Page images
PDF
EPUB

EXÉCUTION DE MARIE STUART.

105

huit ans. Ce livre se distingue par une fermeté de jugement, un *esprit de généralisation, une vue de l'ensemble, des formes nettes et arrêtées qui ne sont pas toujours le partage de l'âge mûr.

Depuis, M. Mignet a publié des Notices historiques et des Mémoires sur des questions d'histoire; une Histoire d'Antonio Pérès, ministre de Philippe II; une Histoire des négociations relatives à la succession d'Espagne, véritable histoire du règne de Louis XIV, un de ses meilleurs ouvrages; une Histoire de Marie Stuart, une Histoire de l'abdication et des dernières années de Charles-Quint. Tous ces ouvrages sont remarquables par la profondeur et l'exactitude du savoir, par une rare pénétration, par un style ferme et pur, quoique parfois compassé et symétrique, par une élégance virile, et, en général, par toutes les qualités d'un écrivain plus consommé qu'original.

Exécution de Marie Stuart.

pour

Quand la lecture de la sentence fut achevée, Marie fit le signe de la croix. "Loué soit Dieu, dit-elle, de la nouvelle que vous m'apportez. Je n'en pouvais recevoir une meilleure, puisqu'elle m'annonce le terme de mes misères." Se regardant comme une victime de la foi religieuse, elle ressentit la joie pure du martyre, en prit la douce sérénité, et en conserva jusqu'au bout le tranquille courage. Après que les deux comtes* furent sortis, Marie consola ses serviteurs, qui fondaient en larmes. Elle devança l'heure de son souper afin d'avoir toute la nuit écrire et pour prier. A la fin de son repas, elle appela tous ses serviteurs, et, ayant versé du vin dans une coupe, elle en but à leur intention, et d'un air affectueux elle leur proposa de leur faire raison. Ils se mirent tous à genoux, et, les larmes aux yeux, répondirent à son toast avec une douloureuse effusion, lui demandant pardon des offenses qu'ils pouvaient avoir commises contre elle. Elle les exhorta à demeurer fermes dans la religion catholique. Elle se retira ensuite à part et écrivit de sa main, pendant plusieurs heures, des lettres et son testament, dont elle fit le duc de Guise principal exécuteur. Quand elle eut fini d'écrire, il était près de deux heures du matin. Elle mit dans un coffre son testament et ses lettres ouvertes, en disant qu'elle ne voulait plus s'occuper des affaires de ce monde et ne devait songer qu'à paraître devant Dieu. Elle chercha dans la Vie des Saints, que ses filles avaient coutume de lui lire tous les soirs, un grand coupable à qui Dieu eût pardonné. Elle

* Les comtes de Shrewsbury et de Kent.

.

s'arrêta à la touchante histoire du bon larron, qui lui sembla le plus rassurant exemple de la confiance humaine et de la clémence divine.

Se sentant un peu fatiguée et voulant conserver ou reprendre ses forces pour le dernier moment, elle se mit au lit. Ses femmes continuaient à prier et pendant ce dernier repos de son corps, bien que ses yeux fussent fermés, on voyait au léger mouvement de ses lèvres, et à une sorte de ravissement répandu sur son visage, qu'elle s'adressait à Celui en qui seul reposaient maintenant ses espérances. Au point du jour, elle se leva et dit qu'elle n'avait plus que deux heures à vivre. Elle choisit un de ses mouchoirs à frange d'or pour servir à lui bander les yeux sur l'échafaud, et s'habilla avec une sévère magnificence.

Après ces derniers soins accordés aux souvenirs terrestres, elle se rendit dans son oratoire. Elle s'agenouilla devant l'autel, et lut, avec une grande ferveur, les prières des agonisants. Avant qu'elle les eût achevées, on vint heurter à la porte. Le shérif entra une baguette blanche à la main, s'avança jusqu'auprès de Marie, qui n'avait pas détourné la tête, et ne lui dit que ces mots: Madame,

[ocr errors]

les lords vous attendent; et m'ont envoyé vers vous. Oui, répondit Marie en se levant; allons! Au moment où elle partait, Bourgouin lui donna le crucifix d'ivoire qui était sur l'autel; elle le baisa, et le fit porter devant elle. Comme elle ne pouvait se soutenir toute seule, à cause de la faiblesse de ses jambes, elle marcha appuyée sur deux des siens, jusqu'à l'extrémité de ses appartements. Quand on fut sur l'escalier où les comtes de Shrewsbury et de Kent attendaient Marie Stuart, et par où elle devait descendre dans la salle basse, au fond de laquelle avait été dressé l'échafaud, on refusa à ses gens la consolation de l'accompagner plus longtemps. Malgré leurs supplications et leurs gémissements, on les sépara d'elle, non sans peine, car ils s'étaient jetés à ses pieds, baisaient ses mains, s'attachaient à sa robe, et ne voulaient pas la quitter.

Lorsqu'on les eut éloignés, elle se remit en marche, d'un air noble et doux, le crucifix d'une main et un livre d'Heures de l'autre, revêtue du costume de veuve qu'elle portait les jours de grande solennité. Elle avait la dignité d'une reine et le paisible recueillement d'une chrétienne

EXÉCUTION DE MARIE STUART.

107

L'échafaud avait été dressé dans la salle basse du château de Fotheringay. Il avait deux pieds et demi de hauteur et douze pieds carrés d'étendue. Il était couvert de frise noire d'Angleterre, ainsi que le siége, le coussin et le billot où Marie devait s'asseoir, s'agenouiller et recevoir le coup fatal. Elle prit place sur ce siége lugubre sans changer de couleur, et sans rien perdre de sa grâce et de sa majesté accoutumées, ayant à sa droite les comtes de Shrewsbury et de Kent assis, à sa gauche le shérif debout, en face les deux bourreaux; દે peu de distance, le long du mur, ses serviteurs; et, dans le reste de la salle, retenus par une barrière que Paulet gardait avec ses soldats, environ deux cents gentlemen et habitants du voisinage, admis dans le château, dont on avait fermé les portes. Robert Beale lut alors la sentence, que Marie écouta en silence, et si profondément recueillie en elle-même, qu'elle semblait étrangère à tout ce qui se passait.

Après quelques paroles données à sa justification, elle se mit à prier.

Le docteur Fletcher se mit à lire la prière des morts selon le rit anglican, tandis que Marie récitait en latin les psaumes de la pénitence et de la miséricorde, et embrassait avec ferveur son crucifix. " Madame, lui dit durement le comte de Kent, il vous sert peu d'avoir à la main cette image du Christ, si vous ne l'avez gravée dans le cœur. Il est mal aisé, lui répondit-elle, de l'avoir en la main sans que le cœur en soit touché, et rien ne sied mieux au chrétien qui va mourir que l'image de son Rédempteur."

Lorsqu'elle eut achevé à genoux les psaumes, elle s'adressa à Dieu en anglais, et le supplia de donner la paix au monde, la vraie religion à l'Angleterre, la constance à tous les persécutés et de lui accorder à elle-même l'assistance de sa grâce et les clartés de l'Esprit-Saint à cette heure suprême. Sa piété était si vive, son effusion si touchante, son courage si admirable, qu'elle arrachait les larmes à tous les assistants. La prière finie, elle se releva. Le terrible moment était arrivé, et le bourreau s'approcha d'elle pour l'aider à se dépouiller d'une partie de ses vêtements; mais elle l'écarta et dit en souriant qu'elle n'avait jamais eu de pareil valet de chambre. Ses femmes, qui étaient restées à genoux, au pied de l'échafaud, lui rendirent ce triste et dernier office en pleurant.

"Loin de pleurer, réjouissez-vous, leur disait-elle, je suis bienheureuse de sortir de ce monde et pour une si bonne cause." Elle déposa son manteau, ôta son voile, et ne conserva qu'une jupe de taffetas velouté rouge. Elle s'assit alors sur son siége et donna sa bénédiction à tous ses serviteurs, qui pleuraient. Le bourreau lui demanda pardon à genoux. Elle répondit qu'elle l'accordait à tout le monde. Elle embrassa ses femmes, les bénit en faisant le signe de la croix sur elles, et, après qu'une d'elles lui eut bandé les yeux, elle leur ordonna de s'éloigner, ce qu'elles firent en sanglotant.

En même temps, elle se jeta à genoux d'un grand courage, et, tenant toujours le crucifix entre ses mains, elle tendit le cou au bourreau.

Elle disait à haute voix et avec le sentiment de la plus ardente confiance: "Mon Dieu, j'ai espéré en vous, je remets mon âme entre vos mains."

Elle croyait qu'on l'exécuterait comme en France, dans une attitude droite et avec le glaive. Les deux maîtres des hautes œuvres* l'avertirent de son erreur et l'aidèrent à poser sa tête sur le billot, sans qu'elle cessât de prier.

L'attendrissement était universel à la vue de cette lamentable fortune, de cet héroïque courage, de cette admirable douceur. Le bourreau lui-même était ému et la frappa d'une main mal assurée. La hache, au lieu d'atteindre le cou, tomba sur le derrière de la tête et la blessa, sans qu'elle proférât une plainte. Au second coup seulement, le bourreau lui abattit la tête, qu'il montra en disant: "Dieu sauve la reine Elizabeth!.. Ainsi périssent tous ses ennemis !" ajouta le docteur Fletcher. Une seule voix se fit entendre après la sienne, et dit: Amen! C'était celle du sombre comte de Kent.

Un drap noir fut jeté sur ses restes. Les deux comtes ne laissèrent point, selon l'usage, au bourreau, la croix d'or qu'elle avait à son cou, les chapelets qui pendaient à sa ceinture, ni les vêtements qu'elle portait avant de mourir, de peur que, rachetées par ses serviteurs, ces dépouilles chères et vénérées ne fussent transformées en reliques. Ils les brûlèrent. Au moment où on releva le corps pour le transporter dans la chambre de cérémonie

Bourreaux.

CHATEAUBRIAND ET MADAME DE STAEL

109

du château, afin de l'y embaumer, on aperent le petit chien favori de Marie, qui s'était glissé sous le manteau, entre la tête et le cou de sa maîtresse morte. Il ne voulait pas quitter cette place sanglante, et il fallut l'en arracher.

VINET..

(1797-1847.)

Alexandre VINET, moraliste et critique éminent, naquit au village de Crassier, dans le canton de Vaud. Ses études terminées, il entra dans l'état ecclésiastique et se voua à l'enseignement. Il professa la littérature française à l'université de Bâle, puis à celle de Lausanne. Une grande partie de ses travaux littéraires a été publiée dans le journal le Semeur. On pourrait lui appliquer ce qu'il a dit du critique Delalot, à qui il est bien supérieur: "C'était un homme d'un goût exquis, dont la critique était à la fois de la philosophie et du sentiment, passionné avec intelligence pour le beau antique et pour le beau chrétien, d'une sévérité courageuse, parce que l'intention en était pure, libre d'esprit de coterie et d'esprit de contradiction." Malgré sa passion pour l'art, Vinet se montre encore plus occupé des idées morales et chrétiennes que des idées purement littéraires; il recherchait le bon avant de songer au beau.

Vinet a laissé une Chrestomathie française, recueil de morceaux en prose et en vers, précédée d'un excellent précis de la littérature française ; des Études sur Pascal; une Histoire de la Littérature française au XVIIIe siècle; des Etudes sur la Littérature française au XIXe siècle; des Essais de philosophie morale et religieuse; des Discours religieux; des Etudes évangéliques; des Ecrits polémiques, tous dictés par l'esprit de justice et de charité.

Chateaubriand et madame de Staël.

Il me semble qu'on reconnaît chez M. de Chateaubriand un esprit étendu, mais plus juste cependant et plus solide qu'étendu. Ceux qui lui ont refusé la justesse n'ont pas pris garde que les erreurs de son jugement tiennent bien moins à un travers de l'esprit qu'à l'incomplet de ses systèmes et à la grandeur de son imagination : le fond de l'esprit, pour ainsi parler, demeure excellent; il a du Voltaire dans la vivacité de son bon sens. Il possède une rare intelligence, qui n'a peut-être d'autres bornes que ses répugnances; mais cette intelligence n'est pas du gé

« PreviousContinue »