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temps du moyen âge, le temps des ascètes, des macérations, des moines, le temps de la suprématie de l'église comme représentant le spirituel, l'éternel, le céleste, sur l'état comme monde purement civil et temporel.

> Le résultat de cette première phase de l'esprit chrétien fut que l'esprit se matérialisa dans les formes et les cérémonies de l'église, que l'église se mondanisa dans une papauté dirigée par les seuls intérêts temporels, dans de riches couvents, dans la personne de moines débauchés et d'ecclésiastiques licencieux; tandis que, au même moment, les tendances et intérêts temporels acquéraient de la valeur dans d'autres manifestations du temps, dans le réveil de la bourgeoisie, la découverte de l'Amérique, la renaissance des livres classiques. La preuve était ainsi donnée négativement et positivement: le monde avait ses droits. L'esprit ne peut prouver sa suprématie sur la chair en l'asservissant et l'écrasant, mais seulement en formant le monde, en usant du temporel comme moyen, comme instrument, comme matériel pour l'esprit, et en en reconnaissant les droits. C'est là ce que le monde moderne a compris être sa tâche; profit et possession, argent et bien, art et science, état et vie civile, ne sont plus pour lui rien de subordonné, de méprisable, de seulement mondain et temporel; tout cela crée à ses yeux des intérêts, des devoirs importants et sacrés. Ainsi seulement le principe chrétien de la suprématie de l'esprit se trouve représenté dans sa vérité et sa pureté; nous cessons si peu par là d'être chrétiens que nous arrivons plutôt ainsi à amener à leur vrai et plein accomplissement les postulats du principe chrétien. »

C'est ainsi à peu près que Strauss eût du conclure, d'après les prémisses de son précédent ouvrage. Mais dès lors il a vieilli de dix ans ; aujourd'hui il tend seulement à prouver que le christianisme est dans le fond un humbug historique et que nous n'avons plus de raison de nous nommer chrétiens. Aujourd'hui il veut seulement prouver son droit à poursuivre de ses sarcasmes mordants (pag. 291) tous ceux qui, suivant le chemin pris par lui-même dans son Reimarus, veulent mettre en harmonie le christianisme et la culture moderne. Strauss se rend sa preuve extraordinairement facile; l'orthodoxie lui fournit les armes de son arsenal. Le christianisme n'est rien autre que la foi à la personne et à la destinée de Jésus-Christ. Strauss emprunte avec joie ce principe à l'orthodoxie, parce que cela facilite fort sa tâche. Foi à Jésus-Christ! Mais au sens étroit, la foi demande un être divin, donc la foi à Jésus suppose sa divinité. L'homme moderne rejette cela. Reste la foi à Jésus-homme! Mais que fut-il donc? Les données sur

son activité, sur son sort, les paroles qui sont mises dans sa bouche sont si incertaines et si contradictoires, que l'on ne peut qu'en peu de points poser le pied avec assurance. Peut-on bâtir une foi sur l'incertain? En outre Jésus manque trop d'intelligence pratique dans certaines sphères importantes de la vie comme l'industrie, l'état, l'art, la science, et en d'autres domaines il fut trop fanatique pour être notre modèle. Donc : nous ne sommes plus des chrétiens.

C'est ainsi que raisonne aujourd'hui ce même Strauss qui, il y a dix ans, faisait à Reimarus et au XVIIIe siècle en général le reproche d'avoir appliqué à des personnalités religieuses, comme Jean, Pierre, Paul, une fausse mesure, celle du prosaïque bon sens. < Voilà pourquoi, disait-il, dans le siècle de Reimarus aucune religion nouvelle ne s'éleva, tandis que l'ancienne était sur le point de s'éteindre. Il n'y a de religieusement productif que les temps où l'imagination règne, comme l'intelligence au XVIIIe siècle. C'est l'imagination que le XVIIIe siècle a méconnue, avec laquelle il oublia de compter; et c'est pour cela qu'il méconnut aussi la religion, dont la mère est l'imagination (Phantasie), comme le père en est le cœur (Gemüth). (Reimarus, pag. 279.) Et ce même Strauss applique aujourd'hui la même mesure du froid bon sens à Jésus. Avec des procédés peu sûrs et purement arbitraires, il critique les paroles de Jésus telles que les fournissent les trois évangiles, choisissant de préférence ce qui est le plus défavorable à Jésus; puis il juge sa personne et ses doctrines, appréciant sa valeur historique d'après la justesse de ses vues particulières sur l'acquisition de la richesse, l'art, la science, l'état, la vie civile. Comme si la signification d'un génie religieux devait se chercher à la périphérie et non dans le point central: la position du cœur à l'égard de Dieu! Ce Jésus a renouvelé le sentiment de l'humanité, il a restauré et nourri de nouvelles séves les racines du cœur, il a introduit dans une race épuisée et sans consolation le monde infini de la foi, de l'amour, de l'espérance; il a délivré son temps de circonstances difficiles et sauvé la société; il a dressé un nouvel idéal pour le monde, et plus que cela : il a, par sa parole et sa vie dévouée, enflammé les hommes pour cet idéal, il les a entraînés dans une révolution d'où est sorti un nouvel âge du monde.

Mais c'était là un idéal fanatique; nous ne pouvons donc plus nous en servir, répond Strauss. Quel homme sensé nierait les adjonctions fanatiques que produit tout commencement? mais aussi quel homme raisonnable attend du commencement déjà l'œuvre accomplie de deux mille aus? Cet idéal est cependant le vrai quant à son fond essentiel :

un règne de Dieu sur la terre, qui se réalise par la repentance et par la foi, c'est-à-dire par un retour plus profond de l'homme sur luimême, par le renouvellement du cœur produisant un état d'amour parfait entre l'homme et Dieu. On ne saurait croire dans quelle proportion et avec quelle malveillance Strauss s'acharne à dépouiller le christianisme de toute profondeur de contenu. Il sait pourtant, car il a étudié le Nouveau Testament, que le premier écrivain chrétien, Paul, quelle que soit du reste l'insuffisance des formes dans lesquelles il le fit, ne poursuivit qu'un but en toutes choses. Il voulut exposer le christianisme et le défendre contre tous les préjugés, contre toutes les étroitesses de son temps, comme étant la religion qui nous fait enfants de Dieu, puisque l'homme ne dit plus: Seigneur! mais: Abba! père; comme la religion de la liberté, puisqu'elle n'attache aucun prix à ce qui est extérieur : circoncision, jours de fêtes, races, castes, mais seulement à la nouvelle création; et comme la religion de l'amour, qui ne connaît plus ni crainte ai récompense. Il sait avec quel bonheur cette religion, qui aujourd'hui encore se fait remarquer par son respect pour l'univers animé, s'est exprimée dans les trois premiers évangiles d'une façon évidente et populaire, grâce à la poésie et à la vérité, les paraboles animées, les mots et les scènes classiques de la vie de Jésus, de sorte que cette religion réussit à tirer d'idées générales des figures pleines de vie. Strauss sait tout cela aussi bien que nous, mais il le cache et poursuit son chemin avec une légèreté que la science impartiale ne lui pardonnera jamais.

Le théologien aigri n'a pas hérité en ceci de ce qu'il y a de plus beau chez son vénéré maître, Goethe, de ce que nous admirons en lui: la justesse et l'impartialité. Goethe se plaisait, il est vrai, à se nommer un non-chrétien décidé, et nous comprenons bien pourquoi; mais conclure sa vie par une profession de foi semblable à celle de Strauss, son esprit, ouvert à tout, comprenant tout, ne l'aurait jamais supporté. On connaît ces paroles de lui: Vrai ou faux sont d'étranges questions touchant les choses de la Bible. Qu'est-ce qui est vrai, sinon tout ce qui est excellent, tout ce qui est en harmonie avec la nature et la raison les plus pures, et sert aujourd'hui encore à notre culture supérieure? Et qu'est-ce qui est faux, sinon l'absurde, le vide, le stupide, ce qui ne porte pas de fruits, ou du moins point de bons? Dans ce sens je tiens les quatre évangiles pour vrais; car en eux brille le reflet d'une élévation qui provient de la personne de Christ, et qui est plus divine que ne le fut jamais aucune autre manifestation du divin sur la terre. Me demande-t-on si je lui témoigne un respect

d'adoration, je réponds: « certainement. On connaît aussi cet autre mot de lui, que, « dans tous les progrès de culture et dans tous les développements des sciences, nous ne dépasserons jamais l'élévation et la culture morale du christianisme, tel qu'il brille dans les évangiles. Certes, on peut n'être pas d'accord là-dessus. Si Strauss avait répondu à la question: sommes-nous encore chrétiens? comme à celle-ci: sommes-nous encore religieux ? « oui ou non, suivant qu'on veut l'entendre, » nous lui eussions donné notre assentiment. Ou bien s'il eût fondé sa négation du christianisme sur une recherche impartiale et juste, nous eussions reçu avec reconnaissance ses instructions. Mais ainsi, telle qu'elle est, cette partie du livre de Strauss est la plus mauvaise page qui soit sortie de sa plume.

A. NÉANDER. L'EMPEREUR JULIEN ET SON ÉPOQUE'

L'ouvrage que nous annonçons est loin d'être une nouveauté. C'est la seconde édition, publiée il y a déjà cinq ans, d'un opuscule de l'illustre historien Néander. La première édition parut en 1812, l'année même où l'auteur commençait son enseignement à Berlin; quoiqu'il eût professé pendant deux ans à Heidelberg, il n'avait alors que vingttrois ans.

Cette étude est divisée en quatre sections dont la première, très générale, n'a pas un lien bien intime avec les suivantes; elle traite

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du christianisme, dans son rapport avec l'époque dans laquelle son apparition et son extension ont eu lieu. La seconde section, beaucoup plus courte, expose « l'éducation de Julien et son développement jusqu'à son avénement au trône impérial. Elle conduit à une troisième section, consacrée aux « vues religieuses et philosophiques de Julien, au point de vue auquel il fut ainsi amené sur le christianisme, et aux moyens par lesquels, comme empereur, il chercha à réaliser ses idées religieuses. » Enfin, la quatrième section, portant l'étude sur des faits plus généraux, envisage l'état de l'église chrétienne au temps de l'empereur Julien, et la manière dont il s'est comporté à son égard. » Chacune de ces parties est suivie d'observations et d'éclaircissements sur des points de détail.

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'Uber Kaiser Julianus und sein Zeitalter, von Dr A. Neander. 2. A. 1867.

Dans le jugement qu'il porte sur le célèbre adversaire du christianisme, Néander appartient à la réaction commencée par Arnold, dans son histoire de l'église et des hérétiques, contre la sévérité excessive dont les auteurs ecclésiastiques avaient usé jusqu'alors envers Julien. Il cherche à l'apprécier avec impartialité et une indulgence que plusieurs ont trouvée trop grande. Les faits sont exposés avec soin, et de nombreux renvois aux sources permettent de contrôler les affirmations de l'auteur.

FR. OVERBECK.

LES ÉCRITS DU NOUVEAU TESTAMENT'

La théologie actuelle se préoccupe à juste titre des questions historiques se rapportant aux origines du christianisme. Malgré la suspicion qu'excite dans certaines écoles une telle étude, on sent de plus en plus que là est l'avenir de la théologie. Cette suspicion elle-même provient de la nouveauté relative d'un examen sérieux de ces questions. Peu de temps après l'époque primitive, les Pères de l'église ont perdu le sentiment historique de la période apostolique. Irénée, Clément d'Alexandrie et Tertullien se font à ce sujet les idées les plus fausses, et ces idées se maintinrent bien longtemps encore. La réformation sembla vouloir accorder de l'importance aux recherches historiques, mais elle ne tarda pas à être absorbée par les questions dogmatiques et pratiques. Plus tard la théorie de l'inspiration littérale s'opposa absolument aux libres investigations de la critique.

Il était réservé à notre siècle d'entrer décidément dans une voie plus large. Schleiermacher et de Wette donnèrent le premier élan ; mais Baur fut le véritable promoteur de cette étude vraiment impartiale des origines du christianisme. Tandis que le rationalisme avait eu le tort de s'en tenir exclusivement à la question des miracles, l'école de Tubingue agrandit et éleva le débat. Depuis lors, les théologiens indépendants ont poussé les investigations dans tous les domaines de l'époque apostolique, de la composition des livres du Nouveau Testament et de la formation du canon. Il est à espérer que l'on persévérera dans cette voie, conformément aux principes de

'Ueber Etstehung und Recht einer rein historischen Betrachtung der neutestamentlichen Schriften in der Theologie, von Frank Overbeck. 1871. - Broch. in-8, de 36 pages.

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