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céleste; ne sachant pas nager en l'air, et ne trouvant plus au-dessous de lui la terre, qui est notre bateau, pour le soutenir, je demande s'il ne tomberoit pas dans le soleil, qui est le centre, et par conséquent le lieu le plus bas du tourbillon;

3o Si la terre et toutes les planètes et leurs tourbillons tournent autour du soleil pour en recevoir la lumière et la chaleur, quelle nécessité y a-t-il que le soleil tourne aussi?

4° Enfin quel est, selon les cartésiens, le premier mobile qui donne le mouvement à la matière céleste, aux planètes et à tous ces tourbillons, à présent qu'on ne croit plus qu'un corps se remue, s'il n'est poussé par un autre corps?

Je ne prétends pas, monsieur, qu'on fasse un volume pour me satisfaire et me donner des éclaircissements; seulement je souhaiterois qu'on eût la bonté de me dire succinctement, dans quelques uns de vos journaux, comment on croit que l'auteur entend ces choses-là, qui ne sont pas, ce me semble, expli-... quées dans son livre.

LETTRE

De FONTENELLE à BASNAGE DE BEAUVAL, imprimée dans l'Histoire des ouvrages des savants, septembre 1699, page 415,

J'ai vu, monsieur, dans les Nouvelles de la république des lettres, une lettre qui me regarde. L'auteur ne se nomme point; mais, quel qu'il soit, je le remercie de l'extrême honnêteté avec laquelle il me traite. C'est une chose assez rare dans le monde savant, qu'une critique si civile. Je conviens, avec l'auteur, que quand j'ai supposé (Pluralité des mondes) qu'un homme suspendu en l'air verroit passer audessous de lui, en vingt-quatre heures, tous les différents peuples de la terre, cela est, goureusement parlant, contre le système de Copernic, parceque la terre, dans le temps qu'elle fait un tour sur son axe, par son mouvement journalier, avance aussi, par son mouvement annuel, sur le cercle qu'elle décrit autour du soleil, et qu'ainsi elle se déroberoit bientôt de dessous les pieds du spectateur sus

ri

pendu. Mais aussi je ne l'ai fait que pour donner une image sensible du mouvement journalier de la terre, et je n'ai point du tout prétendu y enfermer le mouvement annuel. Il n'y a dans une supposition, comme dans un marché, que ce qu'on y met. Je ne voulois alors expliquer qu'un seul mouvement; et, dans tout cet ouvrage, une de mes plus grandes attentions a été de démêler extrêmement les idées, pour ne pas embarrasser l'esprit des ignorants, qui étoient mes véritables marquises. Il est vrai qu'un peu auparavant j'avois établi les deux mouvements de la terre; mais je ne m'étois pas pour cela privé du droit de les pouvoir séparer ensuite, quand la netteté de l'explication ou l'ornement de la matière le demanderoit. Cette supposition est d'autant plus pardonnable, que je n'en ai tiré aucune conséquence philosophique, ni que je prétendisse donner pour vraie; et c'est une chose que je crois avoir assez exactement observée dans le mélange perpétuel de vrai et de faux qui compose ce petit livre. Quand j'ai voulu raisonner, j'ai tâché d'établir des principes solides; quand il n'a été question que de badiner, je n'y ai point regardé de si près. Mais que direz-vous, mon

sieur, et que diroit l'auteur de la lettre, si je soutenois que ma supposition peut être exactement et philosophiquement vraie? Mon spectateur suspendu en l'air, seroit enfermé dans l'atmosphère; et il faut bien qu'il y soit pour être à portée de voir les objets que je lui fais considérer. Or, l'atmosphère enveloppe la terre, et ne l'abandonne jamais. L'atmosphère suit le mouvement que la terre a sur son axe, et en même temps elle suit la terre qui tourne autour du soleil. Mon homme ne seroit immobile qu'à l'égard du mouvement par lequel l'atmosphère tourne sur l'axe de la terre, mais non pas à l'égard du mouvement par lequel l'atmosphère et la terre, tout ensemble, tournent autour du soleil. Ainsi, la terre ne se retireroit point de dessous lui, et différents peuples passeroient en vingt-quatre heures sous ses yeux. Je n'en ai pas voulu tant dire à la marquise, surtout dans les commencements; mais l'auteur ne doit pas être traité comme elle. Voilà, monsieur, tout ce que j'ai à répondre à la principale, et, ce me semble, à l'unique objection de l'auteur; car ce qu'il dit après cela ne me regarde point. Il demande ce que deviendroit le spectateur abandonné par la terre, et s'il

tomberoit dans le soleil? Je n'en sais en vérité rien, et il seroit bon d'avoir sur ce sujet quelques expériences avant d'en raisonner. A parler sérieusement, cela dépend du système de la pesanteur, non pas renfermé dans notre petit tourbillon de la terre, mais étendu au grand tourbillon qui comprend le soleil et toutes les planètes. Il y a bien de l'apparence que les planètes pésent, à l'égard du soleil, comme les corps terrestres à l'égard de la terre; et quelques philosophes modernes nous ont déja ouvert de grandes vues sur cette matière; mais à Dieu ne plaise que je m'y aille embarquer. L'auteur ne paroît pas bien convaincu que le soleil tourne sur son axe. Les astronomes croient pourtant avoir observé qu'il tourne en vingtsept jours. On s'en est assuré par les taches; et d'ailleurs, il paroît impossible, selon la mécanique, qu'un corps placé au centre d'un liquide qui tourne, se dispense de tourner sur lui-même.

FIN.

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