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"Sauve des malheureux si voisins du naufrage,

Dieux puissants," m'écriai-je, “et rends-nous au rivage;
Le premier des sujets rencontré par son roi,
A Neptune immolé satisfera pour moi."...
Mon sacrilége væn rendit le calme à l'onde,
Mais rien ne peut le rendre à ma douleur profonde;
Et, l'effroi succédant à mes premiers transports,
Je me sentis glacé en revoyant ces bords;
Je les trouvai déserts; tout avait fui l'orage..
Un seul homme alarmé parcourait le rivage;

Il semblait de ses pleurs moniller quelques débris;
J'en approche en tremblant... hélas! c'était mon fils.
Idoménée, trag. de Crébillon

Après le malheur effroyable
Qui vient d'arriver à mes yeux,
Je croirai désormais, grands dieux,
Qu'il n'est rien d'incroyable.

J'ai vu.. sans mourir de douleur,

J'ai vu... siècles futurs, vous ne le pourrez croire;
Ah! j'en frémis encor de dépit et d'horreur:
J'ai vu mon verre plein, et je n'ai pu le boire.

TRAIT DE SÉPARATION.

Dans le dialogue, pour faire disparaître ces monotones dit-il, reprit-il, répondit-il, on emploie un trait de séparation. Ce sigue tient lieu de ces phrases incidentes, et annonce un autre interlocuteur. On peut en voir l'usage et l'utilité dans les inimitables contes de M. de Marmontel. Je ne citerai que cet exemple, tiré de la fable du loup et du chien:

Chemin fesant, il vit le cou du chien pelé.

Qu'est cela, lui dit-il?-rien-quoi rien?-peu de chose-
Mais encor-le collier dont je suis attaché,

De ce que vous voyez, est peut-être la cause.—

Attaché, dit le loup, vous ne courez donc pas

Où vous voulez?-pas toujours; mais qu'importe

Il n'importe si bien que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte.

PARENTHESES.

On n'emploie ces signes que pour clore une espèce de note qui jette un trait de lumière dans la phrase où elle est interposée, ou y ajoute une idée qui ne s'enchaîne pas avec les autres.

Eh bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée?—
Tantôt plus, tantôt moins; le mal est que toujours,
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes)
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chomer; on nous ruine en fêtes.

L'homme vertueux n'est jamais malheureux; on n'est point sous le malheur, a dit un philosophe (Démocrite), tant qu'on est loin de l'injustice.

Que peuvent contre lui (contre Dieu) tous les rois de la terre?

GUILLEMETS.

On emploie ces signes devant le premier mot, et quelquefois devant chaque nouvelle ligue d'un discours cité, et après le dernier mot de ce discours.

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Mes lecteurs ne seront pas fâchés de trouver ici un des plus beaux morceaux de la Jérusalem Délivrée; on y verra presque toute la nature dans l'abattement et dans la langueur : le voici: "Cependant "le soleil est dans le signe du cancer, et du feu de ses rayons il em"brase la terre. La chaleur épuise les forces des guerriers, et uuit aux desseins des héros. Les astres ne répandent plus une bénigne influence, leur aspect malfesant porte dans l'air les impre"ssions les plus funestes; tout est en proie à une ardeur qui consume et dévore. A un jour brûlant succède une nuit plus "cruelle, que remplace un jour plus affreux. Jamais le soleil ne 66 se lève que couvert de vapeurs sanglantes, sinistre présage "d'un jour malheureux; jamais il ne se couche que des taches rougeâtres ne menacent d'un aussi triste lendemain: toujours le "mal présent est aigri par l'affreuse certitude du mal qui doit le "suivre. Sous ses rayons brûlans, la fleur tombe desséchée; la "feuille pâlit; l'herbe languit altérée; la terre s'ouvre; et les sources "tarissent. Tout éprouve la colère céleste; et les nues stériles, ré66 pandues dans les airs, n'y sont plus que des vapeurs enflammées. "Le ciel semble une noire fournaise; les yeux ne trouvent plus où se reposer; le zéphir se tait, enchaîné dans ses grottes obscures; l'air "est immobile; quelquefois seulement la brûlante haleine d'un vent qui souffle du côté du rivage more, l'agite et l'enflame encore davantage. Les ombres de la nuit sont embrasées de la chaleur du "jour, son voile est allumé du feu des comètes, et chargé d'exha"laisons funestes. O terre malheureuse! le ciel te refuse sa rosée; "les herbes et les fleurs mourantes attendent en vain les pleurs de "l'aurore. Le doux sommeil ne vient plus, sur les ailes de la nuit, "verser ses pavots aux mortels languissans; d'une voix éteinte, ils "implorent ses faveurs, et ne peuvent les obtenir. La soif, le plus "cruel de tous ces fléaux, consume les chrétiens; le tyran de la "Judée a infecté toutes les fontaines de mortels poisons, et leurs eaux funestes ne portent plus que les maladies et la mort. Le “Siloë, qui, toujours pur, leur avait offert le trésor de ses ondes, appauvri maintenant, roule lentement sur des sables qu'il mouille à peine. Quelle ressource? Hélas! L'Eridan débordé, le Gange, le "Nil même, lorsqu'il franchit ses rives et couvre l'Egypte de ses eaux

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"fécondes, suffiraient à peine à leurs désirs. Dans l'ardeur qui les "dévore, leur imagination leur rappelle ces ruisseaux argentés qu'ils "ont vu couler au travers des gazons, ces sources qu'ils ont vues "jaillir du sein d'un rocher et serpenter dans des prairies; ces tableaux, jadis si rians, ne servent plus qu'à nourrir leurs regrets "et à redoubler leur désespoir. Ces robustes guerriers, qui ont "vaincu la nature et ses obstacles, qui jamais n'ont ployé sous leur "pesante armure, que n'ont pu dompter le fer ni l'appareil de la mort, faibles maintenant, sans courage et sans vigueur, pressent la "terre de leur poids inutile; un feu secret circule dans leurs veines, "les mine, et les consume. Le coursier, jadis si fier, languit auprès "d'une herbe aride et sans saveur; ses pieds chancellent; sa tête "superbe tombe négligemment penchée; il ne sent plus l'aiguillon de "la gloire; il ne se souvient plus des palmes qu'il a cueillies; ces "riches dépouilles dont il était autrefois si orgueilleux, ne sont plus 38 pour lui qu'un odieux et vil fardeau. Le chien fidèle oublie son "maître et son asile; il languit, étendu sur la poussière et toujours "haletant; il cherche en vain à calmer le feu dont il est embrasć; "l'air lourd et brûlant pèse sur les poumons qu'il devait ra"fraîchir."

On n'emploie jamais les guillemets dans les morceaux de vers qu'on cite à moins que ce ne soit dans une pièce de vers.

Toute citation courte se souligne dans l'écriture, et s'imprime en lettres italiques.

ALINÉA.

L'alinéa s'emploie toutes les fois qu'on passe d'un point de vue à un nouveau, toutes les fois que ce qu'on vient de terminer par un point, exige un silence plus long que celui qu'accuse le point.

Dans une lettre, ayez soin de faire autant d'alinéa des différens objets que vous y présentez, ou des divers points de vue sous lesquels vous considérez un même objet. Ce caractère de ponctuation, en rompant la monotonie des lignes, donne du répit à l'esprit, offre de la variété à la vue, et jette dans l'écriture de la netteté et de la grâce. On me pardonnera de citer pour exemple une lettre un pen longue, mais elle renferme des leçons de vertu présentées avec tant de douceur, de politesse, et d'amitié, qu'elle sera agréable à tous mes lecteurs, et peut-être utile à quelques-uns d'eux: c'est Mlle. de Barry qui écrit à son frère au moment qu'il quitte l'école royale militaire pour entrer au service. La voici:

J'apprends, mon cher frère, que vous allez sortir de l'école militaire, Vous êtes un des premiers pour entrer dans la carrière des armes. que cette école ait formés; et, comme étant parmi ses enfans du

nombre des ses aînés, vous allez porter despremiers dans le sein de la patrie les fruits de cette excellente culture.

Je n'ai eu jusqu'à ce moment que la douce habitude de vous aimer; mais je vous avouerai que je mêle à cet amour un vrai respect, quand je me représente votre destinée honorable. Vous n'aviez reçu en naissant qu'un nom et de la pauvreté, c'était beaucoup que le premier de ces dons; mais la cruelle médiocrité rend cet honneur bien pesant: et qui sait si cette fàcheuse compagne vous aurait permis de vivre et de mourir avec toute la pureté de votre naissance?

Heureusement pour vous et pour vos pareils, dans un de ces mo. mens où Dieu parle aux cœurs des bons rois, celui qui nous gouverne a jeté les yeux sur la pauvre noblesse de son royaume. Son ame s'est ouverte au mouvement le plus généreux; il a adopté sur-le-champ une foule d'enfans illustres et infortunés; un édit plein de grandeur leur imprime sa protection royale, et a consolé par cet appui les mânes plaintifs de leurs pères.

Bénissous, mon cher frère, les circonstances qui ont fait éclore un acte aussi grand, dans ces premières années de votre vie; dix ans plus tard, ce bienfait n'eût existé que pour vos concitoyens : mais bénissons sur-tout ces ames vraiment héroïques qui ont embrassé et exécuté un projet aussi noble et aussi paternel.

Vous voilà donc, grâces à cet établissement, muni des leçons de l'honneur le plus pur et des plus belles lumières; votre éducation a été une espèce de choix parmi les autres éducations: et l'état vous a prodigué ses soins les plus précieux et les plus chers. En vérité, mon cher frère, je considère avec joie tant d'avantages; mais je ne saurais m'empêcher de murmurer un peu contre mon sexe, qui, en me laissant sentir toutes ces choses comme vous, met entre votre bonheur et le mien une si grande différence. Suivez donc vos destins, puis. qu'il le faut: augmentez même, j'y consens, ma jalousie je ne vous dissimulerai pourtant pas que votre tâche me paraît un peu difficile ; vos secours passés augmentent vos engagemens, et des succès ordinaires ne vous acquitteraient peut-être pas. Si les inspirations du cœur valaient toujours celles de la raison; je romprais sans doute le silence, et je risquerais auprès de vous ces conseils que l'amitié me suggère sur votre conduite et sur vos devoirs :

1. Mon cher frère, je me figurerais à votre place qu'en tout état et en tout temps je dois être modeste; et quoique les bienfaits du roi honorent ses plus grands sujets, je m'en tiendrais dans ce seus fort glorieux: mais j'irais aussi jusqu'à considérer dans ce bienfait ma patrie entière, et je ferais en sorte que ma conduite fût l'expression de ma reconnaissance.

2. J'aurais un courage prudent et rassis; point de tons, point de prétentions; je céderais, dès que je pourrais descendre avec décence; je voilerais même mes forces; et je serais plus touché d'obtenir les suffrages que de les contraindre.

3. J'aimerais mieux être un homme estimé qu'un homme aimable,

un officier de nom qu'un joli cavalier; et je prendrais en talens, si je pouvais, la part de mérite que les Français cherchent trop souvent en agrémens et en amabilité.

4. Je fuirais les passions, je les crois au moins une trève à nos devoirs; cependant, comme il serait peu raisonnable d'aller sur ce point jusqu'au précepte, je ferais en sorte de n'avoir dans mes goûts que des objets respectables: c'est le seul moyen de restituer par un côté, ce que l'amour fait toujours perdre de l'autre à l'exacte vertu.

J'allais mettre 5, mon cher frère; mais la crainte de faire un sermon m'arrête; et puis, je me persuade qu'il faut de courtes leçons aux grands courages: c'est ainsi que mon ame se plaît à parler à la vôtre; et j'entre à merveille, comme vous voyez, dans l'éducation que vous avez reçue.

Il faut pourtant que j'ajoute à mes avis le pouvoir de l'exemple, je suis assez heureuse pour le trouver dans notre sang; de tels exemples sout, comme vous savez, des commandemens absolus. Je ne sais si c'est cette raison scule qui me détermine à vous les transcrire ici; mais quand j'y mêlerais un peu d'orgueil, c'est peut-être là toute la gloire de notre sexe: la vôtre consiste à les imiter.

Barry, notre grand-oncle, était gouverneur de Leucate en Languedoc, sous le règne de Henri IV. Les ligueurs, l'ayant fait prisonnier le conduisirent dans la ville de Narbonne, qu'ils avaient en leur pouvoir; là on le manaça de la mort la plus rigoureuse, s'il ne livrait la place: sa réponse fut qu'il était prêt à mourir. Barry avait une jeune épouse qui s'était renfermée dans Leucate; les ligueurs la crurent plus facile à vaincre ; ils l'avertirent du dessein de son mari, et lui promirent sa vie, si elle livrait la ville: la réponse de la femme de Barry fut que l'honneur de son mari lui était encore plus cher que ses jours. La grandeur fut égale de part et d'autre: Barry souffrit la mort; et sa femme, après avoir défendu la place avec succès, alla ensevelir sa douleur et sa jeunesse dans un couvent de Beziers, où elle mourut.

Le fils de ce généreux Barry succéda à son gouvernement en 1637. Serbelloni, après avoir investi cette place, tenta de le corrompre; il lui promit des avantages considérables, s'il embrassait le service des Espagnols: l'histoire de son père fut la seule réponse que le général Espagnol en reçut.

Voilà, mon cher frère, deux Barry qui n'ont point eu d'école militaire pour berceau, et qui ont été pourtant bien grands l'un et l'autre. Souvenez-vous d'eux, je vous conjure, toute votre vie; souvenez-vous-en le jour d'une bataille et dans toutes les occasions où il s'agira de bien faire; dites-vous sans cesse: je suis devant les yeux de mes ancêtres, ils me voient; et ne soyez pas après cela digne d'eux, si vous le pouvez: ma main tremble en vous écrivant ceci, mais c'est moins de crainte que de courage.

Entrez donc, mon cher frère, de l'école dans la carrière militaire;

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