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sonne, et que personne n'imitera peut-être jamais de lui. » Benserade avoit abdiqué ses fonctions, en février 1669, par un rondeau adressé aux dames dans le ballet de Flore: 1

Je suis trop las de jouer ce rôlet.

Depuis longtemps je travaille au ballet;
L'office n'est envié de personne;

Et ce n'est pas office de couronne,
Quelque talent que pour couronne il ait.
Je ne suis plus si gai ni si follet;
Un noir chagrin me saisit au collet,
Et je n'ai plus que ma volonté bonne;
Je suis trop las.

De vous promettre à chacune un couplet,
C'en est beaucoup pour un homme replet;
Je ne le puis, troupe aimable et mignonne.
A tout le sexe en gros je m'abandonne,
Mais en détail... Ma foi! votre valet,
Je suis trop las.

Malgré cette abdication volontaire, Benserade ne se voyoit pas sans quelque jalousie, remplacé par Molière dans son emploi habituel. Il trahit son humeur en cette occasion; tandis que Molière travailloit au Divertissement royal, Benserade, qui eut connoissance de ces deux vers du troisième intermède:

Et tracez sur les herbettes
L'image de nos chansons,

dit tout haut qu'il falloit les changer ainsi :

Et tracez sur les herbettes
L'image de vos chaussons.

Le petit distique ne valoit rien; mais la turlupinade ne valoit pas grand'chose. Molière n'eut pas de peine à prendre sa revanche. Il lui suffit pour cela de s'en remettre à la vanité du poëte de cour. On crut d'abord dans Paris que Benserade avoit rempli ses fonctions ordinaires; et Robinet lui-même partagea d'abord cette erreur. On lit dans sa lettre du 8 février:

Comme voici le carnaval,

Un Divertissement royal

1. Voyez OEuvres de Benserade, édition de 1697, tome I, page 362.

A présent notre cour occupe,
Dont, sans que rien me préoccupe,
Je puis dire, après l'imprimé,
Demi-prosé, demi-rimé,

Qu'en a dressé ce chantre illustre,
Benserade, homme du balustre,1
Qu'il passe tout ce qu'on a vu
De plus grand, de mieux entendu,
De plus galant, plus magnifique,
De plus mignon, plus héroïque,
Pour divertir, en ce temps-ci
Où l'on met à part tout souci,

La cour du plus grand roi du monde.

Il y paroît le dieu de l'onde

Et le dieu du mont Parnassus

Avec tant d'éclat que rien plus,
Qui fait que tout chacun admire
Ce redoutable et charmant sire
Qui, sans contrefaire ces dieux,

Est, par ma foi! bien plus dieu qu'eux.

On prétend que Benserade ne démentit que foiblement ce bruit, surtout en ce qui concernoit les vers composés pour le roi représentant Neptune et Apollon, et qui étoient tout à fait écrits dans le genre qu'il avoit mis à la mode. Le véritable auteur ne tarda pas à être connu. Robinet fut même obligé à la rectification suivante, qu'on trouve dans sa lettre du 22 février :

Lundi, veille du mardi gras...

Le Divertissement royal

Fut encor le digne régal

De notre belle cour françoise.

Et, après une description qui ne nous apprendroit rien de nou

veau,

il ajoute :

Or, parmi ce ballet charmant,

Se jouoit encor galamment

Petite et grande comédie,
Dont l'une étoit en mélodie,
Toutes deux ayant pour auteur
Le comique et célèbre acteur
Appelé Baptiste Molière,

Dont la muse est si singulière,

Le balustre, la balustrade qui entouroit le lit ou la table du roi.

Et qui le livre a composé
Demi-rimé, demi-prosé

Qu'à l'illustre de Benserade

Près d'Apollon dans un haut grade
J'ai bonnement attribué

Sur ce que ce grand gradué
Fait ces livres-là d'ordinaire,
Étant du Roi pensionnaire.
Il approuvera, je crois bien,
Qu'en véridique historien

La chose comme elle est je die
En chantant la palinodie.

Et puis, j'ai maint et maint témoin
Qu'il n'a vraiment aucun besoin
Que les autres l'on appauvrisse
Afin du leur qu'on l'enrichisse.

Molière, ajoute-t-on, ne laissa pas même son critique malavisé jouir paisiblement des deux madrigaux qui lui avoient valu les félicitations des courtisans; il le dépouilla complétement de cette parure d'emprunt, voulant sans doute prouver la vérité du compliment que Benserade lui-même lui avoit naguère adressé :

Qu'il étoit dangereux avec lui d'être un fat.1

Pour nous, malgré tout ce que l'on raconte, il reste douteux de savoir si Benserade vit avec chagrin dissiper la méprise auquel donna lieu le Divertissement royal, ou s'il n'eut pas plutôt le mauvais goût de n'être point flatté de cette méprise. (V. ci-après, p. 21.) Il est un autre événement un peu plus grave que cette pièce des Amants magnifiques rappelle inévitablement. Tandis que la scène offroit en spectacle l'union d'une grande princesse de l'antique Thessalie avec un simple officier de fortune, une grande princesse du sang royal de France, Mademoiselle de Montpensier, parvenue à l'âge de quarante ans, songeoit en secret à réaliser cette fable, en donnant sa main et ses riches apanages à un cadet de Gascogne, à Péguillin, comte de Lauzun, qui comptoit moins d'exploits guerriers que Sostrate, mais beaucoup plus de bonnes fortunes. Cette irrésistible passion étoit née en 1669. A la fin de 1670, Mademoiselle fit confidence au roi de son projet, et obtint de lui un consentement qui fut révoqué

1. Voyez tome IV, page 252.

presque aussitôt le roi retira brusquement le 18 décembre la permission accordée le 15. La coïncidence de ces deux aventures, l'une imaginaire, l'autre réelle, mais toutes deux semblables, au dénouement près, méritoit d'être remarquée par l'histoire littéraire. Elle est assez extraordinaire pour qu'on ait quelquefois soupçonné l'auteur comique d'avoir été dans le secret de la moderne Ériphile, et même d'avoir cherché à disposer les esprits en faveur de sa résolution. Qu'on remarque bien, toutefois, qu'il y a tout près d'une année entre la représentation de la pièce de Molière et le dénouement de la tragi-comédie historique. Ne faudroit-il donc pas modifier totalement les termes de ce rapprochement tel qu'on le fait d'habitude? et, au lieu de supposer que Molière ait été faire allusion à des sentiments encore indécis et voilés de tant de mystère, ne faudroit-il pas dire que son ouvrage put suggérer à Mademoiselle l'idée d'épouser, comme Ériphile, son héros, ou du moins l'encourager dans son rêve ? Mademoiselle, qui, dans ses Mémoires, cite, pour justifier son amour, les vers de Corneille sur le pouvoir de la sympathie (voyez tome IV, page 116, note 1), n'a pas allégué, il est vrai, à l'appui de la même cause, la comédie des Amants magnifiques. Mais ce silence ne prouve rien contre l'influence que cette comédie a pu exercer sur son esprit; bien au contraire.

Molière ne fit pas jouer à Paris la comédie des Amants magnifiques, et ne la fit pas non plus imprimer. Le livre du ballet fut seul publié sous ce titre : « Le Divertissement royal, mêlé de comédie, de musique et d'entrées de ballet. A Paris, chez Robert Ballard, seul imprimeur du roi pour la musique. 1670. Avec privilége de Sa Majesté. » In-4o.

La pièce parut pour la première fois dans le huitième volume de l'édition de 1682. On essaya de la mettre au théâtre le 15 octobre 1688; elle n'eut que neuf représentations. Au commencement du siècle suivant, le 21 juin 1704, Dancourt la fit reparoître avec un prologue et des intermèdes nouveaux; mais elle ne réussit pas beaucoup mieux.

Nous suivons, pour la comédie, le texte de 1682; pour les intermèdes et les vers, celui du livre du ballet, en donnant les variantes de l'édition de 1682.

L. M.

LE DIVERTISSEMENT

ROYAL

AVANT-PROPOS.

Le roi, qui ne veut que des choses extraordinaires dans tout ce qu'il entreprend, s'est proposé de donner à sa cour un divertissement qui fùt composé de tous ceux que le théâtre peut fournir; et, pour embrasser cette vaste idée, et enchaîner ensemble tant de choses diverses, Sa Majesté a choisi pour sujet deux princes rivaux, qui, dans le champêtre séjour de la vallée de Tempé, où l'on doit célébrer la fête des Jeux Pythiens, régalent à l'envi une jeune princesse et sa mère de toutes les galanteries dont ils se peuvent aviser.

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