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ture, combien ne s'étonnera-t-il pas qu'occupant si peu de place et dans l'espace et dans le temps les hommes aient pu croire qu'ils étoient << l'unique but de la création de tout l'univers! » Voilà pourquoi d'Alembert, dans l'Encyclopédie (article Monde), après avoir examiné si les planétes sont habitées, finit par dire: On n'en sait rien.

Mais, dit Buffon, par-tout où il y a un certain degré de chaleur, le mouvement y produit des êtres organisés, n'importe comment, et peut-être que ce sont-là les habitants des planétes; dans ce sens, on peut trouver très vraisemblable que les planétes soient habitées, malgré les objections précédentes.

PRÉFACE DE L'AUTEUR.

Je suis à-peu-près dans le même cas où se trouva Cicéron, lorsqu'il entreprit de mettre en sa langue des matières de philosophie, qui jusque-là n'avoient été traitées qu'en grec. Il nous apprend qu'on disoit que ses ouvrages seroient fort inutiles, parceque ceux qui aimoient la philosophie, s'étant bien donné la peine de la chercher dans les livres grecs, négligeroient après cela de la voir dans les livres latins, qui ne seroient pas originaux; et que ceux qui n'avoient pas de goût pour la philosophie ne se soucioient de la voir ni en latin ni en grec.

A cela il répond qu'il arriveroit tout le contraire; que ceux qui n'étoient pas philosophes seroient tentés de le devenir, par la facilité de lire les livres latins; et que ceux qui l'étoient déja par la lecture des livres grecs seroient bien aises de voir comment ces choses-là avoient été maniées en latin.

Cicéron avoit raison de parler ainsi; l'excel

lence de son génie, et la grande réputation qu'il avoit déja acquise, lui garantissoient le succès de cette nouvelle sorte d'ouvrages qu'il donnoit au public; mais moi, je suis bien éloigné d'avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise presque pareille à la sienne. J'ai voulu traiter la philosophie d'une manière qui ne fût point philosophique; j'ai tâché de l'amener à un point où elle ne fût ni trop séche pour les gens du monde, ni trop badine pour les savants. Mais si on me dit à-peu-près, comme à Cicéron, qu'un pareil ouvrage n'est propre ni aux savants, qui n'y peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde, qui n'auront point d'envie d'y rien apprendre, je n'ai garde de répondre ce qu'il répondit. Il se peut bien faire qu'en cherchant un milieu où la philosophie convînt à tout le monde, j'en aie trouvé un où elle ne convienne à personne; les milieux sont trop difficiles à tenir, et je ne crois pas qu'il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.

Je dois avertir ceux qui liront ce livre, et qui ont quelque connoissance de la physique, que je n'ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir, en leur présentant

d'une manière un peu plus agréable et plus égayée ce qu'ils savent déja plus solidement. J'avertis ceux à qui ces matières sont nouvelles que j'ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble: les premiers iront contre mon intention, s'ils cherchent ici de l'utilité, et les seconds, s'ils n'y cherchent que de l'agrément.

Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi dans toute la philosophie la matière la plus capable de piquer la curiosité: il semble que rien ne devroit nous intéresser davantage que de savoir comment est fait ce monde que nous habitons, s'il y a d'autres mondes semblables, et qui soient habités aussi; mais, après tout, s'inquiète de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre les peuvent perdre sur ces sortes de sujets; mais tout le monde n'est pas en état de faire cette dépense inutile.

J'ai mis dans ces entretiens une femme que l'on instruit, et qui n'a jamais ouï parler de ces choses-là. J'ai cru que cette fiction me serviroit, et à rendre l'ouvrage plus susceptible d'agrément, et à encourager les dames par l'exemple d'une femme qui, ne sortant jamais des bornes d'une personne qui n'a nulle teinture des sciences, ne laisse pas d'entendre ce qu'on lui dit,

et de ranger dans sa tête, sans confusion, les tourbillons et les mondes. Pourquoi des femmes cèderoient-elles à cette marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser de concevoir?

A la vérité, elle s'applique un peu; mais qu'est-ce ici que s'appliquer? Ce n'est pas pénétrer, à force de méditation, une chose obscure d'elle-même, ou expliquée obscurément; c'est seulement ne point lire sans se représenter nettement ce qu'on lit. Je ne demande aux dames, pour tout ce système de philosophie, que la même application qu'il faut donner à la Princesse de Cléves, si on veut en suivre bien l'intrigue, et en connoître toute la beauté. Il est vrai que les idées de ce livre-ci sont moins familières à la plupart des femmes que celles de la Princesse de Clèves; mais elles n'en sont pas plus obscures, et je suis sûr qu'à une seconde lecture tout au plus, il ne leur en sera rien échappé.

Comme je n'ai pas prétendu faire un système en l'air, et qui n'eût aucun fondement, j'ai employé de vrais raisonnements de physique, et j'en ai employé autant qu'il a été nécessaire; mais il se trouve heureusement,

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