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salut, la certitude de la mort, l'incertitude de cette heure si effroyable pour vous, l'impénitence finale, le jugement dernier, le petit nombre des élus, l'enfer, et, par-dessus tout, l'éternité-l'éternité! voilà les sujets dont je viens vous entretenir, et que j'aurais dû, sans doute, réserver pour vous seuls. Et qu'ai-je besoin de vos suffrages, qui me damncraient, peut-être, sans vous sauver? Dieu va vous émouvoir, tandis que son indigne ministre vous parlera; car j'ai acquis une longue expérience de ses miséricordes. Alors, pénétrés d'horreur pour vos iniquités passées, vous viendrez vous jeter dans mes bras, en versant des larmes de componction et de repentir, et à force de remords vous me trouverez assez éloquent." Le Cardinal Maury.

Eloquence de Bridaine.

Rappellerai-je encore une parabole employée par ce même missionnaire (Bridaine), qu'on a voulu faire passer pour un bouffon?

"Un homme accusé d'un crime dont il n'était pas coupable, était condamné à la mort par l'iniquité de ses juges. On le mène au su

pplice, et il ne se trouve ni potence dressée, ni bourreau pour exécuter la sentence. Le peuple, touché de compassion, espère que ce malheureux évitera la mort. Un homme élève la voix et dit: Je vais dresser une potence, et je servirai de bourreau. Vous frémissez d'indignation. Eh bien, mes frères, chacun de vous est cet homme inhumain. Il n'y a plus de Juif, aujourd'hui pour crucifier Jésus-Christ; vous vous levez et vous dites: " C'est moi qui le crucifierai.”

J'ai moi-même entendu Bridaine, avec la voix la plus perçante et la plus déchirante, avec la figure d'apôtre la plus vénérable, tout jeune qu'il était, avec un air de compouction que personne n'a jamais eu comme lui en chaire; je l'ai entendu prononçant ce morceau, et j'ose dire que l'éloquence n'a jamais produit un effet semblable: on n'entendit que des sanglots.

Marmontel.

Petit Nombre des Elus.

Je m'arrête à vous, mes frères, qui êtes ici assemblés. Je ne parle plus du reste des hommes; je vous regarde comme si vous étiez seuls sur la terre: et voici la pensée qui m'occupe et qui m'épouvante.* Je

La première fois que Massillon prêcha ce sermon à la cour, lorsqu'il fut à cet endroit un transport de saisissement s'empara de tout l'auditoire; presque tout le monde se leva à moitié par un mouvement involontaire : le murmure d'acclamation et de surprise fut si fort qu'il troubla l'orateur, et ce trouble ne servit qu'à augmenter le pathétique de ce morceau.

suppose que c'est ici votre dernière heure et la fin de l'univers; que les cieux vont s'ouvrir sur vos têtes, Jésus-Christ paraître dans sa gloire au milieu de ce temple, et que vous n'y êtes assemblés que pour l'attendre, et comme des criminels tremblans à qui l'on va prononcer une sentence de grâce ou un arrêt de mort éternelle: car vous avez beau Vous flatter, vous mourrez tels que vous êtes aujourd'hui; tous ces désirs de changement qui vous amusent, vous amuseront jusqu'au lit de la mort, c'est l'expérience de tous les siècles; tout ce que vous trouverez alors en vous de nouveau sera peut-être un compte un peu plus grand que celui que vous auriez aujourd'hui à rendre; et sur ce que vous seriez si l'on venait vous juger dans le moment, vous pouvez presque décider de ce qui vous arrivera au sortir de la vie.

Or je vous demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant pas en ce point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même disposition où je souhaite que vous soyez ; je vous demande donc: si Jésus-Christ paraissait dans ce temple, au milieu de cette assemblée la plus auguste de l'univers, pour nous juger, pour faire le juste discerne. ment des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à la droite? Croyez-vous que les choses du moins fussent égales? Croyez-vous qu'il s'y trouvat seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes toutes entières; Je vous le demande, vous l'ignorez et je l'ignore moi-même. Vous seul, ô mon Dieu! connaissez ceux qui vous appartiennent. Mais si nous ne connaissons pas ceux qui lui appartiennent, nous savons du moins que les pécheurs ne lui appartiennent pas. Or, qui sont les fidèles? Les titres et les dignités ne doivent être comptés pour rien; vous en serez dépouillés devant Jésus-Christ; qui sont-ils ? beaucoup de pécheurs qui ne veulent pas se convertir; encore plus, qui le voudraient, mais qui différent leur conversion; plusieurs autres, qui ne se convertissent jamais que pour retomber; enfin un grand nombre qui croient n'avoir pas besoin de conversion; voilà le parti des réprouvés. Retranchez ces quatre sortes de pécheurs de cette assemblée sainte; car ils en seront retranchés au grand jour : 'paraissez maintenant, justes; où êtes-vous? Restes d'Israël, passez à la droite: froment de Jésus-Christ, démêlez-vous de cette paille destinée au feu : & Dieu! où sont vos élus, et que reste-il pour votre partage?

Incertitude du Temps de la Mort.

Massillon.

Ici, mes frères, je ne vous demande que de la raison. Quelles sont les conséquences naturelles que le bon sens tout seul doit tirer de l'incertitude de la mort?

Premièrement, l'heure de la mort est incertaine; chaque année, chaque jour, chaque moment peut être le dernier de notre vie: donc, c'est une folie de s'attacher à tout ce qui doit passer en un instant, et de perdre par-là le seul bien qui ne passera pas: donc, tout ce que vous fuites uniquement pour la terre doit vous paraître perdu, puisque vous

n'y tenez à rien, que vous n'y pouvez compter sur rien, et que vous n'eu emporterez rien que ce que vous aurez fait pour le ciel; donc, les royaumes du monde et toute leur gloire ne doivent pas balancer un moment les intérêts de votre éternité, puisque les grandes fortunes ne vous assurent pas plus de jours que les médiocres, et que l'unique avantage qui peut vous en revenir, c'est un chagrin plus amer, quand il faudra au lit de la mort s'en séparer pour toujours: donc, tous vos soins, tous vos mouvemens, tous vos désirs doivent se réunir à vous ménager une fortune durable, un bonheur éternel que personne ne puisse plus vous ravir.

Secondement, l'heure de votre mort est incertaine: donc, vous devez mourir chaque jour; ne vous permettre aucune action dans laquelle vous ne voulussiez point être surpris; regarder toutes vos démarches comme les démarches d'un mourant qui attend à tous momens qu'on lui vienne redemander son ame; faire toutes vos œuvres comme si vous deviez à l'instant en aller rendre compte ; et puisque vous ne pouvez pas répondre du temps qui suit, régler tellement le présent que vous n'ayez pas besoin de l'avenir pour le réparer.

Enfin l'heure de votre mort est incertaine: donc, ne différez pas votre pénitence; ne tardez pas de vous convertir au Seigneur : le temps presse. Vous ne pouvez pas même vous répondre d'un jour, et vous renvoyez à un avenir éloigné et incertain. Si vous aviez imprudemment avalé un poison mortel, renverriez-vous à un temps éloigné le remède qui presse et qui peut seul vous conserver la vie? La mort que vous porteriez dans le sein, vous permettrait-elle des délais et des remises? voilà votre état. Si vous êtes sages, prenez à l'instant vos précautions: vous portez la mort dans votre ame puisque vous y portez le péché: hâtez-vous d'y remédier; tous les instans sont précieux à qui ne peut se répondre d'aucun: le breuvage empoisonné qui infecte votre ame ne saurait vous mener loin; la bonté de Dieu vous offre encore le remède; 'hâtez-vous encore une fois d'en user, tandis qu'il vous en laisse le temps. Faudrait-il des exhortations pour vous y résoudre? Ne devrait-il pas suffire qu'on vous montrât le bienfait de la guérison? Faut-il exhorter un infortuné que les flots entraînent, à faire des efforts pour se garantir du naufrage? Devriez-vous avoir besoin là-dessus de notre ministère? Vous touchez à votre dernière heure; vous allez paraître dans un clin d'œil devant le tribunal de Dieu; vous pouvez employer utilement le moment qui vous reste: presque tous ceux qui meurent tous les jours à vos yeux le laissent échapper, et meurent sans en avoir fait aucun usage; vous imitez leur négligence; la même surprise vous attend; vous mourrez comme eux, avant d'avoir commencé à mieux vivre: on le leur avait annoncé, et nous vous l'annonçons: leur malheur vous laisse insensibles, et le sort infortuné qui vous attend ne touchera pas davantage ceux à qui nous l'annoncerons un jour: c'est une succession d'aveuglement qui passe du père aux enfans, et qui se perpétue sur la terre: nous voulons tous mieux vivre, et nous mourons tous avant d'avoir bien vécu. Massillon. Sermon sur la Mort.

Portrait du Pécheur Mourant.

Ainsi tout change pour cet infortuné, et ces changemens font, avec ses surprises et ses séparations, la dernière amertume du spectacle de

la mort.

Changement dans son crédit et dans son autorité: dès qu'on n'espère plus rien de sa vie, le monde commence à ne plus compter sur lui: ses amis prétendus se retirent: ses créatures se cherchent déjà ailleurs d'autres protecteurs et d'autres maîtres: ses esclaves même sont occupés à s'assurer après sa mort, une fortune qui leur convienne; à peine eu reste-t-il auprès de lui pour recueillir ses derniers soupirs. Tout l'abandonne. Tout se retire. Il ne voit plus autour de lui ce nombre empressé d'adulateurs: c'est peut-être un successeur qu'on lui désigne déjà, chez qui tout se rend en foule; tandis que lui, dit Job, seul dans le lit de sa douleur, n'est plus environné que des horreurs de la mort, entre déjà dans cette solitude affreuse que le tombeau lui prépare, et fait des réflexions amères sur l'inconstance du monde et sur le peu de fond qu'il y a à faire sur les hommes.

Changement dans l'estime publique dont il avait été si flatté, si enivré: hélas! le monde qui l'avait tant loué, l'a déjà oublié. Le changement, que sa mort va faire sur la scène, réveillera encore durant quelques jours les discours publics; mais ce court intervalle passé, il va retomber dans le néant et dans l'oubli: à peine se souviendra-t-on qu'il a vécu: on ne sera peut-être occupé que des merveilles d'un successeur, qu'à l'élever sur les débris de sa réputation et de sa mémoire. Il voit déjà cet oubli: qu'il n'a qu'à mourir; que le vide sera bientôt rempli; qu'il ne restera pas même des vestiges de lui daus le monde; et que les gens de bien tout seuls, qui l'avaient vu environné de tant de gloire, se diront à eux-mêmes; où est-il maintenant? Que sont devenus ces applaudissemens que lui attirait sa puissanee? Voilà à quoi conduit le monde, et ce qu'on gagne en le servant!

Changement dans son corps: cette chair qu'il avait flattée, idolatrée ; cette vaine beauté qui lui avait attiré tant de regards, et corrompu tant de cœurs, n'est déjà plus qu'un spectacle d'horreurs dont on peut à peine soutenir la vue: ce n'est plus qu'un cadavre dont on craint déjà l'approche. Cette infortunée créature qui avait allumé tant de passions injustes, hélas! ses amis, ses proches, ses esclaves même, la fuient, s'écartent, se retirent, n'osent approcher qu'avec précaution, ne lui rendent plus que des offices de bienséance et de contrainte: ellemême ne se souffre plus qu'avec peine, et ne se regarde qu'avec horreur. Moi qui attirais autrefois tous les regards, se dit-elle avec Job, mes esclaves que j'appelle refusent maintenant de m'approcher; et mon souffle même est devenu une infection et un souffle de mort pour mes enfans et pour mes proches.

Enfin changement dans tout de qui l'environne: ses yeux cherchent à se reposer quelque part, et ils ne retrouvent partout que les images lugubres de la mort. Mais ce n'est men encore pour ce pécheur mou rant, qui le souvenir du passé et le spectacle du présent. Il ne serait

pas si malheureux, s'il pouvait borner là toutes ses peines: c'est la pensée de l'avenir, qui le jette dans un saisissement d'horreur et de désespoir. Cet avenir, cette région de ténèbres où il va entrer seul, accompagné de sa seule conscience: cet avenir, cette terre inconnue d'où nul mortel n'est revenu, où il ne sait ni ce qu'il trouvera, ni ce qu'on lui prépare: cet avenir, cet abîme immense où son esprit se perd et se confond, et où il va s'ensevelir incertain de sa destinée: cet avenir, ce tombeau, ce séjour d'horreur, où il va prendre sa place avec les cendres et les cadavres de ses ancêtres: cet avenir, cette éternité etonnante dont il ne peut soutenir le premier coup-d'œil: cet avenir enfin, ce jugement redoutable où il va paraître devant la colère de Dieu, et rendre compte d'une vie dont tous les momens presque ont été des crimes. Ah! tandis qu'il ne voyait cet avenir terrible que de loin, il se fesait une gloire affreuse de ne le pas craindre: il demandait sans cesse d'un ton de blasphème et de dérision: qui en est revenu? Il se moquait des frayeurs vulgaires, et se piquait là-dessus de fermeté et de bravoure. Mais dès qu'il est frappé de la main de Dieu, dès que la mort se fait voir de près, que les portes de l'éternité s'ouvrent à lui, et qu'il touche enfin à cet avenir terrible contre lequel il avait paru si rassuré; ah! il devient alors, ou faible, tremblant, éploré, levant au cie! des mains suppliantes; ou sombre, taciturne, agité, roulant au-dedans de lui des pensées affreuses, et n'attendant pas plus de ressource du côté de Dieu, de la faiblesse de ses lamentations et de ses larmes, que de ses fureurs et de son désespoir.

Massillon. Avent, Sermon sur la Mort.

La Mort du Sage.

On annonce à l'homme juste qu'il doit mourir : il n'en est pas ému. Son cœur est tranquille, et son visage ne s'altère pas. Sa gaieté mêm ne l'abandonne pas un moment: entouré de visages désolés, Ini seul paraît indifférent et calme. Sa grandeur est sans efforts, et sa fermeté sans ostentation. Il ne s'élève pas. Il ne voit pas même qu'on le regarde. Chaque jour il mesure l'état où il est, par la clarté de ses idées, et calcule avec tranquillité la diminution successive de ses forces. Il a le loisir de se livrer à l'impression de tous les objets qui l'affectent. Il observe tout. Il sourit au milieu de ses douleurs. Une douce plaisanle terie se mêle à ces momens affreux. On dirait qu'il n'est que specpour lui tateur d'une chose indifférente; et la mort ne semble être qu'une action ordinaire de la vie. Quoi! dans le moment où tout échappe, quand tous les êtres s'éloignent, pour ainsi dire, et se reculent; lorsque le temps n'est plus que le calcul lent et affreux de la destruction; quand l'ame solitaire, arrachée à la nature et à ses propres sens, est sur le point d'entrer dans un avenir impénétrable; quoi! dans ce moment être tranquille! Qui peut ainsi affermir l'homme, au milieu de tout ce qu'il y a de plus effrayant pour l'homme? Ah! c'est la paix de l'homine de bien. C'est la douce conscience de la vertu. C'est le sen

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