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La confusion qui règne encore de nos jours dans le langage, touchant le mot sensation, nous a décidé à désigner sous le nom de perception tout phénomène de sensibilité, quelles que soient son origine et sa cause déterminante le plaisir, la peine, la douleur, l'image, le son, le souvenir, l'idée présente sont des perceptions. A mesure que nous développerons nos idées, nous justifierons cette manière de voir.

Qu'est-ce qu'une perception? En quoi consiste ce phénomène?

Avant de répondre à cette question, nous demandons au lecteur qu'il nous permette d'user d'une prérogative qui appartient surtout à ceux qui ont beaucoup travaillé : cette prérogative est un acte d'humilité. La science humaine est évidemment toute-puissante quand il s'agit dedéterminer les conditions dans lesquelles se produisent les phénomènes ; mais ses efforts s'épuisent en vain dès qu'elle essaye d'expliquer l'essence même de ces phénomènes. A cette règle point d'exception. Le physicien pourra nous dire dans quelles conditions se produit la lumière, mais en aucune façon il ne déterminera la quantité et le mode

de mouvement qu'il faut imprimer à la matière pour produire les phénomènes lumineux. Le même physicien pourra nous dire encore quelles sont les conditions favorables au développement de l'électricité; mais il ne saura nous indiquer le mode et la quantité de mouvement qu'il faut imprimer à la matière pour produire les phénomènes électriques.

Le chimiste pourra bien nous dire de son côté dans quelles proportions un acide se combine avec une base pour former un composé nouveau; mais il ne saurait en aucun cas formuler le mode de mouvement qui caractérise les affinités chimiques. Cette manière de voir, nous le répétons, s'applique à tous les phénomènes de la nature indistinctement.

Pourquoi cette impuissance radicale, dira-t-on ? Notre faible raison ne trouve qu'une réponse : s'il était donné à l'intelligence humaine de pénétrer le mystérieux mécanisme des phénomènes, il pourrait les inventer à son tour, et, au lieu d'être un misérable chercheur de connaissances sur cette planète infime, il serait un créateur, une cause première toute-puissante. Il est plus qu'évident qu'il n'en est pas ainsi, et que la véritable, la seule cause première n'a pas voulu décentraliser ses pouvoirs.

Ce qui est vrai pour les phénomènes de la nature en général, l'est aussi pour les phénomènes vitaux et plus particulièrement pour le phénomène de la perception.

Quel est le physiologiste qui oserait affirmer qu'il peut expliquer la transformation du sang en bile, en salive, en fibre contractile? Aucun, nous l'espérons bien. C'est que ces transformations diverses constituent les vrais phénomènes de la vie, la vie en acte, et qu'il n'est pas donné à l'homme de savoir en quoi consiste la vie; il en détermine les conditions, il en analyse les effets, mais il ne saurait aller plus loin. L'homme n'inventera jamais une cellule vivante.

La perception est un phénomène vital analogue aux autres phénomènes vitaux. Sans doute les caractères pro

pres de ce phénomène nous le montrent comme un phénomène grandiose, incomparable, car il est inouï qu'un petit amas de matière puisse sentir et s'incorporer tout ce qui est dans l'immensité du monde, mais il n'en est pas moins vrai qu'il est l'analogue des autres phénomènes vitaux. Au point de vue du classement biologique, transformer le sang en bile et transformer les impressions en chose sentie sont deux faits de même ordre, car tous les deux sont l'œuvre de la vie, et, par ce fait, ils échappent aux audacieuses investigations du physiologiste.

Mais la science n'a pas pour mission exclusive de formuler des actes d'humilité comme celui que nous venons de faire. Savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas est déjà beaucoup, mais ce n'est pas assez. Si nous ne pouvons que percevoir la perception sans pouvoir définir sa nature intime, nous pouvons déterminer son siége et les conditions dans lesquelles elle se produit. Telle est. d'ailleurs l'œuvre et le but de toute science.

§ II.

SIÉGE ANATOMIQUE DE LA PERCEPTION.

ALIÉNÉS ET SUR LES MALADES.

OBSERVATIONS SUR LES
EXPÉRIMENTATION.

CONDITIONS DANS LESQUELLES LES PERCEPTIONS SE DÉVELOPPENT. DU CENTRE DE PERCEPTION.

En enlevant couche par couche la substance cérébrale à des poules et à des pigeons, Flourens avait été conduit à dire que la perception se fait dans les lobes cérébraux. Ce genre d'expérimentation sur des pigeons se prête malheureusement à des interprétations fort diverses, et là où Flourens et M. Luys, après lui, ont vu l'abolition des perceptions, nous ne voyons qu'une abolition des conditions de la mémoire, et partant, une abolition de la connaissance. Il résulte, en effet, des expériences de Flourens que les animaux mutilés sentent, mais sans mémoire,

sans connaissance, ce qui leur donne l'habitude extérieure d'animaux qui ne sentent rien du tout.

Les expériences de Flourens ont été très-précieuses en ce sens qu'elles nous ont mis sur la voie de la connaissance des fonctions du cerveau, mais il ne faut pas s'en exagérer l'importance au point de vue des faits acquis.

Les faits pathologiques nous fournissent un enseignement bien autrement important.

Il résulte en effet des observations des aliénistes que, dans tous les cas d'aliénation mentale arrivés à la démence, la lésion porte constamment sur la partie périphérique du cerveau.

M. Calmeil a constaté que, dans la paralysie générale des aliénés, les principales altérations siégent dans la substance grise des circonvolutions (1).

M. Parchappe n'est pas moins affirmatif : « Il n'est, dit-il, qu'une altération constante dans la paralysie générale, c'est le ramollissement de la couche corticale (2).

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M. Marcé a également rapporté un grand nombre d'observations de déments chez lesquels la maladie a toujours coïncidé, soit avec l'atrophie des circonvolutions, soit avec leur ramollissement (3).

Ces faits, généralement acceptés aujourd'hui par tous les aliénistes, nous permettent de tirer légitimement cette conclusion, à savoir: que la périphérie corticale du cerveau joue un rôle important dans la régularité du fonctionnement de l'esprit, mais que son altération ne porte nullement atteinte au phénomène de la perception, car les déments voient, odorent, entendent absolument comme les autres hommes. On pourrait donc affirmer déjà que le phénomène de la perception ne se produit pas dans la partie périphérique du cerveau.

D'un autre côté, les pathologistes ont recueilli un grand nombre d'observations dans lesquelles l'autopsie dévoilait

(1) De la Paralysie considérée chez les aliénés, Paris, 1826.
(2) Du Siége et de la nature des maladies mentales.
(3) Démence sénile (Gazette médicale, 1863).

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