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met en usage ce même pouvoir sur les mondes, et qu'il ne lui en coûte pas davantage. Mais nous avons sur cela plus que de simples conjectures. Le fait est que depuis près de cent ans que l'on voit avec des lunettes un ciel tout nouveau et inconnu aux anciens, il n'y a pas beaucoup de constellations où il ne soit arrivé quelque changement sensible', et c'est dans la voie de lait qu'on en remarque le plus, comme si dans cette fourmilière de petits mondes, il régnoit plus de mouvement et d'inquiétude. De bonne foi, dit la marquise, je trouve à présent les mondes, les cieux et les corps célestes si sujets au changement, que m'en voilà toutà-fait revenue. Revenons-en encore mieux, si vous m'en croyez, répliquai-je; n'en parlons plus: aussi bien vous voilà arrivée à la dernière voûte des cieux ; et pour vous dire s'il y a encore des étoiles au-delà, il faudroit être plus habile que je ne suis. Mettez-y encore des mondes, n'y en mettez pas, cela dépend de vous. C'est proprement l'empire des philosophes, que ces grands pays invisibles qui peuvent être ou n'être pas si on veut, ou être tels

'Ces changements ne sont guère constatés.

que

l'on veut. Il me suffit d'avoir mené votre esprit aussi loin que vont vos yeux.

Quoi! s'écria-t-elle, j'ai dans ma tête tout le système de l'univers! Je suis savante! Oui, répliquai-je, vous l'êtes assez raisonnablement, et vous l'êtes avec la commodité de pouvoir ne rien croire de tout ce que je vous ai dit, dès que l'envie vous en prendra. Je vous demande seulement, pour récompense de mes peines, de ne voir jamais le soleil, ni le ciel, ni les étoiles, sans songer à moi.

Puisque j'ai rendu compte de ces entretiens au public, je crois ne lui devoir plus rien cacher sur cette matière. Je publierai un nouvel entretien qui vint long-temps après les autres, mais qui fut précisément de la même espéce. Il portera le nom de Soir, puisque les autres l'ont porté; il vaut mieux que tout soit sous le même titre.

SIXIÈME SOIR.

Nouvelles pensées qui confirment celles des Entretiens précédents. Dernières découvertes qui ont été faites dans le ciel.

Il y avoit long-temps que nous ne parlions plus des mondes, madame L. M. D. G. et moi, et nous commencions même à oublier que nous en eussions jamais parlé, lorsque j'allai un jour chez elle, et y entrai justement comme deux hommes d'esprit, et assez connus dans le monde, en sortoient. Vous voyez bien, me ditelle, aussitôt qu'elle me vit, quelle visite je viens de recevoir; je vous avouerai qu'elle m'a laissée avec quelque soupçon que vous pourriez bien m'avoir gâté l'esprit. Je serois bien glorieux, lui répondis-je, d'avoir eu tant de pouvoir sur vous; je ne crois pas qu'on pût rien entreprendre de plus difficile. Je crains pourtant que vous ne l'ayez fait, reprit-elle. Je ne sais comment la conversation s'est tournée sur les mondes, avec ces deux hommes qui viennent de

sortir; peut-être ont-ils amené ce discours malicieusement. Je n'ai pas manqué de leur dire aussitôt que toutes les planètes étoient habitées. L'un d'eux m'a dit qu'il étoit fort persuadé que je ne le croyois pas : moi, avec toute la naïveté possible, je lui ai soutenu que je le croyois; il a toujours pris cela pour une feinte d'une personne qui voudroit se divertir, et j'ai cru que ce qui le rendoit si opiniâtre à ne me pas croire moi-même sur mes sentiments, c'est qu'il m'estimoit trop pour s'imaginer que je fusse capable d'une opinion si extravagante. Pour l'autre, qui ne m'estime pas tant, il m'a crue sur ma parole. Pourquoi m'avez-vous entêtée d'une chose que les gens qui m'estiment ne peuvent pas croire que je soutienne sérieusement? Mais, madame, lui répondis-je, pourquoi la souteniez-vous sérieusement avec des gens que je suis sûr qui n'entreroient dans aucun raisonnement qui fût un peu sérieux? Est-ce ainsi qu'il faut commettre les habitants des planétes? Contentons-nous d'être une petite troupe choisie qui les croyons, et ne divulguons pas nos mystères dans le peuple. Comment, s'écria-t-elle, appelez-vous peuple les deux hommes qui sortent d'ici? Ils ont bien de

l'esprit, répliquai-je, mais ils ne raisonnent · jamais. Les raisonneurs, qui sont gens durs, les appelleront peuple, sans difficulté. D'autre part, ces gens-ci s'en vengent en tournant les raisonneurs en ridicule: et c'est, ce me semble, un ordre très bien établi que chaque espéce méprise ce qui lui manque. Il faudroit, s'il étoit possible, s'accommoder à chacune. Il eût bien mieux valu plaisanter des habitants des planétes avec ces deux hommes que vous venez de voir, puisqu'ils savent plaisanter, que d'en raisonner, puisqu'ils ne le savent pas faire. Vous en seriez sortie avec leur estime, et les planétes n'y auroient pas perdu un seul de leurs habitants. Trahir la vérité! dit la marquise. Vous n'avez point de conscience. Je vous avoue, répondis-je, que je n'ai pas un grand zèle pour ces vérités-là, et que je les sacrifie volontiers aux moindres commodités de la société. Je vois, par exemple, à quoi il tient, et à quoi il tiendra toujours, que l'opinion des habitants des planétes ne passe pour aussi vraisemblable qu'elle l'est. Les planètes se présentent toujours aux yeux comme des corps qui jettent de la lumière, et non point comme de grandes campagnes ou de grandes prairies. Nous croirions bien que

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