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une certaine amitié pour le haut du théâtre; il n'est pas à son aise quand il n'y est pas. L'autre, Phaeton n'est pas fait pour voler; mais il aime mieux voler que de laisser le haut du théâtre vide, et cent autres rêveries que je m'étonne qui n'aient perdu de réputation toute l'antiquité, A la fin, Descartes et quelques autres modernes sont venus, qui ont dit: Phaeton monte, parcequ'il est tiré par des cordes, et qu'un poids plus pesant que lui descend. Ainsi on ne croit plus qu'un corps se remue, s'il n'est tiré, ou plutôt poussé par un autre corps: on ne croit plus qu'il monte ou qu'il descende, si ce n'est par l'effet d'un contre-poids ou d'un ressort; et qui verroit la nature telle qu'elle est ne verroit que le derrière de l'Opéra. A ce compte, dit la marquise, la philosophie est devenue bien mécanique? Si mécanique, répondis-je, que je crains qu'on n'en ait bientôt honte. On veut que l'univers ne soit en grand que ce qu'une montre est en petit, et que tout s'y conduise par des mouvements réglés qui dépendent de l'arrangement des parties. Avouez la vérité. N'avez-vous pas eu quelquefois une idée plus sublime de l'univers, et ne lui avez-vous point fait plus d'honneur qu'il ne méritoit? J'ai vu

des gens qui l'en estimoient moins, depuis qu'ils l'avoient connu. Et moi, répliqua-t-elle, je l'en estime beaucoup plus, depuis que je sais qu'il ressemble à une montre. Il est surprenant que l'ordre de la nature, tout admirable qu'il est, ne roule que sur des choses si simples.

Je ne sais pas, lui répondis-je, qui vous a donné des idées si saines: mais, en vérité, il n'est pas trop commun de les avoir. Assez de gens ont toujours dans la tête un faux merveilleux, enveloppé d'une obscurité qu'ils respectent. Ils n'admirent la nature, que parcequ'ils la croient une espèce de magie où l'on n'entend rien; et il est sûr qu'une chose est déshonorée auprès d'eux, dès qu'elle peut être conçue. Mais, madame, continuai-je, vous êtes si bien disposée à entrer dans tout ce que je veux vous dire, que je crois que je n'ai qu'à tirer le rideau, et à vous montrer le monde.

De la terre où nous sommes, ce que nous voyons de plus éloigné, c'est ce ciel bleu, cette grande voûte, où il semble que les étoiles sont attachées comme des clous. On les appelle fixes, parcequ'elles ne paroissent avoir que le mouvement de leur ciel, qui les emporte avec lui

d'orient en occident. Entre la terre et cette dernière voûte des cieux, sont suspendus, à diffé- . rentes hauteurs, le soleil, la lune, et les cinq autres astres qu'on appelle des planètes, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne '. Ces planètes n'étant point attachées à un même ciel, ayant des mouvements inégaux, elles se regardent diversement, et figurent diversement ensemble; au lieu que les étoiles fixes sont toujours dans la même situation à l'égard des autres. Le Chariot, par exemple, que vous voyez, qui est formé de ces sept étoiles, a toujours été fait comme il est, et le sera encore long-temps; mais la lune est tantôt proche du soleil, tantôt elle en est éloignée, et il en va de même des autres planétes. Voilà comme les choses parurent à ces anciens bergers de Chaldée, dont le grand loisir produisit les premières observations qui ont été le fondement de l'astronomie; car l'astronomie est née dans la Chaldée 2, comme la géométrie naquit, dit-on, en Égypte, où les

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'En 1781, M. Herschel en a découvert une sixième. (Astronomie de Lalande, troisième édition, 1792; tome I, article 116.)

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Peut-être en Éthiopie. (Astron., art. 260.)

inondations du Nil, qui confondoient les bornes des champs, furent cause que chacun voulut inventer des mesures exactes pour reconnoître son champ d'avec celui de son voisin. Ainsi l'astronomie est fille de l'oisiveté; la géométrie est fille de l'intérêt ; et s'il étoit question de la poésie, nous trouverions apparemment qu'elle est fille de l'amour.

Je suis bien aise, dit la marquise, d'avoir appris cette généalogie des sciences, et je vois bien qu'il faut que je m'en tienne à l'astronomie. La géométrie, selon ce que vous me dites, demanderoit une ame plus intéressée que je ne l'ai, et la poésie en demanderoit une plus tendre; mais j'ai autant de loisir que l'astronomie en peut demander. Heureusement encore nous sommes à la campagne, et nous y menons quasi une vie pastorale; tout cela convient à l'astronomie. Ne vous y trompez pas, madame, repris-je; ce n'est pas la vraie vie pastorale, que de parler des planètes et des étoiles fixes. Voyez si c'est à cela que de l'Astrée passent les gens leur temps. Oh! répondit-elle, cette sorte de bergerie-là est trop dangereuse. J'aime mieux celle de ces Chaldéens dont vous me parliez. Recommencez un peu, s'il vous plaît, à me par.

ler chaldéen. Quand on eut reconnu cette disposition des cieux que vous m'avez dite, de quoi fut-il question? Il fut question, repris-je, de deviner comment toutes les parties de l'univers doivent être arrangées, et c'est là ce que les savants appellent faire un système. Mais avant que je vous explique le premier des systèmes, il faut que vous remarquiez, s'il vous plaît, que nous sommes tous faits comme un certain fou athénien dont vous avez entendu parler, qui s'étoit mis dans la fantaisie que tous les vaisseaux qui abordoient au port de Pyrée lui appartenoient. Notre folie, à nous autres, est de croire aussi que toute la nature, sans exception, est destinée à nos usages; et quand on demande à nos philosophes à quoi sert ce nombre prodigieux d'étoiles fixes, dont une partie suffiroit pour faire ce qu'elles font toutes, ils vous répondent froidement qu'elles servent à leur réjouir la vue. Sur ce principe, on ne manqua pas d'abord de s'imaginer qu'il falloit la terre fût en repos au centre de l'univers, tandis que tous les corps célestes qui étoient faits pour elle prendroient la peine de tourner à l'entour pour l'éclairer. Ce fut donc au-dessus de la terre qu'on plaça la lune, et au-dessus de la lune

que

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