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FÊTES DE L'AMOUR ET DE BACCHUS.

même. Il sait que c'est moi qui ai donné l'âme aux vers de l'Andromède de M. de Corneille; que j'étois en réputation de faire de beaux airs auparavant que tous ces illustres Amphions de notre temps y eussent jamais pensé; que je suis sar le point de faire entendre, au Roi et au public, un genre de musique tout particulier, et qu'enfin, à mon très-grand regret, je me puis vanter d'être aujourd'hui le doyen de tous les musiciens de la France. C'est pourquoi, entre ces notions, comme j'avois déjà animé plusieurs fois de ses paroles, il ne se fit pas grande violence pour me prier de faire la musique de ses pièces de machines, puisque je ne fais la musique auprès des Rois que pour ma gloire et pour mes amis, sans intérêt. Cependant, ayant été averti qu'au préjudice de la parole qu'il m'avoit donnée, il employoit un garçon qui, pour avoir les ventricules du cerveau fort endommagés, n'est pas pourtant un fol à lier, mais un fol à plaindre, et qui, ayant eu dans Rome besoin de mon pain et de ma pitié, n'est guère plus sensible à mes grâces que tant d'autres vipères que j'ai nourries dans mon sein, cela m'obligea de lui envoyer cette lettre :

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« A Monsieur Molière.

Je fus charmé et surpris tout ensemble d'une « nouvelle que j'appris hier: on m'assura que vous étiez sur le point de « donner votre pièce de machines à l'incomparable M.

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pour en faire la « musique, quoique le rapport qu'il y a de ses chants à vos beaux vers ne « soit pas tout à fait juste, et que cet homme, qui sans doute est un origi«nal, ne soit pas pourtant si original qu'il ne s'en puisse trouver aux In« curables quelque copie. Comme pour les grands desseins il faut de grands « personnages, et qu'il ne tient qu'à une paire d'échasses que celui-ci ne « soit le plus grand homme de notre siècle, vous avez tort d'hésiter sur un «si beau choix. Toutefois, si vous daignez vous souvenir de la promesse que vous me fites lorsque je vous allai voir durant votre dernière maladie, aujourd'hui que, perdant M. de Lulli, vous ne sauriez tomber que de bien haut, possible que vous ne tomberiez pas au moins du ciel en terre, vous « auriez quelque pitié de vos chers enfants qui sont à la veille de se rompre « le col, et ne les sacrifieriez pas à l'ignorance de ceux qui ne me connois« sent pas, ou à l'envie de ceux qui me connoissent et comme dans cette « affaire il y va sans doute du vôtre beaucoup plus que du mien, vous pen« seriez un peu avant que cracher contre le ciel et me faire cette injure, « puisque vous ayant offert, et vous offrant encore par cette lettre, de faire « votre musique purement pour mon plaisir, et d'ailleurs ne pouvant douter « ni de l'affection que j'ai toujours eue pour votre personne, ni de l'estime « que j'ai pour votre mérite, non plus que de ma capacité, vous ne sauriez « me manquer de parole sans faire éclater à la vue de tout le monde une « aversion d'autant plus injuste que ceux qui lisent mes ouvrages et m'en«tendent parler de vous savent très-bien que vous n'avez point de plus « grand estimateur ni de meilleur ami que moi, qui suis et serai encore, « après cela, toute ma vie, votre, etc., etc. >>

1. Charpentier, à l'âge de quinze ans, vers 1650, étoit en effet allé en Italie pour étudier la peinture; mais la passion pour la musique l'emporta chez lui; il entra à Rome dans l'école de Carissimi, et étudia pendant plusieurs années sous ce maître. (TASCHEREAU.)

« Je crois pourtant qu'il avoit fait ce qu'il avoit pu pour me tenir sa parole et me procurer un si glorieux emploi; mais quoi! parmi les comédiens, il y a toujours des héroïnes et des déesses qu'il faut encenser; mais si pour l'archet de ma lyre je n'ai pas seulement de la poix-résine, comment aurois-je de l'encens pour des fausses divinités; et comment, étant si fort brouillé avec le beau sexe, pourrois-je pacifier tant de vierges irritées, n'ayant plus rien désormais à leur donner? » Bientôt après, ajoute M. Taschereau, le Malade imaginaire devint l'occasion d'un nouveau mécompte pour D'Assoucy.

Charpentier, l'auteur de Médée, étoit certainement beaucoup plus digne du choix de Molière que le pauvre « empereur du burlesque. » Pour en revenir à ce qui fait le principal objet de cette note, Molière, brouillé avec Lulli, ne dut pas voir avec plaisir des fragments de ses compositions profiter à une autre scène qui s'annonçoit comme une rivale dangereuse à la fois par son intolérance et par ses grands moyens de succès. Il faut donc laisser les Fétes de l'Amour et de Bacchus à Quinault, à qui ce livret est communément attribué, et parmi les ouvrages duquel il a figuré jusqu'ici. Il n'étoit pas sans intérêt, toutefois, de faire remarquer cette exploitation de quelques parties de l'œuvre de Molière, accomplie sous ses yeux et probablement contre sa volonté.

FIN DU TOME SIXIÈME.

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Cérémonie turque, d'après le livre du ballet et les éditions origi

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PARIS. - IMPRIMERIE DE J. CLAYE, RUE SAINT-BENOIT, 7.

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