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QUATRIÈME PARTIE.

DE L'AME CONSIDÉRÉE DANS L'ENSEMBLE DE SES ÉLÉMENTS.

La notion de l'âme a été l'objet d'interprétations si diverses, et ses caractères propres sont encore de nos jours si mal déterminés, qu'il nous a paru indispensable de l'étudier d'abord dans chacun de ses éléments constitutifs. C'est ce que nous avons fait dans les premières parties de cet ouvrage. Dans celle-ci nous reconstituerons ce que nous avons séparé; nous montrerons l'âme dans l'ensemble de ses éléments, et formant avec le corps le plus merveilleux instrument qui soit sorti de l'idée créatrice.

Ce plan qui s'impose à tout esprit logique, et désireux de faire ressortir la vérité, n'est pas celui qu'on suit habituellement. A notre avis, c'est un grand tort. Les raisons qu'on donne parfois pour agir autrement sont loin d'être suffisantes, et nous paraissent même quelque peu suspectes.

C'est ainsi que, dans une traduction allemande récemment publiée, nous trouvons dès les premières pages du livre la proposition suivante :

Dans les sciences naturelles, dit l'auteur, on étudie d'abord les phénomènes et on s'occupe ensuite du principe invisible auquel il faut les ramener.

<«< Au contraire, ajoute-t-il en propres termes, nos observations sur les états de l'âme ne sont jamais assez délicates ni assez sûres pour fournir un argument décisif

en faveur d'une opinion ou de l'autre, et les traits de la vie de l'âme, auxquels on devra toujours revenir à la fin des recherches pour le choix d'un principe d'explication, nous semblent dès l'abord assez clairs pour faire de la réponse à cette explication le premier objet de nos réflexions (1). » On se demande avec raison ce que peut être cette âme physiologique dont l'explication repose sur des observations ni assez sûres ni assez délicates, et dont on prétend néanmoins nous donner d'emblée une idée claire et précise.

Cette critique est la justification du plan que nous avons adopté.

Dans un premier chapitre nous jetterons un coup d'œil rapide sur l'idée de l'âme à travers les âges. Dans le second, nous grouperons, dans leurs relations naturelles, les divers éléments qui entrent dans la constitution de l'âme, ce qui nous permettra de donner de cette dernière une définition physiologique.

(1) Hermann Lotze, Principes généraux de psychologie physiolo gique, traduction de M. A. Penjon, p. 2.

CHAPITRE PREMIER.

De l'âme au point de vue historique et critique.

En nous occupant de l'âme au point de vue historique et critique, nous n'avons pas évidemment la prétention de passer en revue tous les systèmes philosophiques. D'autres, plus autorisés que nous, ont consacré leurs veilles à cette question difficile.

Notre prétention doit se borner à recueillir les idées fondamentales qui ont servi de base à la plupart des systèmes, et à les soumettre à notre appréciation.

Ici, comme partout, nous appliquerons l'analyse physiologique à l'examen des problèmes de psychologie, et, à cet effet, nous devrons insister plus particulièrement sur les travaux des physiologistes.

On trouvera peut-être que c'était le seul moyen de donner quelque utilité à notre étude en la rendant en même temps plus facile pour nous.

Le sentiment de l'individualité est aussi vieux que l'homme. Avoir conscience qu'il sent, avoir conscience de sa propre activité, avoir conscience que ce qui est en dehors de lui n'est pas lui, telles sont les notions que l'homme recueille de ses premiers rapports avec le monde extérieur. Aussi l'élite des intelligences s'est-elle préoccupée d'abord de savoir quel était ce quelque chose qui, en nous, subit les impressions, et a conscience de sa propre activité; ce quelque chose représentant un être dis

tinct, une unité parfaitement sentie de tous, qui est en nous et non au dehors de nous.

Dans ces temps reculés, la science des détails n'absorbait pas encore la vie de l'homme dans la contemplation des phénomènes; le premier des phénomènes, et le seul qu'il sentît bien, était en lui, et le secret de tous les autres c'est en lui qu'il le cherchait. Nullement gêné par les notions intermédiaires, qui trop souvent aujourd'hui localisent les progrès de l'esprit dans les limites étroites d'un système, l'homme d'alors s'élevait d'un bond de géant vers les idées les plus élevées et savait embrasser, dans un concept général, Dieu, le monde, et lui-même. C'est, en effet, dans les cosmogonies anciennes que nous trouvons ce que les anciens pensaient de l'âme, et cette idée se rattache toujours à une idée plus générale à l'idée créatrice et à l'idée du monde créé.

Poussés par le désir de connaître ce qui pense dans l'homme, et remarquant que nulle part en ce monde la pensée ne se manifeste sans un corps, certains philosophes ont attribué la pensée à une propriété du corps; d'autres, considérant que l'idée de notre corps est dans la pensée même, ont voulu distinguer ce qui connaît de ce qui est connu, et ont appelé âme ou esprit la substance insaisissable, distincte du corps, qui perçoit et qui

pense.

Les matérialistes de tous les temps sont compris parmi les premiers; les spiritualistes, parmi les seconds.

Il nous paraît indispensable d'examiner séparément ces idées fondamentales.

§ I.

IDÉE MATÉRIALISTE.

Pour fixer une date à notre examen nous remonterons à Démocrite.

Démocrite. Pour ce philosophe l'âme résultait de

l'agrégation des atomes. Nous reproduirons le texte de Plutarque à propos de cette doctrine.

En effet, dit-il, qu'enseigne Démocrite? Qu'il y a des substances infinies en nombre, indivisibles, impassibles, qui sont sans différences, sans qualités qui se meuvent dans le vide où elles sont disséminées; que lorsqu'elles s'approchent les unes des autres, qu'elles s'unissent et s'entrelacent, elles forment, par leur agrégation,de l'eau, du feu, une plante ou un homme. Que toutes ces substances, qu'il appelait atomes, à raison de leur solidité, ne peuvent éprouver ni changement, ni altération; mais, ajoute Plutarque, on ne peut faire une couleur de ce qui est sans couleur, ni une substance, ni une âme de ce qui est sans âme et sans qualité. Démocrite est donc répréhensible, non pour avoir avoué les conséquences de ses principes, mais pour avoir admis des principes qui donnent lieu à de telles conséquences. Il ne devait pas supposer des principes d'une nature immuable, ou, après les avoir supposés, ne pas voir qu'ils ne pouvaient produire aucune qualité, et voir les conséquences qui en découlaient naturellement parce qu'il sentait ce qu'elles avaient d'absurde (1).

Nous n'ajouterons rien pour le moment à la judicieuse critique de Plutarque.

Asclepiade. Asclepiade professait la rhétorique à Rome (an 100 av. J.) lorsque la pensée lui vint de faire de la médecine et même de l'enseigner. A l'idée spiritualiste d'Hippocrate il opposa la matière en mouvement de Démocrite. Le corps, selon lui, était composé d'atomes figurés diversement, de manière à laisser entre eux des interstices parcourus par des atomes plus petits, et, comme à tout il faut une cause, il soumit son petit monde à la loi du hasard. C'est ainsi d'ailleurs, que pensait Épicure, dont la doctrine facile était si fort goûtée des Romains.

« Asclépiade, dit Cabanis, se moquait des idées d'Hippocrate sur les crises: la patience de l'art qui épie la

(1) Citation empruntée à P. Leuret et Gratiolet, Anatomie du système nerveux, t. II, p. 391.

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