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besoin complexe qui se traduit par la provocation du mouvement des diverses parties du corps. Le mouvement du corps est si souvent employé au service d'incitations d'un autre ordre, que rarement, chez l'homme actif, le besoin de mouvement se fait sentir. Cependant il importune assez vivement les hommes qui ont une occupation sédentaire.

B. Besoin de sentir. Le besoin de sentir est une sorte de curiosité qui nous pousse invinciblement à ouvrir la porte de nos sens, et à recueillir les impressions de toute nature. Ce besoin est commun à l'homme et aux animaux. Cependant il y a deux manières de sentir qu'on ne saurait confondre. Entre l'animal qui sent, voit, entend, et l'homme qui distingue les objets par des traits caractéristiques qu'il formule dans un mot, il y a un abîme. Entre l'animal qui pousse des gémissements plaintifs dès qu'on le blesse, et l'homme qui répond par un mot sublime de résignation aux plus affreuses tortures, il y a plus qu'un abîme : il y a l'immensité qui sépare la sensibilité bornée de la bête de l'intelligence de l'homme. A ces diverses manières de sentir et d'agir, correspondent nécessairement des besoins différents. Aussi avons-nous désigné sous le nom de besoin de sentir le besoin commun à l'homme et aux animaux, réservant le besoin de connaissance pour l'homme seul.

C. Besoin d'expression. - Le besoin d'expression est attaché à l'organe de la sensibilité comme le volant à sa machine. Toutes les fois que l'animal désire vivement la satisfaction d'un besoin, toutes les fois qu'il subit une impression agréable ou désagréable, le centre de perception manifeste la manière dont il est affecté par des mouvements particuliers, et qui n'ont d'autre destinée que cette manifestation même. Ce sont les mouvements expressifs. Chez l'homme, ce besoin est le même que chez les animaux; mais, soumis aux déterminations de l'intelligence, il sert souvent à exprimer les modalités tout à fait mensongères de la sensibilité. En général, l'intel

ligence s'applique à maîtriser le besoin d'expression et à le réglementer.

D. Besoin de connaître. Le besoin de connaître nous pousse irrésistiblement à étudier les objets de nos perceptions et les perceptions elles-mêmes, à chercher les rapports de ressemblance ou de dissemblance, les rapports de cause à effet et autres, en un mot, à distinguer toute perception par un ensemble de caractères qui, formulés par les signes du langage, constituent une connaissance.

En ouvrant les sens au monde extérieur, l'homme ne se borne pas à regarder pour trouver un objet qui flatte son appétit, à écouter pour fuir un danger qui approche ou surprendre une proie qui arrive; poussé par le besoin de connaissance, il regarde pour voir, il écoute pour entendre, il étudie ses sensations, il caractérise l'objet impressionnant, et, en définitive, il case le tout dans sa mémoire pour le seul plaisir d'avoir acquis une connaissance.

Le besoin de connaître conduit l'homme à se regarder lui-même, à étudier ses actes et à les comparer à ceux de ses semblables.

Le besoin de connaître enfin pousse l'homme, nonseulement à connaître ce qu'il sent, mais encore ce qu'il ne sent pas directement: l'inconnu l'attire, et, par le seul travail de son esprit, il s'élève à la connaissance des espaces célestes et de l'infini.

On dit souvent que le langage est la caractéristique de l'homme. Nous n'y contredisons pas; mais, à ce point de vue, le besoin de connaître doit passer avant le langage. L'homme, en effet, est intelligent avant de parler. Avant tout, il est capable d'établir des rapports intelligents entre les diverses causes impressionnantes, et le langage n'est pour lui qu'un instrument. Si l'homme n'était pas intelligent, capable de connaissance, il ne parlerait pas; car le langage est une possibilité de l'intelligence seule; mais, sans l'instrument du langage, la connaissance humaine serait bien peu de chose.

Pour exprimer la vérité physiologique, nous dirons que

le besoin de connaissance est la caractéristique organique de l'homme; tandis que le langage est sa caractéristique fonctionnelle.

E. Besoin du langage. -Si le besoin d'expression est attaché comme un satellite au besoin de sentir, le besoin de connaissance a, lui aussi, un compagnon analogue et tout aussi obligatoire. Ce compagnon est le besoin du langage. Tandis que le signe expressif indique simplement une modification de la sensibilité, le signe-langage indique un rapport volontairement établi entre cette sensibilité même et certains mouvements provoqués dans nos organes. Sans les signes expressifs, nous ne connaîtrions pas directement les diverses émotions de l'âme; et, sans les signes du langage, nous ne connaîtrions jamais les résultats de l'activité de l'âme dans ses rapports avec les causes impressionnantes. Il était donc nécessaire que l'exécution des uns et des autres fût soumise à la loi inéluctable des besoins organiques, car, dans ces conditions, l'homme ne pouvait pas plus s'empêcher de créer le signe-langage qu'il ne peut se soustraire aux sollicitations absolues de la faim et de la soif.

Passions provenant des organes de la vie de relation. D'après la définition que nous en avons donnée, la passion n'est que l'exagération du désir qui accompagne le besoin. Par conséquent, énumérer les besoins de la vie de relation, c'est indiquer en même temps les passions qui leur correspondent.

Au besoin de mouvement correspond la passion d'exercer l'activité cérébrale dans ses rapports avec la contraction musculaire : la passion des exercices du corps, de la gymnastique, des ascensions de montagnes, etc., etc. Lorsque cette passion se donne un objectif spécial en dehors du mouvement même, elle constitue ce qu'on appelle passion de faire de la musique, de la peinture, des armes, de la sculpture, qu'il ne faut pas confondre avec la passion des sculptures, des peintures, des œuvres d'art, de la musique, etc.

Au besoin de sentir correspond la passion des peintures, des sculptures, des spectacles en musique et autres.

Au besoin de connaître correspond la passion de l'étude au point de vue de l'acquisition des connaissances. Cette passion principale se décompose en autant de passions secondaires qui s'appliquent aux divers groupes des connaissances humaines.

Au besoin d'expression correspond la passion de manifester au dehors sa manière de sentir.

Au besoin du langage correspond la passion de parler ou d'écrire.

Après avoir passé en revue chacun des besoins et chacune des passions qui prennent naissance dans les divers organes de la vie, notre tâche est terminée.

Assurément nous avons laissé dans l'ombre une foule de besoins et de passions qui jouent dans la vie de l'homme un rôle très-important: nous n'avons pas parlé du besoin de vivre en soi, ni du besoin de relation avec nos semblables; nous avons totalement négligé le besoin de relation avec Dieu, ainsi que les passions les plus vives et les plus répandues, telles que l'égoïsme, l'orgueil, etc. Nous avons commis toutes ces omissions, mais par la raison bien simple qu'on ne saurait localiser aucun de ces besoins, aucune de ces passions dans un organe déterminé.

Tous ces besoins, il est vrai, sont perçus dans le cerveau ; il est vrai encore que dans nos relations avec Dieu, avec nous-mêmes, avec nos semblables, c'est le cerveau qui, poussé par ses propres besoins, sent, connaît, prend la parole. Mais en vérité, dans toutes ces circonstances, le cerveau n'est qu'un leader habile. Grâce à ses nobles prérogatives, il prend en main les intérêts des autres organes avec une délicatesse, une convenance que nul ne saurait atteindre, et tout en parlant de lui il ne cesse de sous-entendre les autres. Les besoins dont nous parlons sont des besoins généraux qu'il n'est pas possible

de localiser dans le cerveau ou ailleurs; ils sont la résultante de tous les autres, et cette résultante se traduit en nous, dans le cerveau, par le sentiment de notre individualité. Ce sentiment, qui n'avait jamais été analysé jusqu’ici, et auquel nous avons assigné la place qu'il doit occuper dans toute classification physiologique et psychologique, est le résultat de l'expérience acquise par le centre de perception dans ses rapports avec les causes impressionnantes de toute provenance (1).

Après cette explication, on comprendra mieux les motifs qui nous ont déterminé à borner notre énumération aux besoins et aux passions propres à chaque organe en particulier. Pour parler convenablement des passions et des besoins généraux qui appartiennent à l'individualité, nous aurions été obligé de mêler à notre exposition des considérations nécessaires sur la vie fonctionnelle que nous ne connaissons pas encore, et qui va nous occuper dans le chapitre suivant. Il était donc plus avantageux de réserver notre description pour le moment où nous aurons à nous occuper du sentiment de l'individualité.

(1) Voir plus loin. Voir aussi Physiologie du système nerveux, p. 297

et suiv.

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