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fraternité religieuse plus étendue. Le but philosophique vers lequel tend toute la pièce en diminue l'intérêt au théâtre; il est presque impossible qu'il n'y ait pas une certaine froideur dans un drame qui a pour objet de développer une idée générale, quelque belle qu'elle soit; cela tient de l'apologue, et l'on dirait que les personnages ne sont pas là pour leur compte, mais pour servir à l'avancement des lumières. Sans doute, il n'y a pas de fiction, il n'y a pas même d'événement réel dont on ne puisse tirer une pensée; mais il faut que ce soit l'événement qui amène la réflexion, et non pas la réflexion qui fasse inventer l'événement: l'imagination dans les beaux-arts doit toujours agir la première.

ARNAULT.
(1766-1834.)

Antoine-Vincent-ARNAULT, a donné au théâtre un assez grand nombre de tragédies dont les plus connues sont Marius à Minturnes (1791) les Vénitiens, (1791), et Germanicus (1817); proscrit à la seconde restauration et éliminé alors de l'Institut, il y rentra en 1829 par une élection nouvelle, et succéda, en 1833, à Andrieux comme secrétaire perpétuel de l'Académie française. Les Mémoires d'un sexagénaire et ses Fables sont de tous ses ouvrages ceux qu'on relit avec le plus de plaisir ; on y trouve cette vivacité et cette malice frondeuse qui étaient les deux qualités les plus remarquables de son esprit.

La Feuille.

De ta tige détachée,
Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu ?-Je n'en sais rien;
L'orage a brisé le chêne

Qui seul était mon soutien ;
De son inconstante haleine
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,

Sans me plaindre ou m'effrayer;
Je vais où va toute chose,

Où va la feuille de rose,

Et la feuille de laurier.

Le Colimaçon.

Sans ami comme sans famille,
Ici-bas vivre en étranger;
Se retirer dans sa coquille
Au signal du moindre danger;
S'aimer d'une amitié sans bornes;
De soi seul emplir sa maison ;
En sortir suivant la saison,
Pour faire à son prochain les cornes;*
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures;
Outrager les plus belles fleurs
Par ses baisers, ou ses morsures;
Enfin, chez soi comme en prison,
Vieillir de jour en jour plus triste;
C'est l'histoire de l'égoïste
Et celle du colimaçon.

MICHAUD.
(1767-1839.)

Joseph MICHAUD, né au bourg d'Albens, en Savoie, débuta dans la presse royaliste sous la révolution. Condamné à mort, puis à la déportation, il alla chercher un asile dans les montagnes du Jura. En 1814, il fit reparaître le journal la Quotidienne, qu'il a continué de rédiger jusqu'à sa mort. Il était membre de l'Académie française depuis 1812.

On doit à M. Michaud plusieurs poëmes, dont le Printemps d'un proscrit offre quelques beaux passages, une excellente Histoire des Croisades, écrite avec élégance; la Correspondance d'Orient, un des livres les plus instructifs et les plus intéressants qui aient été publiés sur cette contrée; une Histoire de l'empire de Mysore, une Collection de Mémoires sur l'Histoire de France, la Bibliothèque des Croisades, etc.

Départ des Croisés.

Le

Dès que le printemps parut, rien ne put contenir l'impatience des croisés; ils se mirent en marche pour se rendre dans les lieux où ils devaient se rassembler. plus grand nombre allait à pied; quelques cavaliers paraissaient au milieu de la multitude; plusieurs voyageaient montés sur des chars traînés par des bœufs

*Faire les cornes à son prochain, se moquer de lui.

DEPART DES CROISÉS.

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ferres; d'autres côtoyaient la mer, descendaient les fleuves dans des barques; ils étaient vêtus diversement, armés de lances, d'épées, de javelots, de massues de fer.

La foule des croisés offrait un mélange bizarre et confus de toutes les conditions et de tous les rangs; des femmes paraissaient en armes au milieu des guerriers; les joies profanes se montraient au milieu des austérités de la pénitence et de la piété; on voyait la vieillesse à côté de l'enfance, l'opulence près de la misère, le casque était confondu avec le froc, la mitre avec l'épée, le seigneur avec les serfs, le maître avec ses serviteurs. Près des villes, près des forteresses, dans les plaines, sur les montagnes, s'élevaient des tentes, des pavillons pour les chevaliers, et des autels dressés à la hâte pour l'office divin; partout se déployait un appareil de guerre et de fête solennelle. D'un côté, un chef militaire exerçait ses soldats à la discipline; de l'autre, un prédicateur rappelait à ses auditeurs les vérités de l'Evangile. Ici, on entendait le bruit des clairons et des trompettes; plus loin, on chantait des psaumes et cantiques. Depuis le Tibre jusqu'à l'Océan, et depuis le Rhin jusqu'au delà des Pyrénées, on ne rencontrait que des troupes d'hommes revêtus de la croix, jurant d'exterminer les Sarrasins, et d'avance célébrant leurs conquêtes; de toutes parts retentissait le cri de guerre des croisés: Dieu le veut ! Dieu le veut !...

Les pères conduisaient eux-mêmes leurs enfants, et leur faisaient jurer de vaincre ou de mourir pour Jésus-Christ. Les guerriers s'arrachaient des bras de leurs épouses et de leurs familles, et promettaient de revenir victorieux. Les femmes, les vieillards, dont la faiblesse restait sans appui, accompagnaient leurs fils ou leurs époux dans la ville la plus voisine, et, ne pouvant se séparer des objets de leur affection, prenaient le parti de les suivre jusqu'à Jérusalem. Ceux qui restaient en Europe enviaient le sort des croisés et ne pouvaient retenir leurs larmes; ceux qui allaient chercher la mort en Asie étaient pleins d'espérance et de joie.

Parmi les pèlerins partis des côtes de la mer, on remarquait une foule d'hommes qui avaient quitté les îles de l'Océan; leurs vêtements et leurs armes, qu'on_n'avait jamais vus, excitaient la curiosité et la surprise. Ils parlaient une langue qu'on n'entendait point, et, pour montrer qu'ils étaient chrétiens, ils élevaient deux doigts de

leufs mains l'un sur l'autre, en forme de croix. Entraînés par leur exemple et par l'esprit d'enthousiasme répandu partout, des familles, des villages entiers partaient pour la Palestine; ils étaient suivis de leurs humbles pénates ; ils emportaient leurs provisions, leurs ustensiles, leurs meubles. Les plus pauvres marchaient sans prévoyance, et ne pouvaient croire que celui qui nourrit les petits oiseaux laissât périr de misère les pèlerins revêtus de sa croix. Leur ignorance ajouta à leur illusion, et prêtait à tout ce qu'ils voyaient un air d'enchantement et de prodige; ils croyaient sans cesse toucher au terme de leur pèlerinage. Les enfants des villageois, lorsqu'une ville ou un château se présentait à leurs yeux, demandaient si c'était là Jérusalem. Beaucoup de grands seigneurs, qui avaient passé leur vie dans leurs donjons rustiques, n'en savaient guère plus que leurs vassaux; ils conduisaient avec eux leurs équipages de pêche et de chasse, et marchaient précédés d'une meute, portant leur faucon sur le poing. Ils espéraient atteindre Jérusalem en faisant bonne chère, et montrer à l'Asie le luxe grossier de leurs châteaux.

Au milieu de l'enthousiasme universel, personne ne s'étonnait de ce qui fait aujourd'hui notre surprise. Ces scènes si étranges, dans lesquelles tout le monde était acteur, ne devaient être un spectacle que pour la pos. térité.

(Histoire des Croisades.)

CHATEAUBRIAND.

(1768-1848.)

François-René DE CHATEAUBRIAND, chef de la réforme littéraire, naquit à Saint-Malo; il était fils du comte de Chateaubriand. Au commencement de la révolution, il visita l'Amérique. Les scènes majestueuses du nouveau monde, avec ses forêts vierges, ses vastes fleuves, agirent puissamment sur l'imagination du jeune poëte; pour peindre ses sensations, il se créa un style et une manière en harmonie avec la beauté grandiose des tableaux qui se déroulaient à ses yeux. C'est en Amérique qu'il trouva son talent, son inspiration, sa muse. Revenu en France, Chateaubriand, encore inconnu, publia, en 1802,

UN NID DE BOUVREUIL

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le Génie du christianisme, où il se proposait de célébrer les bienfants de la religion chrétienne et de ramener l'homme à la foi par la poesie et par le cœur. Ce livre, malgré la faiblesse du plan et du fond, exerça une puissante influence sur les idées religieuses et sur la littérature: il fit une révolution dans le style, dans la critique et dans l'histoire. En 1809, l'auteur donna les Martyrs, ouvrage plein de poésie et de pompe, où il veut montrer la supériorité des moeurs chrétiennes et du merveilleux chrétien dans l'épopée; et deux ans plus tard, l'ltinéraire de Paris à Jérusalem, livre admirable, auquel on ne peut reprocher que quelques hors-d'œuvre.

A côté de ses grands ouvrages on peut placer quatre petits chefsd'oeuvre Atala, magnifique tableau de la nature sauvage, peint avec un coloris de style en harmonie avec le sujet; René, peinture pathétique et saisissante d'un certain état de l'âme, propre à nos temps si agités et si pleins de ruines, l'ouvrage le plus original qu'ait écrit Chateaubriand, parce que c'est celui où il a été le plus vrai avec les autres et avec lui-même ;le Dernier Abencerrage, et une très-belle Lettre à Fontanes sur Rome, une de ses plus parfaites productions.

On doit encore à ce grand écrivain une Histoire du congrès de Terone, œuvre brillante, qui laisse à désirer pour la gravité; des Etudes historiques, qui n'ont d'achevé que le style; un Essai sur la littérature anglaise; une Traduction du Paradis perdu, où il s'est assujetti à une servile littéralité et où sa langue si harmonieuse et si brillante n'est le plus souvent que rude et bizarre; les Natchez, poëme en prose, resté inachevé; des Pamphlets, des Discours et des Dépêches qui offrent d'excellents modèles de style politique; enfin des Mémoires, intitulés Mémoires d'outre-tombe, ouvrage où malgré d'admirables pages, toutes les qualités de l'auteur paraissent affaiblies et tous ses défauts exagérés. On regrette surtout d'avoir à y remarquer une insatiable personnalité et un orgueil sans pitié, qui ont provoqué de sévères représailles.

Chateaubriand est le plus grand coloriste et le prosateur le plus harmonieux de notre littérature. Comme peintre des magnificences de la nature, il n'a pas son égal.

Un nid de bouvreuil.

Nous nous rappelons d'avoir trouvé une fois un nid de bouvreuil dans un rosier; il ressemblait à une conque de nacre contenant quatre perles bleues ; une rose pendait au-dessus tout humide. Le bouvreuil mâle se tenait immobile sur un arbuste voisin, comme une fleur de pourpre et d'azur. Ces objets étaient répétés dans l'eau d'un étang avec l'ombre d'un noyer qui servait de fond à la scène, derrière lequel on voyait se lever l'aurore. Dieu nous donna, dans ce petit tableau, une idée des grâces dont il a paré la nature.

(Génie du christianisme.)

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