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L'intérêt est la fin de l'amour propre : la générosité en est le sacrifice. La méchanceté suppose un goût à faire le mal: la malignité, une méchanceté cachée: la noirceur, une malignité profonde.

L'insensibilité à la vue des misères, peut s'appeler dureté; s'il y entre du plaisir, c'est cruauté. La sincérité me paraît l'expression de la vérité; la franchise, une sincérité sans voile; la candeur, une sincérité douce; l'ingénuité, une sincérité innocente; l'innocence, une pureté sans tache.

L'imposture est le manque de la vérité; la fausseté, une imposture naturelle; la dissimulation, une imposture réfléchie; la fourberie, une .mposture qui veut nuire; la duplicité, une imposture qui a deux faces.

La libéralité est une branche de la générosité; la bonté, un goût à faire du bien, et à pardonner le mal; la clémence, une bonté envers nos ennemis.

La simplicité nous présente l'image de la vérité et de la liberté.

L'affectation est le dehors de la contrainte et du mensonge; la fidélité n'est qu'un respect pour nos engagemens ; l'infidélité, une dérogeance; la perfidie, une infidélité couverte et criminelle.

La bonne foi est une fidélité sans défiance et sans artifice.

La force d'esprit est le triomphe de la réflexion; c'est un instinct supérieur aux passions, qui les calme ou qui les possède: on ne peut pas savoir d'un homme qui n'a pas les passions ardentes, s'il a de la force d'esprit ; il n'a jamais été dans des épreuves assez difficiles.

La modération est l'état d'une ame qui se possède; elle naît d'une espèce de médiocrité dans les désirs, et de satisfaction dans les pensées, qui dispose aux vertus civiles.

L'immodération, au contraire, est une ardeur inaltérable et sans délicatesse, qui mène quelquefois à de grands vices.

La tempérance n'est qu'une modération dans les plaisirs, et l'intempérance, au contraire.

L'humeur est une inégalité qui dispose à l'impatience; la complaisance est une volonté flexible; la douceur, un fonds de complaisance et de bonté.

La brutalité est une disposition à la colère et à la grossièreté; l'irrésolution, une timidité à entreprendre; l'incertitude, une irrésolution à croire; la perplexité, une irresolution inquiète.

La prudence, une prévoyance raisonnable; l'imprudence, tout au contraire.

L'activité naît d'une force inquiète : la paresse, d'une impuissance paisible.

La mollesse est une paresse voluptueuse.

L'austérité est une haîne des plaisirs ; et la sévérité, des vices.

La solidité, une consistance et une égalité d'esprit; la légèreté, un défaut d'assiette et d'uniformité de passions ou d'idées.

La constance, une fermeté raisonnable dans nos sentimens; l'opiniâtreté, une fermeté déraisonnable; la pudeur, un sentiment de la difformité du vice, et du mépris qui le suit.

La sagesse, la connaissance et l'affection du vrai bien; l'humilité, un sentiment de notre bassesse devant Dieu; la charité, un zèle de religion pour le prochain; la grâce, une impulsion surnaturelle vers le bien. Vauvenargues. Connaissance de l'Esprit Humain.

Louis XI. et le Cardinal Bessarion.

Un savant n'est pas propre pour gouverner; mais il vaut encore mieux qu'un bel esprit, qui ne peut souffrir ni la justice ni la bonne foi.

Louis XI. Bon jour, monsieur le cardinal. Je vous recevrai aujourd'hui plus civilement que quand vous vîntes me voir de la part du pape. Le cérémonial ne peut plus nous brouiller: toutes les ombres sont ici pêle-mêle et incognito; les rangs sont confondus.

Le C. Bessarion. J'avoue que je n'ai pas encore oublié votre injustice, quand vous me prîtes par la barbe, dès le commencement de ma harangue.

Louis. Cette barbe Grecque me surprit; et je voulais couper court pour la harangue, qui eût été longue et superflue.

Le C. Pourquoi cela? ma harangue était des plus belles; je l'avais composée sur le modèle d'Isocrate, de Lysias, d'Hypéridès, et de Périclès.

Louis. Je ne connais point tous ces messieurs-là. Vous aviez été voir le duc de Bourgogne mon vassal, avant que de venir chez moi. Il aurait bien mieux valu ne lire pas tant vos vieux auteurs, et savoir mieux les règles du siècle présent. Vous vous conduisîtes comme un pédant qui n'a aucune connaissance du monde.

Le C. J'avais pourtant étudié à fond les lois de Dracon, celles de Lycurgue et de Solon, les lois et la république de Platon, tout ce qui nous reste des anciens orateurs qui ont gouverné les peuples, enfin les meilleurs scoliastes d'Homère, qui ont parlé de la police d'une république.

Louis. Et moi, je n'ai jamais rien lu de tout cela; mais je sais qu'il ne fallait pas qu'un cardinal envoyé par le pape pour faire rentrer le duc de Bourgogne dans mes bonnes grâces, allât le voir avant que de venir chez moi.

Le C. J'avais cru pouvoir suivre l'Usteron Proteron des Grecs; je savais même, par la philosophie, que ce qui est le premier quant à l'intention, est le dernier quant à l'exécution.

Louis. Oh! laissons-là votre philosophie: venons au fait.

Le C. Je vois en vous toute la barbarie des Latins, chez qui la Grèce désolée, après la prise de Constantinople, essaya en vain de défricher l'esprit et les lettres.

Louis. L'esprit ne consiste que dans le bon sens, et point dans le Grec : la raison est dans toutes les langues. Il fallait garder l'ordre, et mettre le seigneur avant le vassal. Les Grecs, que vous vantez tant, D'étaient que des sots, s'ils ne savaient pas ce que savent les hommes

es plus grossiers. Mais je ne puis m'empêcher de rire, quand je me souviens comment vous voulûtes négocier. Dès que je ne convenais pas de vos maximes, vous ne me donuiez pour toute raison que des passages de Sophocle, de Lycophron, et de Pindare. Je ne sais comment j'ai retenu ces noms, dont je n'avais jamais ouï parler qu'à vous; mais je les ai retenus à force d'être choqué de vos citations. Il était question des places de la Somme; et vous me citiez un vers de Ménandre, ou de Callimaque. Je voulais demeurer uni aux Suisses et au duc de Lorraine, contre le duc de Bourgogne, et vous me prouviez par Gorgiaset Platon, que ce n'était pas mon véritable intérêt. Il s'agissait de savoir si le roi d'Angleterre serait pour ou contre moi; vous m'alléguiez l'exemple d'Epaminondas. Enfin, vous me consolâtes de n'avoir jamais guère étudié. Je disais en moi-même: heureux celui qui ne sait pas tout ce que les autres ont dit, et qui sait un peu ce qu'il faut dire !

Le C. Vous m'étonnez par votre mauvais goût; je croyais que vous aviez bien étudié. On m'avait dit que le roi votre père vous avait donné un assez bon précepteur, et qu'ensuite vous aviez pris plaisir en Flandres, chez le duc de Bourgogne, à faire raisonner tous les jours de la philosophie.

Louis. J'étais encore bien jeune quand je quittai le roi mon père et mon précepteur. Je passai à la cour de Bourgogne, où l'inquiétude et l'ennui me réduisirent à goûter un peu quelques savans: mais j'en fus vientôt dégoûté. Ils étaient pédans, imbécilles comme vous; ils n'entendaient point les affaires; ils ne connaissaient point les différens caractères des hommes ; ils ne savaient ni dissimuler, ni se taire, ni s'insinuer, ui entrer dans les passions d'autrui, ni trouver des ressources dans les difficultés, ni deviner les desseins des autres. Ils étaient vains, indiscrets, disputeurs, toujours occupés de mots et de faits inutiles, pleins de subtilités qui ne persuadent personne, incapables d'apprendre à vivre et de se contraindre. Je ne pus souffrir de tels animaux.

Le C. Il est vrai que les savans ne sont pas d'ordinaire trop propres à l'action, parce qu'ils aiment le repos des muses: il est vrai aussi qu'ils ne savent guère se contraindre ni dissimuler, parce qu'ils sont au-dessus des passions grossières des hommes, et de la flatterie que les tyrans demandent.

Louis. Allez, grande barbe, pédant hérissé de Grec; vous perdez Le respect qui m'est dû.

Le C. Je ne vous en dois point. Le sage, suivant les stoïciens et toute la secte du portique, est plus roi que vous ne l'avez jamais été par le rang et par la puissance. Vous ne le fûtes jamais comme le sage, par un véritable empire sur vos passions: d'ailleurs, vous n'avez plus qu'une ombre de royauté : d'ombre à ombre, je ne vous cède point. Louis. Voyez l'insolence de ce vieux pédant!

Le C. J'aime encore mieux être pédant, que fourbe et tyran du genre humain. Je n'ai pas fait mourir mon frère ; je n'ai pas tenu en prison mon fils; je n'ai employé ni le poison ni l'assassinat pour me défaire de mes ennemis; je n'ai point eu une vieillesse affreuse, semblable à celle des tyrans que la Grèce a tant détestés. Mais il faut vous *C

VOL. II.

excuser.

Avec beaucoup de finesse et de vivacité, vous aviez beaucoup de chose d'une tête un peu démontée. Ce n'était pas pour rien que vous étiez fils d'un homme qui s'était laissé mourir de faim, et petit-fils d'un autre qui avait été renfermé tant d'années. Votre fils même n'a la cervelle guère assurée; et ce sera un grand bonheur pour la France, si la couronne passe après lui dans une branche plus sensée. Louis. J'avoue que ma tête n'était pas tout-à-fait bien réglée. J'avais des faiblesses, des visions noires, des emportemens furieux; mais j'avais de la pénétration, du courage, de la ressource dans l'esprit, des talens pour gagner les hommes, et pour accroître non autorité; je savais fort bien laisser à l'écart un pédant inutile à tout, et découvrir les qualités utiles dans les sujets les plus obscurs. Dans les langueurs même de ma dernière maladie, je conservai encore assez de fermeté d'esprit pour travailler à faire une paix avec Maximilien. Il attendait ma mort, et ne cherchait qu'à éluder la conclusion. Par mes émissaires secrets je soulevai les Gantois contre lui: je le réduisis à faire malgré lui un traité de paix avec moi, où il me donnait, pour mon fils, Marguerite sa fille, avec trois provinces. Voilà mon chef-d'œuvre de politique dans ces derniers jours, où l'on me croyait fou. Allez, vieux pédant, allez chercher vosGrecs, qui n'ont jamais su autant de politique que moi: allez chercher vos savans, qui ne savent que lire, et parler de leurs livres ; qui ne savent ni agir, ni vivre avec les hommes.

Le C. J'aime encore mieux un savant qui n'est pas propre aux affaires etqui ne sait que ce qu'il a lu, qu'un esprit inquiet, artificieux, et entreprenant, qui ne peut souffrir ni la justice, ni la bonne foi, et qui renverse tout le geure humain.

Le Prince de Galles et Richard, son fils.

Caractère d'un prince faible.

Fénélon.

Le P. de Galles. Hélas! mon cher fils! je te vois avec douleur; j'espérais pour toi une vie plus longue, et un règne plus heureux. Qu'est-ce qui a rendu ta mort si prompte? N'as-tu point fait la même faute que moi, en ruinant ta santé par un excès de travail dans la guerre contre la France?

Richard. Nou, mon père, ma santé n'a point manqué. D'autres malheurs ont fini ma vie.

Le P. Quoi donc! quelque traître a-t-il trempé ses mains dans ton sang? Si cela est, l'Angleterre, qui ne m'a pas oublié, vengera ta mort. Rich. Hélas! mon père, toute l'Angleterre a été de concert pour me déshonorer, pour me dégrader, pour me faire périr.

Le P. O Ciel! qui l'aurait pu croire! A qui se fier désormais! Mais, qu'as-tu donc fait, mon fils? n'as-tu point de tort? dis la vérité à ton père.

Rich. A mon père! ils disent que vous ne l'êtes pas, et que je suis

le fils d'un chanoine de Bordeaux.

Le P. C'est de quoi personne ne peut répondre: mais je ne saurais le croire. Ce n'est pas la conduite de ta mère qui leur donne cette pensée mais n'est-ce point la tienne qui leur fait tenir ce discours?

Rich. Ils disent que je prie Dieu comme un chanoine, que je ne sais ni conserver l'autorité sur les peuples, ni exercer la justice, ni faire la guerre.

Le P. O mon enfant! tout cela est-il vrai? Il aurait mieux valu pour toi, passer ta vie moine à Westminster, que d'être sur le trône avec tant de mépris.

Rich. J'ai eu de bonnes intentions, j'ai donné de bons exemples, j'ai eu même quelquefois assez de rigueur. Par exemple, je fis enlever et exécuter le duc de Glocester, mon oncle, qui ralliait tous les mécontens contre moi, et qui m'aurait détrôné si je ne l'eusse prévenu.

Le P. Ce coup était hardi et peut-être nécessaire; car je connaissais bien mon frère, qui était dissimulé, artificieux, entreprenaut, enuemi de l'autorité légitime, propre à rallier une cabale dangereuse. Mais, mon fils, ne lui avais-tu donné aucune prise sur toi? D'ailleurs, ce coup était-il assez mesuré ? l'as-tu bien soutenu?

Rich. Le duc de Glocester m'accusait d'être trop uni avec les Français, ennemis de notre nation. Mon mariage avec la fille de Charles VI. roi de France, servit au duc à éloigner de moi les cœurs des Anglais.

Le P. Quoi, mon fils! tu t'es rendu suspect aux tiens, par une alliance avec les ennemis irréconciliables de l'Angleterre? Et que t'ont-ils donné par ce mariage? As-tu joint le Poitou et la Touraine à la Guienne, pour unir tous nos états de France jusqu'à la Normandie.

Rich. Nullement: mais j'ai cru qu'il était bon d'avoir hors de l'Angleterre un appui contre les Anglais factieux.

Le P. O malheur de l'état ! ô déshonneur de la maison royale! Tu vas mendier le secours de tes ennemis, qui auront toujours un intérêt capital de rabaisser ta puissance. Tu veux affermir ton règne en prenant des intérêts contraires à la grandeur de ta propre nation. Tu ne te contentes pas d'être aimé de tes sujets: tu veux en être craint comme leur ennemi, qui s'entend avec les étrangers pour les opprimer. Hélas! que sont devenus ces beaux jours où je mis en fuite le roi de France dans les plaines de Crécy, inondées du sang de treute mille Français, et où je pris un autre roi de cette nation, aux portes de Poitiers! Oh, que les temps sont changés! Non, je ne m'étonne plus qu'on t'ait pris pour le fils d'un chanoine. Mais qui est-ce qui t'à détrôné? Rich. Le comte de Derby.

Le P. Comment! a-t-il assemblé une armée? a-t-il gagné une bataille?

Rich. Rien de tout cela. Il était en France à cause d'une querelle avec le grand maréchal, pour laquelle je l'avais chassé : l'archevêque de Canterbury y passa secrètement, pour l'inviter à entrer dans une conspiration. Il passa par la Bretagne, arriva à Londres, pendant que je n'y étais pas, et trouva le peuple prêt à se soulever. La plupart des mutins prirent les armes; leurs troupes montèrent jusqu'à soixante mille hommes: tout m'abandonna: le comte vint me trouver dans un

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