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Chez ces personnes, la conception de l'idée est rare et très-lente; l'expression de la formule est au contraire facile et rapide; on dirait que l'activité nerveuse s'emploie tout entière, non pas à concevoir des idées, mais à formuler des paroles. Lorsqu'elles parlent au public et lorsqu'elles écrivent, ces personnes présentent la même idée sous un nombre infini de formes, en attendant qu'une idée nouvelle succède à la première. Elles arrivent ainsi à tenir l'esprit du lecteur ou de l'auditeur en éveil (lorsqu'elles ne l'endorment pas) pendant un temps beaucoup trop long, relativement au nombre d'idées qui ont été émises.

Ces courtes appréciations suffisent pour montrer les rapports nécessaires qui doivent exister entre la rapidité de la conception idéale, et la rapidité de formation du mouvement-signe.

La conception idéale, ce qu'en d'autres termes nous appelons les vues de l'esprit, n'est autre chose que la perception d'un rapport comparatif ou significatif; formuler ce rapport par les signes du langage constitue l'opération élémentaire de la pensée.

Troisième loi. L'intervention d'un sens spécial pour diriger le mouvement-signe dans son exécution, et pour transmettre le résultat de ce mouvement à la perception de l'intelligence, s'impose d'une manière évidente et formelle. Le mouvement-signe doit être par-dessus tout intelligent; il faut donc qu'il soit dirigé dans son exécution par un de nos sens, de façon que l'intelligence, impressionnée par ce sens, sache très-bien ce qu'elle fait. Le sourd qui ne s'entend pas lui-même peut produire un son avec ses organes; mais sait-il bien ce qu'il fait? Non, assurément. Son intelligence, ne recevant pas l'impression de ce que ses organes produisent, ne peut apprécier ses propres actes.

Les lois que nous venons de formuler, touchant la formation du mouvement-signe, nous permettent de donner de ce mouvement une définition précise:

Le mouvement-signe est un mouvement déterminé et exécuté par nos organes, dans le but intentionnel de lui faire représenter un rapport significatif; un sens spécial dirige son exécution, et le phénomène sensible qui en résulte est transmis à l'intelligence par l'intermédiaire de ce sens.

Tout mouvement qui n'entre pas dans cette définition n'est pas un mouvement-signe.

L'avantage immédiat que nous trouvons dans la solution des problèmes qui viennent de nous occuper, consiste à pouvoir élucider certaines questions très-importantes concernant l'aphasie, l'enseignement des sourds-muets, et sur lesquelles on avait professé jusqu'ici des erreurs très-préjudiciables.

Ces questions sont au nombre de trois :

PREMIÈRE QUESTION. Quels sont les sens qui peuvent présider à la formation du mouvement-signe, et par conséquent quel est le nombre des langages?

Pour les sens de l'ouïe et de la vue l'aptitude est évidente la parole et le langage mimique en sont une preuve irréfutable; mais en est-il de même pour le sens du toucher, de l'odorat et du goût? Ce que nous avons dit déjà sur la nature du mouvement-signe va nous fournir les éléments de notre réponse.

Pour qu'un sens puisse apprécier et diriger un mouvement, il est indispensable que ce mouvement puisse d'abord impressionner ce sens lui-même; un mouvement mimique n'impressionnera jamais le sens de l'ouïe, et, réciproquement, un mouvement sonore n'impressionnera jamais le sens de la vue. Or est-il possible de faire exécuter à nos organes le mouvement spécial qui est capable d'impressionner le toucher, le goût, l'odorat? Non, il n'est pas possible, par des mouvements organiques, de fournir des impressions tactiles, gustatives, odorantes.

Il existe bien, dans le corps de l'homme, des objets sapides et odorants; mais il ne faut pas confondre ces objets impressionnants avec le mouvement voulu, déterminé, capable de remplacer ces objets.

Pour que la perception odeur ou saveur eût la valeur d'un signe, il faudrait que, par le mouvement de nos organes, nous puissions donner au sens de l'odorat et du goût une impression capable d'être appréciée par ces sens. L'incapacité des sens du toucher, du goût et de l'odorat à être impressionnés par des mouvements organiques voulus et déterminés, nous permet de conclure qu'il ne peut y avoir que deux sortes de mouvementssignes, deux langages par conséquent : le langage phonétique et le langage mimique.

DEUXIÈME QUESTION. L'écriture est-elle un langage?

L'écriture n'est et ne peut être que la traduction d'un langage.

L'intelligence qui a créé le mot a créé aussi un signe écrit qui lui correspond; mais, en le créant, elle lui a donné même valeur, même signification; de sorte que, le signe écrit n'étant qu'une traduction visuelle du signe sonore, il ne peut arriver à l'entendement qu'en suivant la filière sensitive à travers laquelle il a dû passer pour être formé. Cette filière est représentée par les organes de la parole.

En d'autres termes, le signe écrit ne peut arriver à l'entendement qu'à la condition d'être traduit en signe sonore, à la condition d'être parlé.

Quand nous lisons, nous parlons mentalement, nous traduisons par la parole subjective notre lecture, et c'est par cet intermédiaire que le sens du signe écrit arrive à l'entendement. La nécessité de cette traduction résulte de la nature même du langage.

En effet, pour manifester ses opérations, l'intellect emploie des mouvements qui aboutissent, il est vrai, à des résultats perceptibles par l'un de nos sens; mais l'idée qui a donné naissance à ces mouvements, dans lesquels elle se trouve incorporée, ne peut arriver à l'intellect qu'à la condition que les mouvements soient répétés de nouveau. Par conséquent, avant d'être en dehors de nous, tout langage a dû être d'abord en nous, formulé par nos organes, c'est

à-dire par des instruments sensibles, se trouvant en rapport direct avec le centre de perception.

Si les idées pouvaient arriver directement à l'intellect par l'intermédiaire des cinq sens, il n'en serait pas ainsi, et les signes écrits pourraient être directement saisis par l'intelligence; mais nous avons vu que cela est impossible.

Tout langage, c'est-à-dire tout signe destiné aux opérations de l'esprit et à ses manifestations, fait nécessairement partie de notre organisme, et tout signe en dehors de nous ne peut arriver à l'entendement qu'en passant par traduction dans le langage de l'organisme.

Donc l'écriture n'est pas un langage: l'écriture n'est qu'un aide-mémoire destiné à suppléer, par sa permanence, à la fugitivité de la parole. Le sens de la vue excité par le signe écrit provoque directement les mouvements physiologiques qui ont accompagné la formation de ce signe, c'est-à-dire les mouvements du langage dont il n'est qu'une traduction.

Cette démonstration est d'une importance extrême, surtout au point de vue des sourds-muets. Malgré nos écrits, malgré notre insistance pour faire abandonner des erreurs préjudiciables, on continue d'assimiler le mécanisme de l'écriture, dans ses rapports avec la pensée, au mécanisme du langage articulé, et l'on s'imagine que voir les signes de l'écriture et les comprendre, c'est penser avec ces signes.

Vouloir enseigner à penser directement par des signes extérieurs est une erreur déplorable; vouloir que des enfants sourds-muets apprennent la langue nationale par l'écriture, sans le secours du langage qui leur est naturel, c'est-à-dire sans le secours du langage mimique, est une prétention condamnable, d'autant plus coupable qu'elle s'exerce aux dépens d'infortunés qui ne peuvent se défendre.

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dehors de nous ont-ils la valeur du mouvement-signe? sont-ils un langage?

Les monuments, les monnaies, les fleurs ont un langage, entend-on dire tous les jours. Les personnes qui parlent ainsi sont dupes de l'extension illogique qu'elles donnent au mot langage; elles sont dupes encore de ce procédé assez fréquent qui nous porte à mettre conventionnellement une série d'idées dans un objet extérieur. Dès lors cet objet parle; mais il parle le langage que nous lui avons donné.

Le mot langage, dans ces conditions, est tout à fait impropre. L'objet auquel on l'accorde est un objet impressionnant qui, par sa forme, par les propriétés qu'on lui a communiquées, réveille dans la mémoire certains faits, certaines idées que nous traduisons immédiatement avec notre langage.

S VI.

SOURCES AUXQUELLES L'INTELLIGENCE PUISE

LE MOUVEMENT-SIGNE.

Nous connaissons la nature du mouvement-signe, nous connaissons les lois de sa formation, nous sommes en mesure de distinguer ce qui est lui de ce qui n'est pas lui; reste à indiquer les organes que l'intelligence emploie pour concourir à leur exécution.

Pour effectuer les mouvements-signes, l'intelligence se sert d'instruments qu'elle a préparés d'avance à un autre usage ce sont les mouvements-instinctifs, que nous avons déjà décrits sous le nom de mouvements attractifs, expressifs et répulsifs. Empressons-nous d'ajouter que, chez l'homme, ces mouvements présentent un cachet de perfectionnement que nous ne trouvons chez aucun animal. Cependant tous les mouvements instinctifs ne sont pas également propres à servir les vues de l'intelligence; elle

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