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quences malheureuses aussi bien qu'avec des conséquences heureuses pour eux-mêmes, l'honnêteté d'autrui ne pouvait sûrement avoir que des conséquences heureuses. Ainsi, tandis qu'on ne s'aperçoit que « l'honnêteté est la meilleure politique, selon M. Hutton, que longtemps après l'énonciation de son caractère sacré comme devoir, » l'honnêteté fut reconnue pour être une vertu aussitôt que les hommes attribuèrent à un devoir quelconque un caractère sacré.

Du jour où les états et les individus se lièrent par des conventions ce fut l'intérêt manifeste de chacun que les autres fussent honnêtes. Tout manquement à cet égard devait naturellement être condamné par celui qui en était victime. C'est précisément parce que l'honnêteté amène quelquefois des conséquences malheureuses qu'elle est regardée comme une vertu. Si elle avait toujours valu des avantages immédiats à toutes les parties intéressées, elle aurait été rangée au nombre des choses utiles, non des choses justes; l'élément essentiel qui en fait une vertu lui aurait fait défaut.

Prenons encore pour exemple le respect pour la vieillesse. Nous trouvons jusqu'en Australie des lois, s'il est possible de les appeler ainsi, attribuant aux vieillards ce qu'il y a de meilleur en tout. Naturellement les vieillards ne perdent aucune occasion de graver ces injonctions dans l'esprit des jeunes gens; ils louent ceux qui s'y conforment et condamnent ceux qui leur résistent. Aussi la coutume est-elle strictement observée. Nous ne dirons pas que cette coutume se présente d'ellemême à l'esprit australien, comme un devoir sacré, mais nous pouvons croire que dans le cours du temps elle sera arrivée à être envisagée sous ce point de vue.

En effet, quand une race eut fait quelque progrès dans le sens du développement intellectuel, on dut certainement s'apercevoir d'une différence entre les actes recommandés au nom de quelque avantage qui en était le résultat immédiat, et ceux qui étaient prescrits pour quelque autre raison. De là dut naître l'idée de droit et de devoir, en tant que distincte de celle de l'utilité pure.

Combien nos notions de ce qui est droit dépendent plus

des leçons que nous recevons étant jeunes que d'idées héréditaires, c'est ce qui ressort avec évidence des différences que présentent les codes de morale qui sont en vigueur dans les contrées mêmes que nous habitons.

Nous pouvons aller plus loin et dire que, chez le même individu, on peut souvent rencontrer deux systèmes contradictoires, associés ou juxtaposés en dépit de leur incompatibilité. Ainsi le code chrétien et le code ordinaire de l'honneur semblent opposés à certains égards, et cependant la grande majorité adhère ou croit adhérer à l'un et à l'autre. Enfin, on peut observer que chez nous-mêmes la religion et la morale sont intimement associées, quoique le caractère sacré, qui fait partie intégrante de notre conception du devoir, n'ait pas pu lui appartenir avant que la religion ne fût devenue morale. Or pour que cette transformation s'effectuât, il a fallu qu'on en vint à considérer les divinités comme des êtres bienfaisants. Cette conception nouvelle admise, il s'en suivit naturellement que les dieux furent supposés regarder avec approbation tout ce qui tendait à l'avantage de leurs adorateurs, et condamner tous les actes d'un caractère opposé. Ce pas en avant fut un immense bienfait pour l'humanité, puisque la crainte des puissances invisibles qui, jusqu'alors n'avait produit que des cérémonies et des sacrifices, investissait tout d'un coup les sentiments moraux d'un caractère auguste, et par suite d'une force qu'ils n'avaient pas encore possédée.

Il semble donc que l'autorité fut l'origine, et l'utilité, quoique dans un autre sens que l'entend M. Spencer, le critère de la vertu. Cependant M. Hutton affirme que certainement, dans les temps où nous soumes, « une loi élémentaire devrait être aussi profondément gravée dans l'esprit des hommes et entrée dans la pratique que la loi géométrique qui statue qu'une ligne droite est le chemin le plus court entre deux points. Or quelle est la loi morale dont on puisse dire cela? >>

Nous ne voyons pas que cela soit nécessaire. Un enfant dont les parents appartiennent à deux nations différentes, ayant des codes moraux différents, aurait, croyons-nous, un sentiment moral profond tout en manquant d'idées bien arrêtées quant à

des devoirs moraux particuliers; et telle est en réalité notre condition. Nos ancêtres ont eu pendant plusieurs générations un sentiment que certaines actions étaient bonnes, et d'autres mauvaises; mais à des époques différentes ils ont eu des codes de morale très différents. Il suit de là que nous avons un sentiment moral bien enraciné, et que cependant, comme peuvent s'en convaincre tous ceux qui ont des enfants, nous n'avons pas un code de morale bien déterminé. Les enfants ont un sentiment profond du bien et du mal, mais ils ne possèdent pas pour cela une conviction intuitive ou déterminée qui leur signale quelles actions sont justes et quelles actions sont injustes.

PHILIPPE ROGET.

LES CONDITIONS D'UNE VIE DE JÉSUS

PAR

W. KRUGER-WELTHUSEN

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Une vie de Jésus n'est autre chose qu'une biographie basée sur des manifestations et des faits historiques. Quoiqu'une pareille biographie soit de la plus haute importance pour les chrétiens, qui professent trouver dans les paroles du Sauveur la source et la pierre de touche de la vérité religieuse, c'est la branche la plus récente de la théologie, elle ne remonte guère qu'à un siècle. Cela tient à ce qu'il a fallu, en tout premier lieu, conquérir, au milieu de longs et rudes combats, le terrain ferme sur lequel pouvait s'élever une pareille biographie. Aussi longtemps que l'humanité du Christ n'était pas prise au sérieux et que les évangiles n'étaient pas considérés comme des documents historiques, il ne pouvait être question d'écrire une vie de Jésus. La réformation, il est vrai, réagit à cet égard contre le point de vue du catholicisme, mais la théologie du XVIe siècle ne tarda pas de se rapprocher de la christologie ancienne au point de rendre toute différence insaisissable. De plus l'ancienne manière de concevoir les évangiles faisait supposer qu'il suffisait d'harmoniser les données diverses qu'ils présentent, pour obtenir une biographie de Jésus à tous égards satisfaisante. Ces harmonies rendirent un service tout autre

'Das Leben Jesu, von W. Krüger-Welthusen. Elberfeld 1872. Un volume in-8 de vi et 271 pages.

que celui qu'elles avaient en vue: elles mirent au jour les différences qui séparaient les divers évangiles.

Les attaques des déistes anglais, celles des représentants du XVIIIe siècle allemand (Aufklärung) conduisirent à concevoir les évangiles, non pas comme des récits et des faits historiques, mais comme des enseignements présentés sous forme imagée et allégorique (explication naturelle des miracles), ou comme une poésie, produit inconscient de l'enthousiasme apostolique (base de la théorie des mythes). L'explication des Fragments de Wolfenbuttel qui ne voyait dans nos évangiles qu'un fruit de la fraude et de la tromperie, scandalisa et rencontra peu d'adhérents. Le respect pour le Seigneur était trop profondément enraciné dans le cœur du peuple allemand, la prétention de rendre compte du christianisme au moyen d'une fraude était trop absurde pour que cette théorie pût aboutir. La Messiade de Klopstock, la Vie de Jésus de J.-J. Hess en triomphèrent aisément.

A partir de ce moment, tous les biographes s'efforcent d'élaguer l'élément surnaturel de la vie de Jésus. Il suffit pour cela de marcher résolûment dans la voie déjà ouverte par les déistes anglais. Le célèbre Paulus, tout en maintenant le caractère historique des documents évangéliques, réussit à les purifier de leurs miracles, au moyen d'une exégèse ingénieuse. On a mal compris le langage des narrateurs, ou bien on a omis quelque circonstance importante qui explique tout naturelle ment. Ainsi ce n'est pas sur la mer que Jésus a marché, mais à côté, sur le rivage qui la dominait. Jésus avait à sa disposition certains moyens médicaux dont les narrateurs n'ont tenu nul compte. Quand il faut convenir que les auteurs sacrés ont bien. eu l'intention de rapporter des faits miraculeux, cela tient à ce que les témoins ont mal vu et mal apprécié. Ainsi, tandis que Jésus s'entretient avec deux amis intimes, un rayon du soleil couchant les enveloppe tout à coup, ce qui suffit pour donner lieu au récit de la transfiguration. L'expédient de l'accommodation vient s'ajouter à tous ceux qui précèdent. Jésus lui-même ne croit ni aux anges, ni aux démons; s'il en parle, c'est pour se conformer aux préjugés régnants.

C. R. 1873.

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