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AVANT-PROPOS

DE LA DEUXIÈME ÉDITION.

On nous a demandé de réimprimer ces Études morales publiées il y a plus de douze ans et depuis longtemps épuisées. Nous n'avons pu y consentir qu'en remaniant un grand nombre de pages, en les renouvelant par le soin d'une révision sévère, en remplaçant plusieurs études qui ont perdu de leur intérêt actuel par d'autres études de la même date, qui n'avaient pas trouvé place dans la première édition et qui ont retrouvé leur à-propos dans certains événements d'idées dont elles contenaient l'exact pressentiment.

Tel qu'il est, il nous a semblé que ce recueil présentait le tableau assez fidèle du mouvement philosophique et littéraire qui s'est produit en France dans une période d'une dizaine d'années. Nous avons essayé d'observer, de suivre sur certains points, de pressentir sur certains autres l'histoire intellectuelle de la France, qui dans

la région des idées comme dans celle des faits, semble vouée à d'éternels orages. Nous avons noté nos impressions presque au jour le jour; nous en avons donné ici le résultat condensé en quelques pages, choisies parmi les moins défectueuses. On n'aura pas de peine à démêler dans ce livre, bien qu'il se compose d'études variées, la pensée unique qui les a inspirées et à laquelle nous sommes resté fidèle dans la diversité de nos travaux et les vicissitudes de notre vie.

1 août 1869.

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S'il y a chez nous une philosophie nationale, il semblait jusqu'à ce jour que ce fût le spiritualisme. Nous devions nous en réjouir, si l'on nous accorde qu'il faut une philosophie, que la philosophie est

1. Il y a longtemps déjà que s'annonçait, par de vagues symptômes, la crise philosophique qui règne aujourd'hui et dont personne ne peut ni marquer le terme ni prévoir l'issue. Nous reproduisons ici, sans aucun changement notable, ces pages écrites en 1854, où l'on trouvera, à défaut d'autres mérites, l'exact pressentiment des événements d'idée qui allaient s'accomplir. (Note de la deuxième édition.)

un besoin sérieux, non le luxe inutile de l'esprit, et qu'il n'est pas loisible à l'homme d'étouffer cet impérieux instinct de libre réflexion qui sollicite sa pensée vers les grands problèmes.

Seule, cette philosophie de l'âme, de l'idéal et de Dieu avait pu s'acclimater dans la patrie de Descartes. Les autres doctrines, celle de la sensation, par exemple, ont traversé comme un mauvais rêve l'intelligence française; elles n'ont jamais pu s'y fixer. Il a pu y avoir, de temps à autre, surprise, fascination, coup de main tenté par le sensualisme ou le panthéisme; il n'y a jamais eu conquête définitive et la doctrine de l'esprit a su chaque fois prendre parmi nous ses revanches. Même dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, où la fortune de cette doctrine semblait être le plus en péril, une philosophie généreuse inspirait encore cet esprit de liberté, de tolérance, de progrès, d'humanité, qui s'égarait souvent en rêves et en déclamations, mais qui en soi n'en était pas moins une inspiration du plus pur spiritualisme, inexplicable à l'étroite doctrine de la sensation.

Aujourd'hui comme au dix-septième siècle, la seule philosophie qui soit debout en France, malgré des apparences contraires, c'est la philosophie spiritualiste. Elle seule est vraiment conséquente avec. elle-même, homogène, liée dans ses parties essentielles, elle seule rallie une armée d'intelli

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