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Les impressions son, image, résultant du mouvementsigne, arriveront sans doute au centre de perception à l'état de son et d'image, car les organes de l'ouïe et de la vue ne peuvent transmettre que le mouvement sonore et le mouvement lumineux; mais, en vertu de l'association intime que l'intelligence a établie entre les mouvementssignes et l'impression première, le son ou l'image résultant de l'activité significative de nos organes réveilleront en même temps, dans le centre de perception, l'impression première qui a été le prétexte et le but de leur exécution. C'est ainsi qu'un son-signe ou une image-signe réveilleront une manière de sentir une odeur, une couleur. Le centre de perception ne sera donc pas réveillé de la même façon quand il sera affecté par un son ou par une image simple, et quand il sera réveillé par un son-signe ou par une image-signe. Dans ce dernier cas, il y aura, en même temps et fatalement, réveil de l'impression qui aura été associée au son ou à l'image.

Le mot pain, par exemple, ne serait pas une sensationsigne si, en voyant le pain, le centre de perception n'eût pas associé significativement cet objet impressionnant aux mouvements de nos organes dont le résultat sonore est le mot pain, et de telle façon que, fatalement et toujours, l'impression sonore pain réveille l'impression visuelle pain et réciproquement.

La différence essentielle que nous venons d'établir entre la perception simple d'un son ou d'une image, et la perception d'un son-signe ou d'une image-signe, distinction qui n'avait pas encore été établie, nous a inspiré l'idée de désigner sous le nom de sensation-signe le rapport significatif revêtu de sa forme impressionnante. La sensation-signe est une création de l'intelligence inspirée par le besoin de représenter tout ce qu'elle sent, par des mouvements-signes; dans cette création elle se sert des sens spéciaux de la vue ou de l'ouïe comme moyen de transmission, mais elle caractérise ces sensations spéciales en les imprégnant de sa création, c'est-à

dire en les obligeant de réveiller dans le centre de perception la notion de l'objet ou de l'impression qui a motivé leur intervention.

C'est par ce procédé qu'elle rend matériellement possible le rapport qu'elle a établi; car un rapport, chose purement idéale, doit être représenté par une formule tangible, matérielle; cette formule est inscrite dans le mécanisme fonctionnel que nous venons de décrire et qui explique de la façon la plus satisfaisante ce qu'on doit entendre par sensation-signe.

La sensation-signe, il ne faut pas l'oublier, -car dans une analyse aussi délicate la confusion est possible, ne saurait être considérée comme faisant partie de la matière fonctionnelle. Non, la vraie matière fonctionnelle du langage est le rapport significatif dans toute sa pureté. D'ailleurs la sensation-signe ne se développe qu'avec les mouvements fonctionnels. La confusion dont nous parlons pourrait provenir de ce que la sensation-signe, une fois formée, reste gravée dans la mémoire et qu'elle devient ainsi l'agent direct et mobile de la pensée; mais il ne faut pas confondre la mémoire du langage avec la fonction-langage proprement dite. Dans la première il y a simplement reproduction de mots tout faits, déjà classés; dans la seconde il y a création, ou apprentissage de mots destinés à représenter des rapports significatifs.

Conditions anatomiques de la fonction-langage. Les conditions anatomiques de la fonction-langage ne sont pas encore exactement connues; mais nous avons la conviction qu'elles ne tarderont pas à l'être. Pour le moment, on ne connaît qu'un fait positif, c'est que les troubles relatifs à l'expression du langage par la parole sont liés d'habitude avec une lésion de la troisième circonvolution des lobes frontaux. Cette partie n'exerce qu'une influence assez restreinte, puisque beaucoup d'aphasiques continuent à pouvoir s'exprimer avec le geste ou avec l'écriture chez eux, l'action sur les mouvements de la parole se trouve scule empêchée.

Il est d'ailleurs fort naturel qu'il en soit ainsi. Si nous considérons, en effet, le nombre d'éléments psychiques qui entrent nécessairement dans la fonction, nous sommes obligé d'admettre une localisation beaucoup plus étendue. Dans tous les cas, nous sommes persuadé que la solution de cette question n'est pas éloignée si, dans les investigations microscopiques, on se laisse diriger par le flambeau de l'analyse des éléments psychiques de la fonction-langage.

S V.

DES SIGNES DU LANGAGE.

LOIS DE FORMATION

DU MOUVEMENT-SIGNE.

Si nous n'avions à décrire que le mécanisme d'une fonction quelconque, nous aurions achevé notre tâche, car l'élément fonctionnel, la matière fonctionnelle et les mouvements fonctionnels sont les éléments constitutifs de toute fonction; mais, dans la fonction-langage, les mouvements fonctionnels ont une si grande importance, au triple point de vue de la physiologie, de la linguistique et de la psychologie, que nous ne devons pas craindre d'épuiser un sujet aussi intéressant. Les questions qui vont nous occuper d'ailleurs sont entièrement neuves de fait et de nom. Nous exposerons d'abord les lois de formation des signes du langage.

Les signes du langage sont constitués par des mouvements de nos organes (mouvements fonctionnels) aboutissant à un phénomène sensible, et appréciable par un de nos sens. Ces mouvements, que nous désignons sous le nom de mouvements-signes, se produisent selon certaines lois que nous devons faire connaître.

Les lois qui président à la formation du mouvementsigne sont au nombre de trois :

1° Tout mouvement-signe doit être exécuté par nos organes avec une intention significative;

2o Tout mouvement-signe doit être exécuté selon une certaine vitesse physiologique;

3° Tout mouvement-signe doit être dirigé dans son exécution par un de nos sens.

Nous développerons chacune de ces propositions :

Première loi.- Le mouvement-signe n'est pas un mouvement quelconque; il faut d'abord qu'il ait été fait dans un but spécial: dans le but de représenter soit un objet, soit une action, soit enfin la manière dont nous ressentons une impression quelconque, sans oublier l'impression du signe lui-même dans les opérations de la pensée; il faut, de plus, que ce mouvement soit exécuté par nos organes, qu'il soit en nous et non au dehors de nous, car les signes placés au dehors de nous ne peuvent être que des objets impressionnants.

L'intelligence n'admet pas d'intervalle dans la série de mouvements qui, de l'impression, aboutissent à la formation du mouvement-signe; il est nécessaire qu'elle ait ses instruments continuellement à sa disposition, et en rapport direct avec elle. D'où il suit, comme nous l'avons énoncé tout à l'heure, que tout mouvement-signe doit être exécuté par nos organes.

Deuxième loi. - Tout mouvement-signe doit être formé de telle façon que, dans son exécution, il s'accommode à la rapidité physiologique des opérations de la pensée.

Il est dans la nature des opérations de la pensée d'être excessivement rapides. Demander le pourquoi, ce serait demander pourquoi le cœur bat tant de fois par minute; pourquoi dans le même espace de temps il se fait un nombre déterminé de respirations; pourquoi enfin la digestion se fait également dans un temps donné. Tout est ordre dans l'organisme, et chaque organe exécute sa fonction dans un temps défini, que la maladie seule peut changer. Le cerveau, instrument de l'intelligence, n'échappe pas à cette loi générale; sa substance est le substratum, le véhicule des mouvements qui transmettent les impressions et les volitions, et nous ne pouvons pas

faire que ce mouvement s'exécute plus ou moins rapidement en dehors des limites physiologiques.

Ceux qui ont l'habitude de parler en public comprendront bien cette nécessité physiologique. Mieux que personne,ils savent que l'instrument de la pensée ne s'accommode pas toujours à la rapidité de l'inspiration. Parfois les idées (par idées, nous entendons ici vues de l'esprit) arrivent en foule, et confuses; il ne leur manque que la formule expressive; mais cette formule est trop lente dans sa formation, et l'idée fugitive (lá vue de l'esprit) disparaît avant d'avoir reçu par le langage la fixité et la vie. Dans ces circonstances exceptionnelles, l'équilibre indispensable, entre la conception des idées et leur développement complet par le langage, est rompu, et il en résulte une certaine confusion dans les opérations de la pensée.

Ce défaut d'équilibre est encore mieux apprécié par l'écrivain lorsqu'il veut fixer la pensée parlée, par les signes de l'écriture: très-souvent sa plume est en retard sur sa pensée, et, faute d'une rapidité suffisante dans le dessin, il ne donne qu'une pâle copie des opérations de son esprit. Ce qui n'arrive qu'exceptionnellement pour les bons écrivains constitue l'état physiologique de divers individus.

Beaucoup de personnes, très-intelligentes d'ailleurs, n'arrivent jamais ni à bien parler, ni à bien écrire, parce que, chez elles, la conception de l'idée et la manifestation expressive par le langage ou par l'écriture ne marchent pas de concert; l'ordre et la mesure manquent dans ces opérations mystérieuses, parce que l'instrument se plie difficilement à la rapidité de l'idée, de « la vue de l'esprit » qui veut éclore, et les plus belles conceptions aboutissent souvent à une infécondité regrettable.

On voit un phénomène tout opposé se produire lorsque la rapidité de la formule l'emporte sur la rapidité de la conception. C'est en quelque sorte un dicton populaire, que beaucoup de gens parlent pour ne rien dire. Physiologiquement, on peut se rendre compte de cette infirmité.

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