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MODÈLES.

Lettre de M. de la Bruyère à M. le Comte de Bussy, 1691.

Si vous ne vous cachiez pas de vos bienfaits, monsieur, vous auriez eu plutôt mon remerciement. Je vous le dis sans compliment, la manière dont vous venez de m'obliger m'engage pour toute ma vie à la plus vive reconnaissance dont je puisse être capable. Vous aurez bien de la peine à me fermer la bouche; je ne puis me taire sur une action aussi généreuse.

Je vous envoie, monsieur, un de mes livres des caractères, fort augmenté, et je suis avec toute sorte de respects et de gratitude, &c.

Lettre de Fénélon à Madame la Marquise de Lambert.

Je devais déjà beaucoup, madame, à M. de Sacy, puisqu'il m'avait procuré la lecture d'un excellent écrit ; mais la dette est bien augmentée depuis qu'il m'a attiré la très-obligeante lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Ne pourrai-je point enfin, madame, vous devoir à vous-même la lecture du second ouvrage ?+ Outre que le premier le fait désirer fortement, je serais ravi de recevoir cette marque des bontés que vous voulez bien me promettre. Je n'oserais me flatter d'aucune espérance d'avoir l'honneur de vous voir en ce pays dans un malheureux temps où il est le théâtre de la guerre, mais dans un temps plus heureux, une belle saison pourrait vous tenter de curiosité pour cette frontière: vous trouveriez ici l'homme du mode le plus touché de cette occasion et le plus empressé à en profiter. C'est avec le respect le plus sincère que je suis parfaitement, et pour toujours, &c.

Lettre de M. de Fontenelle au Roi de Pologne Stanislas.

SIRE,-Jugez de ma reconnaissance de la grâce que votre majesté m'a faite en m'accordant une place dans son académie de Nancy, par l'idée que j'en ai. Je me crois dans le même cas que si l'empereur Marc-Aurèle m'avait admis dans une compagnie qu'il eût pris soin d'établir et de former lui-même.

Je suis, avec le plus profond respect, &c.

Lettre de Madame de Simione.

Je voudrais bien trouver, monsieur, quelque façon de vous té. moigner ma reconnaissance, qui convint et qui fût assortie à toute

Les avis d'une mère à son fils.
Les avis d'une mère à sa fille.

celle que j'ai dans le cœur pour le bien que vous venez de faire au pauvre petit Bernard. Vous en serez content; c'est un bon sujet; il répondra par son zèle à toutes vos bontés: voilà qui nous acquittera un peu tous. Soyez bien persuadé, s'il vous plaît, que vous n'obligez point une ingrate, et que vos bienfaits me pénètrent à un point qui vous acquiert mon moi tout entier. Si avec cela Varanges est nommé écrivain de Vaisseau, je ne sais plus où donner de la tète. Ma grand❜mère (Madame de Sévigné) disait en pareil cas, que, quand on était obligé à quelqu'un à un certain point, il n'y avait que Fingratitude qui pût tirer d'affaire. Je ne me sens point encore cette façon de penser à votre égard, &c.

Lettre de J. B. Rousseau à M. Boutet, qui ayant appris sa Maladie venait de lui envoyer de l'Argent.

Avec un seul ami comme vous, monsieur, on serait toujours tranquille si la reconnaissance excluait la confusion. La mienne augmente à la vue de vos bontés. Il est vrai qu'ayant actuellement pour me servir trois ou quatre personnes qu'il faut nourrir et payer, j'avais besoin de secours, mais je n'avais besoin que du quart de ce que vous m'envoyez. Il n'est pas possible que vous soyez si généreux sans vous incommoder; et moins vous y pensez, plus j'y songe et j'y dois songer. Les témoignages réitérés de votre infatigable bonté suffiraient seuls pour remettre mon sang et mes humeurs dans le plus parfait équilibre. Je suis beaucoup mieux; mais j'ai vu ma vie ne tenir qu à un filet aussi mince que l'attachement aux billevesées de co monde. Il y a un moment, monsieur, où toute chimère disparaît et au bonheur duquel on doit se contenter de travailler.

RÉPONSES A DES LETTRES DE REMERCIEMENT.
MODÈLES.

Réponse de M. P*** au Comte de Bussy.

MONSIEUR,-Le faible service que j'ai tâché de vous rendre ne méritait pas la manière dont vous me témoignez que vous l'avez reçu, et vous deviez me laisser la satisfaction d'avoir fait une action que vous désirez, sans y mêler un compliment que je n'avais point attendu. Soyez assuré, monsieur, du plaisir que je trouverai toujours à vous témoigner, par mes services, la vérité avec laquelle je suis, &c.

Réponse de J. B. Rousseau, au Comédien Baron, qui l'avait remercié d'avoir parlé avantageusement de lui.

Vous ne me devez, monsieur, aucune reconnaissance des expressions dont je me sers toutes les fois qu'il s'offre quelque occasion de parler

de vous: l'amitié me les dicte, l'équité me les inspire, la vérité me les arrache, et je ne suis pas plus le maître de vous louer modérément, qu'un amant de parler de sang-froid de sa maîtresse, ou un plaideur de la bonté de sa cause. Ma sensibilité ne dépend pas de moi; c'est un maître qui me domine, et qui me force souvent, malgré moi, de blamer avec excès ce qui est blâmable, et de louer de même ce que je trouve digne de louange. J'ai connu en ma vie plusieurs personnages dignes de mon admiration, mais ils ne sont plus ; et de tout ce que j'ai admiré dans ma jeunesse; vous êtes, mon cher monsieur, le seul qui nous reste. Jugez par là combien vos jours doivent m'être précieux, et avec combien de passion je désire que vous en ménagiez la durée.

Réponse de Voltaire au Cardinal Albéroni.

MONSEIGNEUR-La lettre dont votre éminence m'a honoré est un rix aussi flatteur de mes ouvrages que l'estime de l'Europe a dû vous l'être de vos actions. Vous ne me deviez aucun remerciement, monseigneur; je n'ai été que l'organe du public en parlant de vous. La liberté et la vérité qui ont toujours conduit ma plume, m'ont valu votre suffrage: ces deux caractères doivent plaire à un génie tel que le vôtre: quiconque ne leɛ aime pas pourra bien être un homme puissant, mais ne sera jamais un grand homme. Je voudrais être à portée d'admirer celui à qui j'ai rendu justice de si loin. Je ne me flatte pas d'avoir jamais le bonheur de voir votre éminence; mais, si Rome en. tend assez ses intérêts pour vouloir au moins rétablir les arts, le commerce, et remettre quelque splendeurdans un pays qui a été autrefois le maître de la plus belle partie du monde, j'espère alors que je vous écrirai sous un autre titre que sous celui de votre éminence, dont j'ai Phonneur d'être avec autant d'estime que de respect, &c.

DES LETTRES DE CONSEILS.

INSTRUCTION.

On redoute les conseils, nême en paraissant les désirer; ils blessent presque toujours l'amour-propre, qui en cherchant des avis, ne veut trouver que des approbations. Soyez donc extrêmement avare de conseils. Un père en doit à son fils, une mère à sa fille, un tuteur à son pupille, un ami à son ami. Dans ces cas-là ne les épargnez pas, dussent-ils être mal reçus: c'est une dette qu'il faut acquitter. Mais en toute autre circonstance, faites-vous presser plus d'une fois avant de vous ériger en donneur d'avis. S'il est ensuite nécessaire d'en venir là, usez des plus grands ménagemens. Une lettre de ce genre ne peut être trop mesurée. Prodiguez-y ces formules: il me semble; je puis me tromper; ne vous seriez-vous pas mépris par hasard? si j'ose vous dire mon sentiment; vous qui voyez si bien, qui jugez si sainement

comment ne vous êtes-vous pas aperçu, &c. D'un côté la modestie de celui qui donne le conseil, de l'autre l'éloge de celui qui reçoit, font alors passer ce qu'il peut avoir d'amer.

Voyez de quelle respectueuse adresse se sert Voltaire, dans sa correspondance avec le roi de Prusse, lorsqu'il le reprend surdes fautes de laugage, et l'éclaire sur les règles de la grammaire et de la poésie, dont le grand Frédéric s'écartait assez souvent. A quelle circonspection plus délicate encore Voltaire n'aurait-il pas eu recours, s'il avait eu à s'expliquer sur des objets d'une plus grande importance!

MODÈLES.

Lettre de Madame de Maintenon à son frère.

On n'est malheureux que par sa faute: ce sera toujours mon texte et ma réponse à vos lamentations. Songez, mon cher frère, au voyage d'Amérique, aux malheurs de notre père, aux malheurs de notre enfance, à ceux de notre jeunesse, et vous bénirez la Providence au lieu de murmurer contre la fortune. Il y a dix ans que nous étions bien éloignés l'un et l'autre du point où nous sommes aujourd'hui ! nos espérances étaient si peu de chose, que nous bornions nos vœux à trois mille livres de rente: nous en avons à présent quatre fois plus, et nos souhaits ne seraient pas encore remplis! Nous jouissons de cette heureuse médiocrité que vous vantiez si fort; soyons contens. Si les biens nous viennent recevons-les de la main de Dieu; mais n'ayons pas des vues trop vastes. Nous avons le nécessaire et le commode; tout le reste n'est que cupidité. Tous ces désirs de grandeur partent du vide d'un cœur inquiet. Toutes vos dettes sont payées; vous pouvez vivre délicieusement sans en faire de nouvelles: que désirez-vous? faut-il que des projets de richesse et d'ambition vous coûtent la perte de votre repos et de votre santé ? Lisez la vie de saint Louis; vous verrez combien les grandeurs de ce monde sont au-dessous des désirs du cœur de l'homme: il n'y a que Dieu qui puisse le rassasier. Je vons le répète, vous n'êtes malheureux que par votre faute. Vos inquiétudes détruisent votre santé, que vous devriez conserver quand ce ne serait que parce que je vous aime. Travaillez sur votre humeur; si vous pouvez la rendre moins bilieuse et moins sombre, ce sera un grand point de gagné. Ce n'est point l'ouvrage des réflexions seules, il y faut de l'exercice, de la dissipation, une vie unie et réglée. Vous ne penserez pas bien tant que vous vous porterez mal: dès que le corps est dans l'abattement, l'ame est sans vigueur. Adieu; écrivezmoi, et sur un ton moins lugubre.

Lettre de la même à Madame d' Havrincourt.

Vous n'avez à présent, ma chère fille, que deux choses à faire; ser

vir Dieu et plaire à votre mari. Prodiguez-lui vos complaisances: entrez dans toutes ses fantaisies; souffrez toujours ses bizarreries, et qu'il n'ait jamais à souffrir des vôtres. S'il est jaloux, ne voyez personne; s'il vous veut dans le grand monde, mettez-vous-y toujours avec la modération que la vertu demande.

Lettre de Voltaire à M. Desforges-Maillard.

De longues et cruelles maladies, dont je suis depuis long-temps accablé, monsieur, m'ont privé jusqu'à présent du plaisir de vous remercier des vers que vous me fîtes l'honneur de m'envoyer au mois d'avril dernier. Les louanges que vous me donnez m'ont inspiré de la jalousie, et en même temps de l'estime et de l'amitié pour l'auteur. Je souhaite, monsieur, que vous veniez à Paris perfectionner l'heureux talent que la nature vous a donné. Je vous aimerais mieux avocat à Paris qu'à Rennes; il faut de grands théâtres pour de grands talens, et la capitale est le séjour des gens de lettres. S'il m'était permis, monsieur, d'oser joindre quelques conseils aux remerciemens que je vous dois, je prendrais la liberté de vous prier de regarder la poésie comme un amusement qui ne doit pas vous dérober à des occupations plus utiles. Vous paraissez avoir un esprit aussi capable du solide que de l'agréable, soyez sûr que si vous n'occupiez votre jeunesse que de l'étude des poétes, vous vous en repentiriez dans un âge plus avancé. Si vous avez une fortune digne de votre mérite, je vous conseille d'en jouir dans quelque place honorable; et alors la poésie, l'éloquence, l'histoire, et la philosophie feront vos délassemens. Si votre fortune est au-dessous de ce que vous méritez, et de ce que je vous souhaite, songez à la rendre meilleure; primò vivere, deindè philosophari. Vous serez surpris qu'un poéte vous écrive de ce style; mais je n'estime la poésie qu'autant qu'elle est l'ornement de la raison. Je crois que vous la regardez avec les mêmes yeux. Au reste, monsieur, si je suis jamais à portée de vous rendre quelque service dans ce pays-ci, je vous prie de ne me point épargner; vous me trouverez toujours disposé à vous donner toutes les marques de l'estime et de la reconnaissance avec lesquelles je suis, &c.

Lettre du même à Mademoiselle ***** qui l'avait consulté sur les livres qu'elle devait lire.

Je ne suis, mademoiselle, qu'un vieux malade: et il faut que mon état soit bien douloureux, puisque je n'ai pu répondre plutôt à la lettre dont vous m'honorez. Vous me demandez des conseils; il ne vous en faut point d'autres que votre goût. Je vous invite à ne lire que les ouvrages qui sont depuis long-temps en possession des silfrages du public, et dont la réputation n'est point équivoque, il y en

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