconde à Gadara, au S.-E.; la troisième sur le territoire phénicien qui n'était pas éloigné; la quatrième enfin dans la contrée de Césarée de Philippe. Dans ces quatre occasions il se trouva pour quelques jours, quelques semaines peut-être, sur un sol étranger, où Hérode ne pouvait l'atteindre. Mais à la fin la situation lui parut trop tendue, et c'est alors que mûrit dans son cœur une grave et suprême résolution.

CHAPITRE V

Le Messie et la croix.

Ce fut pendant une de ces retraites, loin de la foule, à Césarée de Philippe, que Jésus, en considérant les impressions reçues, les expériences faites en Galilée et sa tâche messianique, comprit qu'il devait faire une tentative à Jérusalem le plus tot possible. Il prend la résolution héroïque de profiter de la Pâque prochaine pour marcher dans la ligne du devoir, en laissant l'avenir à Dieu. Mais il veut savoir au juste les dispositions de la Galilée à son égard; à cet effet il interroge ses disciples, cherchant aussi par ses questions mêmes à les préparer à l'issue possible. sinon probable, de son ministère.

La réponse de Pierre, qui est comme l'entrée de l'humanité dans la vraie religion, et la joyeuse déclaration de Jésus telle que nous la rapporte Matthieu, ne sauraient être mises en doute. Jésus parle alors pour la première fois à ses disciples des souffrances auxquelles il s'attend, et il repousse les suggestions de Pierre qui pouvaient ébranler sa grande résolution. On a nié l'authenticité de cette scène ; mais dans la situation et les préoccupations du moment, avec le résultat en somme négatif de son œuvre en Galilée, sa crainte instinctive de la mort, et la connaissance qu'il avait de l'Ancien Testament (Ps. CXVIII), il

importe peu que l'idée d'un Messie souffrant fùt ou ne fût pas étrangère aux juifs; on comprend que Jésus, après les expériences faites et en présence du sort de Jean-Baptiste, ait tenu à regarder en face l'avenir « et ait commencé à y voir une dispensation divine, le passage inévitable qui devait le conduire à la victoire. >>

Ce n'est pas la résurrection, mais la reprise victorieuse de son œuvre sur la terre, qui le préoccupe; après sa défaite il reviendra, dans peu de temps, du ciel, établir définitivement le règne de Dieu. Par la mort qui l'introduira devant le trône de l'Ancien des jours (Daniel), il recevra l'investiture finale de la dignité messianique. A son retour et à l'achèvement du royaume correspondent un jugement et une transformation générale dans le siècle à venir. Tout en gardant sur les derniers temps la réserve d'un esprit sobre et sain, Jésus fait bien de sa personne le centre de l'évolution.

Cependant sa résignation pieuse, qui n'excluait pas l'amour de la vie et quelque angoisse morale à la pensée de la mort, ne donne aucune garantie pour la conduite qu'il tiendra. On peut encore se demander s'il persévérera jusqu'à la fin.

Le mélange de vérité et de poésie dans le chapitre VI du quatrième évangile est fort habile, mais ôte à ses récits toute valeur historique.

CHAPITRE VI

Clôture du ministère de Jésus en Galilée.

Jésus se met en marche pour Capernaum vers le 25 du mois d'Adar, c'est-à-dire peu avant le mois de Nisan, dans lequel avait lieu la Pâque. Désormais il s'occupe de ses disciples; il les instruit sur bien des choses, sur l'Elie qui devait venir et qu'il leur fait voir pour la première fois, paraît-il, dans la personne de Jean-Baptiste. C'est à ce propos que les évangiles donnent le récit purement mythique de la transfiguration de Jésus sur un avant-mont de l'Hermon. Il expose à ses disciples le caractère du royaume, leur position et leurs devoirs. A l'occasion d'une

guérison qu'ils avaient tenté en vain d'opérer, il leur montre que la condition de la vie nouvelle est la foi. Il en déplore l'absence chez ce peuple qu'il avait voulu affranchir et qui se montrait toujours si incrédule.

A son arrivée à Capernaum, on lui demande l'impôt de deux deniers. Dans sa réponse, aussi authentique que l'histoire du poisson l'est peu, Jésus se donne ouvertement à lui-même, puis aussi à son disciple, le nom de Fils de Dieu. Dès lors, il s'occupe d'ébaucher l'organisation de son association. La querelle d'ambition parmi ses disciples l'y avait engagé; il leur donne des conseils pour arranger les différends, et les exhorte au pardon et à l'emploi de la prière en son nom. La promesse qu'il leur aurait faite alors d'être toujours au milieu d'eux, paraît suspecte, si l'on y voit une allusion à la toute-présence; mais il est bien probable que Jésus a voulu parler d'une sympathie, d'un accord spirituel entre ses disciples et lui.

Son dernier mot en Galilée est la réponse qu'il oppose aux avertissements hypocrites de ses adversaires. Il leur montre combien peu il se soucie des menaces d'Hérode, et il leur dévoile franchement son projet de voyage à Jérusalem. Il y sera dans trois jours; c'est là, on le sent, qu'il atteindra son but et trouvera sa fin.

TROISIÈME PARTIE

LE MESSIE A JÉRUSALEM

CHAPITRE PREMIER

La caravane des pèlerins.

Jésus quitta Capernaum vers le 3 avril 35, accompagné de quelques disciples et de quelques femmes qui tenaient à le suivre. Pour éviter la Samarie, il passa par la Pérée qui lui offrait d'ailleurs la route la plus sûre et la moins fréquentée.

Luc dit que Jésus traversa la Samarie; il parle aussi d'une mission triomphante de soixante-dix disciples et de la recon

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