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promet pas la loi mosaïque; il l'affirme au contraire, mais il apprend à ses auditeurs à faire une distinction dans la loi entre ce qui est grand et ce qui est petit. Puis en prenant le commandement de la charité pour point central, essentiel, il franchit les bornes du judaïsme et ouvre à ses disciples une carrière nouvelle. Il y a quelque chose d'analogue au commencement du chapitre VI dans la critique de l'aumône, de la prière et du jeûne, tels que les pratiquaient les formalistes de l'époque. Au fond Jésus remplace le commandement par la liberté.

Non moins que ses discours, l'exemple de Jésus, sa vie si simple, si naturelle, si digne, son inaltérable affection, la poursuite fidèle et constante de son œuvre, devaient exercer une grande influence sur ses disciples.

CHAPITRE IV

Suceès de Jésus et de ses disciples.

Les succès de Jésus, d'abord restreints, s'étendirent progressivement au sein du peuple impressionnable de la Galilée. Le caractère de sa prédication et sa conduite égale vis-à-vis de tous devaient particulièrement attirer les petits, les pauvres, les pécheurs et les femmes. D'abord la résistance des docteurs fut pour ainsi dire nulle; mais diverses circonstances, le repas que Jésus prit avec les péagers, se plaçant ainsi au-dessus des préjugés de pureté lévitique, la scène des épis arrachés par les disciples, et dans laquelle Jésus échappe aux critiques des scribes et fait allusion à sa dignité, enfin le pardon des péchés qu'il accorde au paralytique et que les pharisiens considèrent comme un blasphème, tout cela amena une tension toujours plus prononcée entre Jésus et les docteurs de la loi. D'un autre côté ses succès réels sont confirmés par le regret qu'il exprime au sujet du petit nombre d'ouvriers relativement à la grandeur de la moisson.

Le fait d'un choix de disciples intimes et d'envoyés ne saurait être contesté. Le nombre de douze eut évidemment un sens

symbolique. Ce choix eut lieu lors de la mission que Matthieu place aux environs de Pentecôte, c'est-à-dire trois ou quatre mois après les débuts du ministère de Jésus. - A l'exception d'un seul envoyé (Lebbée ou Thaddée, Judas de Jacob, trois noms qui cependant ne s'excluent pas nécessairement les uns les autres), tous les noms sont les mêmes dans les quatre registres de Matthieu, de Luc, des Actes et de Marc; ils ne varient guère que pour la place qu'ils ont dans les diverses listes.

Pierre est toujours le premier, non-seulement dans les listes, mais pour l'intelligence et le cœur, ainsi que dans l'affection de Jésus. C'est dans le quatrième évangile seulement que Jean l'emporte sur Céphas, l'auteur de cet évangile ayant besoin pour patron de son livre d'un nom dont l'autorité se fondât sur des relations très intimes avec Jésus. Le choix de Judas Iscariote est la preuve la plus authentique des proportions tout humaines de la connaissance de Jésus.

Les paroles prononcées par Jésus lors de la première mission des apôtres se trouvent dans Math. X, 5-15; elles sont reproduites en partie et avec quelques contradictions dans Marc et dans Luc à propos de la mission des soixante-douze disciples. Quant aux résultats de cette mission, que Marc et Luc représentent comme très considérables, Matthieu n'en dit rien par la raison qu'il n'en savait rien; d'où l'on peut conclure que si cette mission ne repose pas sur un malentendu, elle fut dans tous les cas un essai de quelques jours seulement.

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DEUXIÈME PARTIE

L'ORAGE EN GALILÉE

A peine a-t-on constaté quelques effets du ministère de Jésus, qu'on remarque déjà une réaction, qui désormais ira croissant, mais en présence de laquelle s'affirme la sûreté du point de vue de Jésus. Le commencement en est nettement indiqué dans les évangiles, surtout dans celui de Matthieu.

CHAPITRE PREMIER

Combats et déceptions.

Les premiers adversaires de Jésus furent les scribes, que ses succès et l'effet de ses guérisons indisposèrent bientôt contre lui. Leur impatience irritée éclata enfin quand ils l'accusèrent de chasser les démons par le prince des démons, et quand ils lui reprochèrent que ses disciples ne se lavaient point les mains avant de manger. Dans sa réponse Jésus retourne l'accusation contre eux, et formule d'une manière profonde, quoique voilée encore, le grand principe que «ce n'est pas ce qui entre dans l'homme qui souille l'homme, mais ce qui sort de l'homme, › principe qu'il explique avec plus de détails aux autres auditeurs et à ses disciples.

Jean-Baptiste aussi parut méconnaître Jésus; mais celui-ci, malgré la sévérité de sa réponse, ne laisse pas de lui assigner une place élevée dans la préparation du royaume. Plus tard, vers la fin de son ministère à Jérusalem, il proclamera hautement l'importance de son précurseur. Il eut aussi à redresser les vues arriérées des disciples de Jean à l'égard du jeûne : il le fit dans les deux paraboles du vieil habit et de l'outre.

Cependant l'opposition continue de s'étendre; à la fin on trouve dans les paroles même de Jésus des allusions qui prouvent qu'on l'accusait d'être un buveur et un mangeur, un ami des péagers et des pécheurs.

CHAPITRE II

Assurance croissante.

Les succès de sa prédication aussi bien que la résistance qu'on lui opposait, contribuèrent à mûrir et à affermir Jésus, mais ne lui donnèrent point le sentiment de ce qu'il était. Il l'avait eu dès l'origine, et les frottements qu'il eut avec ses adversaires ne firent que le développer. Le progrès essentiel qu'on remar

que à ce moment de sa vie, c'est que désormais il ne considère plus le royaume des cieux comme futur, mais comme présent. Il ne cherche pas, comme les juifs, une situation nouvelle. Le règne de Dieu, le règne de l'esprit, est au milieu de vous, dit-il. Si le royaume est là, le Messie aussi doit y être ; et Jésus sait quelle place lui est assignée personnellement. Il l'exprime dans une parole dont la teneur a dû être primitivement celle-ci : «Personne ne connaît le Père que le Fils, et le Fils que le Père, et celui à qui il le révèle. » Son privilége consiste en ce que lui, le premier, il a connu le Père, et que le Père le connaît et le fait connaître aux hommes. Sa vocation est de représenter dans sa personne les plus hautes vérités spi rituelles. Il a connu Dieu comme personne ne l'avait connu, et Dieu, à son tour, a fait de lui l'objet de sa contemplation et de son amour. Ils s'inclinent l'un vers l'autre pour se contempler mutuellement avec joie dans une égalité d'action, spirituelle d'essence et de nature. Enfin cette communion du Père et du Fils se rend volontairement accessible aux hommes.

La tâche du Messie est donc de communiquer aux hommes à la fois la plus haute connaissance de Dieu et sa communion. A cet égard Jésus a droit à nos hommages, nous lui reconnaissons le titre de Messie qu'il s'est donné lui-même, expression judaïque du suprême idéal de l'humanité. Jésus doit avoir été revêtu d'une dignité spéciale, qui ne l'a pas rendu l'égal de Dieu sans doute, mais dont Dieu ne pouvait pas ne pas reconnaître la grandeur exceptionnelle. Comprise ainsi la christologie ne renferme pas d'obscur mystère : Jésus n'est pas un être di. vin dans le sens du quatrième évangile, un Dieu se faisant homme, mais un homme semblable à Dieu, s'élevant à Dieu : « J'ai connu le Père, et le Père m'a connu. »

Outre ce passage, on trouve dans les discours de Jésus le nom de Fils de Dieu qu'il se donne lui-même. Mais on se convainc aisément que, en employant ce terme, il part de l'idée d'une parenté de l'homme avec Dieu, et qu'il pense aussi à sa dignité messianique. Ainsi donc ce terme ne renferme rien de plus que la déclaration ci-dessus mentionnée, concernant la connaissance que Jésus avait du Père.

Dans tous les cas nous avons en Jésus un être purement humain, ce dont lui-même n'a jamais douté. Il ne s'est rien attribué qui ressemble à la préexistence; son pouvoir ne lui appartient pas en propre, mais lui a été transmis, confié. Il n'a ni la toute-science divine, ni même la bonté parfaite qui se trouve en Dieu seul. On reconnaît dans son activité les bornes imposées à l'imperfection de la nature humaine. C'est en cela que le Christ des synoptiques se distingue du Christ du quatrième évangile, où, au milieu de passages admissibles, apparaissent tout à coup des allusions à la préexistence, déductions purement subjectives, reposant non sur des faits, mais sur des réflexions individuelles de l'auteur.

D'après les exemples et les enseignements de l'Ancien Testament, joints à sa propre expérience, Jésus dut bientôt comprendre qu'il s'agissait de sauver non l'ensemble de la nation, mais un nombre relativement restreint de croyants, une sorte de « résidu,» selon l'expression d'Esaïe. De qui se composera ce petit nombre?

Il semblerait naturel, en effet, que Jésus eût prêché alors, en présence du dédain des grands et des riches, un évangile des pauvres, comme Luc nous le rapporte. Mais les priviléges que, dans cet évangile, le maître accorde à la pauvreté, et les paroles dures qui sont mises dans sa bouche contre les riches, sont en contradiction avec la simplicité des discours et du caractère de Jésus. Il n'a exclu personne, et si, dans sa réponse aux disciples de Jean, il déclare que l'évangile est annoncé aux pauvres, il énonce un fait, et non pas une menace contre les riches.

Quant aux païens, Jésus put voir dans la conversation de quelques-uns d'entre eux une compensation pour la défection d'Israël. Nous n'admettons ni l'opinion orthodoxe qui veut que dès l'origine Jésus ait eu une vue distincte de la marche future du royaume, ni l'opinion de la critique moderne qui considère Jésus comme un pur judaïsant. Les faits prouvent que, vers la fin de son ministère en Galilée, la résistance des juifs d'un côté, et de l'autre, la foi étonnante de quelques païens mirent en échec ses préjugés juifs. L'étendue de la tâche lui paraît plus

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