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ment vif et prompt, jugea qu'il y avoit trop d'affectation à exempter la terre de tourner autour du soleil, puisqu'on n'en pouvoit pas exempter tant d'autres grands corps; que le soleil n'étoit plus si propre à tourner autour de la terre depuis que toutes les planètes tournoient autour de lui; que ce système ne pouvoit être propre tout au plus qu'à soutenir l'immobilité de la terre, quand on avoit bien envie de la soutenir ', et nullement à la persuader; et enfin, il fut résolu que nous nous en tiendrions à celui de Copernic, qui est plus uniforme et plus riant, et n'a aucun mélange de préjugé. En effet, la simplicité dont il est persuade, et sa hardiesse fait plaisir.

Le système ridicule de Tycho ne fut imaginé que par respect pour l'Écriture sainte. (Astron., art. 1093.)

นทท.

SECOND SOIR.

Que la lune est une terre habitée.

Le lendemain au matin, dès que l'on put entrer dans l'appartement de la marquise, j'envoyai savoir de ses nouvelles, et lui demander si elle avoit pu dormir en tournant. Elle me fit répondre qu'elle étoit déja tout accoutumée à cette allure de la terre, et qu'elle avoit passé la nuit aussi tranquillement qu'auroit pu faire Copernic lui-même. Quelque temps après, il vint chez elle du monde, qui y demeura jusqu'au soir, selon l'ennuyeuse coutume de la campagne. Encore leur fut-on bien obligé; car la campagne leur donnoit aussi le droit de pousser leur visite jusqu'au lendemain, s'ils eussent voulu, et ils eurent l'honnêteté de ne le pas faire. Ainsi la marquise et moi nous nous retrouvâmes libres le soir. Nous allâmes encore dans le parc, et la conversation ne manqua pas de tourner aussitôt sur nos systèmes. Elle les avoit si bien conçus, qu'elle dédaigna

si

d'en parler une seconde fois, et elle voulut que je la menasse à quelque chose de nouveau. Eh bien donc, lui dis-je, puisque le soleil, qui est présentement immobile, a cessé d'être planète, et que la terre, qui se meut autour de lui, a commencé d'en être une, vous ne serez pas surprise d'entendre dire que la lune est une terre comme celle-ci, et qu'apparemment elle est habitée. Je n'ai pourtant jamais ouï parler de la lune habitée, dit-elle, que comme d'une folie et d'une vision. C'en est peut-être une aussi, répondis-je. Je ne prends parti dans ces choses-là que comme on en prend dans les guerres civiles, où l'incertitude de ce qui peut arriver fait qu'on entretient toujours des intelligences dans le parti opposé, et qu'on a des ménagements avec ses ennemis mêmes. Pour moi, quoique je croie la lune une terre habitée, je ne laisse pas de vivre civilement avec ceux qui ne le croient pas, et je me tiens toujours en état de pouvoir me ranger à leur opinion avec honneur, si elle avoit le dessus; mais en attendant qu'ils aient sur nous quelque avantage considérable, voici ce qui m'a fait pencher du côté des habitants de la lune.

Supposons qu'il n'y ait jamais eu nul commerce entre Paris et Saint-Denis, et qu'un bourgeois de Paris qui ne sera jamais sorti de sa ville soit sur les tours de Notre-Dame, et voie Saint-Denis de loin: on lui demandera s'il croit que Saint-Denis soit habité comme Paris; il répondra hardiment que non, car, dira-t-il, je vois bien les habitants de Paris; mais ceux de Saint-Denis, je ne les vois point; on n'en a jamais entendu parler. Il y aura quelqu'un qui lui représentera qu'à la vérité, quand on est sur les tours de Notre-Dame, on ne voit pas les habitants de Saint-Denis, mais que l'éloignement en est cause; que tout ce qu'on peut voir de Saint-Denis ressemble fort à Paris; que Saint-Denis a des clochers, des maisons, des murailles, et qu'il pourroit bien encore ressembler à Paris pour être habité. Tout cela ne gagnera rien sur mon bourgeois; il s'obstinera toujours à soutenir que Saint-Denis n'est point habité, puisqu'il n'y voit personne. Notre Saint-Denis, c'est la lune, et chacun de nous est ce bourgeois de Paris qui n'est jamais sorti de sa ville.

Ah! interrompit la marquise, vous nous faites tort, nous ne sommes point si sots que

votre bourgeois; puisqu'il voit que Saint-Denis est tout-à-fait comme Paris, il faut qu'il ait perdu la raison pour ne le pas croire habité: mais la lune n'est point du tout faite comme la terre. Prenez garde, madame, repris-je; car s'il faut que la lune ressemble en tout à la terre, vous voilà dans l'obligation de croire la lune habitée. J'avoue, répondit-elle, qu'il n'y aura pas moyen de s'en dispenser, et je vous vois un air de confiance qui me fait déja peur. Les deux mouvements de la terre, dont je ne me fusse jamais doutée, me rendent timide sur tout le reste; mais pourtant seroit-il bien possible que la terre fût lumineuse comme la lune? car il faut cela pour leur ressemblance. Hélas! madame, répliquai-je, être lumineux n'est pas si grand'chose que vous pensez. Il n'y a que le soleil en qui cela soit une qualité considérable. Il est lumineux par lui-même, et en vertu d'une nature particulière qu'il a; mais les planètes n'éclairent que parcequ'elles sont éclairées de lui. Il envoie sa lumière à la lune; elle nous la renvoie, et il faut que la terre renvoie aussi à la lune la lumière du soleil: il n'y a pas plus loin de la terre à la lune que de la lune à la

terre.

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