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L'avenir du salut.

Pendant toute cette période les regards sont principalement fixés sur le présent. Pour l'individu, l'existence au delà du tombeau pâlit à côté de la vie actuelle. Pour la nation, la gloire de l'alliance sinaïtique, les triomphes de la conquête, enfin l'éclat de la monarchie au temps de David et de Salomon ne permettent pas de se préoccuper de l'avenir et de soupirer après une plus haute réalisation du salut. Cependant la foi renferme toujours un élément d'espérance; le suprasensible se présente nécessairement au sensible comme futur. On ne pouvait donc s'empêcher de penser quelquefois à l'avenir. Le Dieu de l'alliance étant en même temps le Dieu des cieux et de la terre, Israël devait avoir la conviction que son Dieu et son salut deviendraient le Dieu et le salut de tout le monde. L'idée messianique, dans le sens le plus général, est dès l'origine inséparable de la religion des Israélites.

Le beau morceau de poésie populaire qui nous est parvenu sous le nom de Bénédiction de Jacob exprime la pensée messianique sous sa forme la plus simple: « Victoire du règne de Dieu, royauté, règne de paix,» sans relever encore le côté religieux et moral.

Le Protévangile (Gen. III, 15), composé par B dans la seconde moitié de notre période, nous transporte dès le récit de la chute au centre même de la question de la rédemption. Il ne s'agit pas encore d'un Messie personnel. La semence de la femme et la semence du serpent ne peuvent pas davantage désigner deux portions de l'humanité. La femme est la mère commune de la famille humaine. Le serpent est la puissance de tentation et de péché qui se propage de génération en génération avec notre race. L'humanité ne doit jamais s'identifier avec cette puissance qui est la cause de sa déchéance. Elle ne doit jamais se contenter d'une existence animale, et ne peut être heureuse dans les liens de l'égoïsme et de la sensualité. La première victoire de la tentation doit avoir pour résultat une lutte héréditaire, la lutte morale, condition de toute vie supérieure pour l'espèce humaine. Cette guerre incessante ne peut être sans souffrances. Comme le serpent enfonce sa dent venimeuse dans le talon de celui qui l'écrase, ainsi l'humanité

combattra douloureusement contre le mal. Elle en recevra du dommage, mais finira par en triompher. Voilà ce qui ressort du récit biblique, si on lui rend la justice qui n'est refusée à aucun mythe égyptien ou grec, c'est-à-dire si on prend les mots non dans leur signification littérale et extérieure, mais, comme l'exige la nature du mythe, dans leur profondeur morale et religieuse. Et, sur le seuil de l'histoire humaine, il nous paraît naturel et parfaitement convenable que la victoire finale soit attribuée à l'humanité collective, à l'humanité embrassant encore dans son unité les divers instruments individuels, même le plus grand, qui amèneront son triomphe.

Le court passage connu sous le nom de Bénédiction de Noë a pour but de faire passer la mission rédemptrice de l'humanité à la ligne de Sem. De cette ligne sort Abraham, qui, avec sa postérité, doit rester aux yeux de tous les peuples l'idéal de la bénédiction divine. Ceux qui le béniront seront bénis, ceux qui le maudiront seront maudits; c'est-à-dire le peuple du salut est en même temps le jugement de l'humanité, la pierre de chute et de relèvement. Nous avons ici, sous sa forme primitive et encore matérielle, la pensée qui arrive à son plein développement dans l'affirmation que le Fils de l'homme et les siens jugeront le monde.

Comme la poésie et le mythe proprement dit, les récits légendaires et historiques, les institutions et les principales figures du mosaïsme font aussi prévoir une grande réalisation du salut. C'est de la prophétie de fait. Je ne relèverai ici qu'un trait, des plus remarquables. Tout le cercle de la légende et de l'histoire saintes laisse voir une loi mystérieuse de la sagesse divine: la souffrance des justes. Abel, Abraham, Isaac, Moïse, David rendent témoignage à cette grande loi. Les intermédiaires de la grâce de Dieu doivent passer par la douleur et la mort avant de conquérir le salut pour eux et pour les autres. La rédemption ne peut sortir que d'un travail d'enfantement, et ce sont les meilleurs qui souffrent pour la nation et pour le monde.

(A suivre.)

VIE DE JÉSUS DE NAZARA

PAR

THÉOD. KEIM1

INTRODUCTION

Il faut maintenir, pour la vie de Jésus, la grande division des évangélistes, surtout celle de Matthieu : 1° les premiers succès de Jésus en Galilée; 2° les persécutions qui firent naître en lui la pensée et la résolution de mourir à la tâche; 3o la réalisation de ces prévisions dans le tragique voyage de Jérusalem.

Pour les indications chronologiques spéciales, les quatre évangiles diffèrent entre eux et trahissent tous un penchant à grouper les faits ou les discours analogues. Il faudrait renoncer à écrire l'histoire de Jésus d'après ces données, si l'on n'avait pas la certitude, confirmée d'ailleurs par plusieurs traits dispersés ici et là dans les évangiles, que Jésus a eu un développement. C'est ce développement dont nous chercherons à déterminer la marche.

'Geschichte Jesu von Nazara in ihrer Verkettung mit dem Gesammtleben seines Volkes, frei untersucht und ausführlich erzählt von Dr Theod. Keim. 11er Band, 1871, VII et 618 pag., IIIer Band. 1871-1872, XI et 678 pag. Pour le premier volume, voir le Compte-rendu, ann. 1868, pag. 498 et suiv.

[re PARTIE

LE PRINTEMPS GALILEEN

CHAPITRE PREMIER

Le premier discours.

Jésus commence au printemps de l'an 34 de notre ère à se présenter à la foule et acquiert bientôt, par la force de ses discours, le titre de scribe, de rabbi et même de prophète.

Quel fut le contenu de ses premiers discours?

Ce n'est pas le sermon sur la montagne du premier évangile qui nous l'apprendra; car bien des indices, tirés du contenu de ces discours et des circonstances décrites par l'évangéliste, prouvent que le sermon de la montagne appartient à une époque plus avancée du ministère de Jésus, comme on le voit dans Luc. Celui-ci nous rapporte des paroles qui auraient été le début de Jésus à Nazareth; mais cette espèce de programme manque de vérité; il fourmille d'anachronismes, et il est contraire au caractère de Jésus. Jean, à son tour, nous donne en premier lieu l'entretien de Jésus avec Nicodème, mais ni le temps, ni le lieu, ni le contenu de ce discours ne permettent de le considérer comme authentique.

Cependant on trouve dans le sermon sur la montagne quelques fragments qui doivent avoir fait partie des premiers discours de Jésus, en particulier les déclarations qui répondent à la question quel doit être ici-bas le soin capital de l'homme ? Telles sont par exemple les recommandations: «Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, » et toutes celles qui s'y rattachent, ou celles qui en découlent: «Ne soyez pas en souci,» << Demandez et vous recevrez.» Dans ces passages, les rapports de l'homme avec Dieu ne sont pas considérés comme quelque chose d'idéal, mais comme une réalité. Entre Dieu et l'homme, y a échange constant. Ce ne fut que plus tard que Jésus fit des réserves, et accompagna ses prières de ces mots : « toutefois que ta volonté soit faite et non pas la mienne. >>

il

Quant à la morale, nous la voyons apparaître dans des préceptes comme ceux-ci : « Nejugez point, afin que vous ne soyez point jugés; »> «tout ce que vous voulez que les autres vous fassent, etc., etc. Le dernier fragment de ce premier discours que nous cherchons à reconstruire fut probablement la parabole de la maison bâtie sur le roc ou sur le sable.

Le mot d'ordre ou le texte de Jésus nous a été conservé par Matthieu dans sa forme primitive: «Convertissez-vous, car le royaume des cieux est proche. » Ces paroles, qui rappellent l'ancienne alliance et qu'on trouve déjà dans la prédication de Jean-Baptiste, rattachent à ce dernier l'œuvre du nouveau maître, et elles en dessinent dès l'abord l'étendue. La question principale, à laquelle Jésus répond, est: Comment vient le royaume des cieux ?

Le terme primitif conservé dans Matthieu, remplacé dans les 'autres évangiles par le terme de royaume de Dieu, et qui ne se trouve nulle part dans les épîtres, désigne pour le moins autant une communion des croyants avec Dieu sur la terre qu'un état futur des âmes au delà du tombeau, autant un rapport spirituel qu'un ensemble de manifestations miraculeuses. Dans Math. V, on trouve ces deux expressions mises en parallèle : « le royaume des cieux est à eux; » «ils hériteront de la terre. »

Jésus n'a pas exclu les espérances terrestres d'Israël; il les a spiritualisées. Son œuvre a été de réveiller et de stimuler les dispositions morales qui devaient préparer la venue de ce royaume sur la terre, et qui devaient en être l'élément le plus précieux. Il fait du moyen le but, et, sans renoncer aux espérances messianiques de son peuple, il prêche un royaume des cieux qui consiste dans la justice, dans l'accomplissement de la volonté de Dieu.

Cette idée de justice, en soi, est tout à fait juive; mais Jésus lui donne une nouvelle forme. La justice est, selon lui, la relation filiale de l'homme avec Dieu son Père, relation qui doit commencer sur l'heure pour grandir et pour arriver plus tard à la perfection.

Ce royaume qui, pour les Grecs et même pour les Juifs, n'était qu'une image, désignait dans la bouche de Jésus quelque

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