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devons nous demander quel phénomène correspond à cette modification. L'expérimentation sur les animaux vivants et l'observation pathologique nous permettent de répondre à cette question d'une manière formelle.

Déjà, depuis longtemps, on avait remarqué que, chez les déments, la couche corticale du cerveau était ramollie ou plus ou moins lésée. Nous-même, dans nos expériences sur les chiens, nous avions remarqué que, lorsque nous détruisions cette région par le caustique, nous provoquions une sorte de folie; l'animal conservait tous ses sens comme chez les déments, mais il ne connaissait pas, il n'avait plus de mémoire. Notre conclusion fut que le phénomène-perception, que nous avions vu se produire dans les couches optiques, ne se produisait pas dans la couche corticale, puisque les déments, ainsi que les chiens dont la couche corticale est lésée, conservent leur sensibilité. Mais comme, d'un autre côté, les couches optiques ne concourent qu'à la perception simple, à la perception sans connaissance, nous eûmes à rechercher par quel mécanisme la perception simple, dans les couches optiques, se transforme en perception avec connaissance, grâce au concours de l'activité des cellules de la couche corticale du cerveau. Ce mécanisme, qui est celui de la mémoire, sera exposé plus loin.

Disons seulement que les cellules de la couche corticale du cerveau représentent, sous forme de modalité dynamique in posse, toutes les notions acquises, et que c'est aux connexions anatomiques qui unissent ces cellules aux couches optiques qu'elles empruntent la possibilité de réveiller successivement le centre de perception pour donner naissance aux phénomènes de mémoire.

Le rêve n'est autre chose que le réveil du centre de perception par l'activité des cellules de la couche corticale, alors que ce même centre est fermé aux influences extérieures.

Toutes les cellules de la couche corticale sont unies entre elles par leurs prolongements; elles peuvent donc

réveiller mutuellement leur propre activité. Il suffit, en effet, qu'une d'elles fonctionne pour que le fonctionnement des autres s'ensuive.

La route que nous avons assignée tout à l'heure au mouvement impressionneur, des nerfs sensitifs aux couches optiques, et de ces dernières aux cellules de la couche corticale, n'est pas la seule voie suivie par ce mouvement. Les couches optiques sont unies par des fibres spéciales à un autre noyau de cellules que l'on désigne sous le nom de corps striés. C'est dans ce noyau que viennent aboutir toutes les fibres des nerfs du mouvement.

Ces connexions anatomiques sont déjà une présomption en faveur du rôle important que nous attribuons aux corps striés dans l'exécution des mouvements. Cette présomption s'est transformée en certitude, quand nous avons vu l'abolition de tout mouvement succéder, chez les chiens vivants, à la destruction de ces organes. Dès lors, il nous a paru possible d'expliquer le mécanisme fonctionnel de tous les mouvements volontaires ou involontaires.

Les mouvements sont involontaires lorsque la cause impressionnante, un danger, par exemple, est assez vive pour réveiller directement l'activité des corps striés et provoquer aussitôt, par l'intermédiaire des nerfs moteurs, un mouvement déterminé.

Les mouvements sont volontaires lorsque la cause impressionnante donne le temps à l'attention de soumettre l'impression sentie à la pierre de touche des connaissances acquises, de réveiller, par conséquent, l'activité des cellules de la couche corticale. Ce n'est qu'après cet examen que l'impression dominante, dans les couches optiques, détermine l'exécution du mouvement qui lui est corrélatif.

Dans le cas des mouvements involontaires, le mouvement exécuté est ce qu'on appelle vulgairement un premier mouvement. Dans le cas des mouvements volontaires,

l'examen préalable a fait prévaloir dans les couches optiques une impression dominante qui donne au mouvement exécuté les caractères d'un mouvement raisonné et voulu. Les mouvements de la parole rentrent dans ces derniers mouvements.

Là s'arrêtent les résultats de nos expériences; il est temps de revenir au phénomène perception.

Tout sentiment, toute sensation actuelle ou de souvenir, se produisent donc dans les couches optiques. Ne pouvant pas déterminer l'essence même de ce phénomène merveilleux, unique en son genre, nous essaierons du moins d'indiquer les conditions nécessaires qui président à son développement.

Toute cause impressionnante est un certain mode de mouvement le son, l'image, les odeurs, les saveurs, considérés comme causes impressionnantes, sont des mouvements particuliers. Ces divers mouvements impressionnent les nerfs d'une façon différente. C'est pourquoi à chaque espèce de mouvement est affecté un nerf spécial susceptible d'être impressionné seulement par cette espèce de mouvement: les nerfs de l'odorat ne sont pas impressionnés par le mouvement lumineux; les nerfs du goût ne sont pas impressionnés par le mouvement sonore, etc., etc. Tout est divers, spécial, dans les causes comme dans les agents qui transmettent leur influence. Le microscope, l'histochimie, n'ont pas encore dévoilé dans les nerfs et dans les cellules cérébrales la cause immédiate et matérielle de cette diversité, mais elle existe, nous dirons plus, elle est nécessaire.

Voilà donc des mouvements divers, spéciaux, qui impressionnent les nerfs sensitifs; ceux-ci, sous l'influence de l'impression, sont le siége d'un certain mouvement, et ce mouvement est transmis de proche en proche jusqu'aux couches optiques. Ce certain mouvement est accompagné d'une perception et à chaque mouvement différent correspond une perception différente. Telles sont les conditions exactes, physiologiques du phénomène percep

tion. La connaissance de ces conditions ne nous apprend rien sur l'essence même du phénomène, nous avons dit d'ailleurs que ce n'est pas cela que nous cherchons,mais elle conduit notre raison à admettre dans la perception autre chose qu'un mouvement percevant, car les mouvements percevants n'ont pas encore cours dans la science. Il faut donc que le mouvement impressionneur arrivé au terme de sa course, c'est-à-dire dans le cerveau, agisse sur quelque chose qui n'est pas lui et qui soit capable de percevoir de différentes façons. Or, ce quelque chose, qu'est-ce?

Ce n'est pas certainement l'âme séparée du corps, car on se figure difficilement un esprit pur placé dans le cerveau en ce point où viennent aboutir toutes les fibres sentives. On ne saisit pas, dans ces conditions, le lien nécessaire qui doit unir l'esprit à la matière; on ne comprend pas enfin que cet esprit pur, formant un tout indivisible, puisse être simultanément odeur, son, couleur, principe de mouvement.

Toutes ces difficultés disparaissent si on consent à voir les choses telles qu'elles sont, c'est-à-dire l'âme vivifiant par sa présence les cellules qui terminent les nerfs sensitifs, et qui par leur agglomération forment les couches optiques.

Dans ces conditions, l'âme n'a pas besoin de l'intermédiaire du mouvement comme le voulait Stahl (1); elle est intimement unie à la matière et c'est elle-même qui est mouvement. C'est elle qui communique aux cellules la faculté de percevoir, et les cellules à leur tour fournissent à l'âme, par leurs propriétés particulières, l'occasion d'être multiple sans cesser d'être une, d'être la diversité dans l'homogénéité. Ceci paraîtra plus clair avec le secours d'une figure descriptive.

Le cercle O représente une des couches optiques. A, B, C, D, E, représentent les fibres sensitives qui pro

(1) Voir notre critique de l'âme de Stahl un peu plus loin.

viennent de toutes les parties sensibles et aboutissent chacune à une cellule différente A', B', C', D', E'. Il faut remarquer en outre que les cellules optiques ne sont pas isolées, mais qu'elles sont unies entre elles par des prolongements.

L'âme, se trouvant répandue dans chacune des cellules A', B', C', D', E', qu'elle imprègne de son essence, ne cesse

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pas d'être une, car toutes ces cellules sont unies les unes aux autres par des prolongements; elle représente ainsi un tout divers quant à la forme, mais continu comme essence. Or qu'arrivera-t-il quand des impressions variées, agissant sur les nerfs A, B, C, D, E, viendront réveiller successivement l'activité des cellules A', B', C', D', E'? Il arrivera que l'âme sera affectée en divers points de son étendue par des causes différentes, et, comme ces divers points sont unis entre eux, l'émotion provoquée par chaque cause impressionnante rayonnera vers toute l'étendue de l'âme. C'est donc la même âme qui sentira toutes les impressions, et ceci en vertu des lois de la physique les mieux établies.

Quant à la diversité des perceptions, elle s'explique par la diversité même des mouvements qui les provoquent. Chaque perception étant provoquée dans l'âme par un mouvement différent, il est assez naturel que l'émotion

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