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et groupa tous les phénomènes du corps vivant sous les noms de propriétés organiques et de propriétés vitales. Cette division, sur laquelle repose encore la science d'aujourd'hui, est presque puérile. En effet, les propriétés organiques ne sont que les propriétés des tissus privés de vie, telles que le racornissement, l'extensibilité. Ces propriétés ne peuvent intéresser à aucun point de vue ni le médecin ni le physiologiste; ce qui intéresse ces derniers, c'est l'organe en puissance de vie ou la vie en puissance d'organes. Les propriétés vitales répondent à ce desideratum, et, à ce titre, cette branche de la division de Bichat est parfaitement acceptable. Il ne faut pas se dissimuler néanmoins son peu d'importance.

Il est évident que les organes vivants jouissent de propriétés générales, puisqu'ils produisent des effets que les corps privés de vie ne sauraient produire, et qu'ils possèdent des propriétés spéciales, puisqu'ils se distinguent entre eux par les effets mêmes de ces propriétés.

Il y a donc des propriétés vitales; mais cette notion, que nous enseigne-t-elle ? Quelle direction imprime-t-elle à nos recherches, à nos études? Aucune; bien plus, elle favorise par son insuffisance la confusion et l'erreur. A-t-on jamais exactement défini ce que l'on doit entendre par fonction? Non certes, et il arrive le plus souvent qu'on confond la fonction avec ce qui n'est pas elle. A-t-on analysé les divers éléments qui entrent dans une fonction? Pas davantage. Est-on parvenu à caractériser, distinguer et classer les divers mouvements de la vie? Encore moins. Et cependant est-il possible de résoudre complétement un problème physiologique si au préalable on n'a pas élucidé ces diverses notions élémentaires? D'autres peuvent le croire; mais, plus sévère envers nous-même quand nous avons abordé la physiologie du cerveau, nous n'avons pas voulu faire un pas de plus avant d'avoir comblé la lacune que les travaux de nos devanciers avaient laissée.

Nous n'avons pas à développer ici ces préliminaires

indispensables; on les trouvera d'ailleurs dans notre Physiologie du système nerveux cérébro-spinal. Nous nous bornerons à en dire ce qui est indispensable pour faire connaître le guide qui nous a inspiré dans notre étude. psychologique.

Mouvements de la vie organique. Nous ne connaissons de la vie que ses manifestations, et ces manifestations nous sont rendues sensibles par les mouvements. Par conséquent, le but essentiel du physiologiste consiste d'abord à connaître la nature de ces mouvements, à les comparer entre eux, à les distinguer, à les classer de manière à se faire l'idée la plus juste, la plus exacte, la plus scientifique des diverses manifestations vitales, et à arriver par ce moyen à caractériser le principe de vie luimême. Or, en jetant les yeux sur l'ensemble des mouvements de la vie, nous constatons que les uns sont continus absolument depuis la naissance du germe jusqu'à la mort, et que la seule condition de leur permanence et de leur durée est le contact du sang physiologique avec les tissus; nous constatons que les autres sont essentiellement intermittents et qu'ils ne peuvent se produire que sous l'influence d'un excitant spécial; nous constatons enfin que les nerfs sensitifs sont les agents de transmission de l'excitant spécial. A l'ensemble des premiers mouvements, nous avons donné le nom de mouvements de la vie organique; à l'ensemble des seconds, nous avons imposé celui de mouvements de la vie fonctionnelle.

Les mouvements de la vie organique sont ceux qui accompagnent l'action vitale des tissus sur le sang; ils ont tous pour caractère commun la continuité, et ils se distinguent entre eux par la nature du tissu qui leur fournit l'occasion de se manifester. A ce titre, il y a trois ordres de mouvements de la vie organique : 1° les mouvements qui ressortent de la chimie; 2° les mouvements qui ressortent de la mécanique; 3° les mouvements qui ressortent de la dynamique moléculaire.

Dans tous les organes, l'action vitale des tissus sur le

sang a un double résultat : 1° d'entretenir l'organe tel qu'il doit être; 2° de donner naissance à un produit spécial qui ressort par sa nature soit de la chimie, soit de la mécanique, soit de la dynamique moléculaire.

L'action vitale des tissus sur le sang et la transformation de celui-ci par les cellules en produit spécial sont un mystère pour nous : c'est la vie agissante, et nous ne connaîtrons jamais les procédés de la vie; si nous les connaissions, nous pourrions inventer la vie elle-même. Inutile donc de chercher le secret de la transformation du sang en bile, en salive, en fibre contractile, en cellule capable de percevoir ce sont choses qui sont, et nous devons nous incliner. La physiologie ne manque pas de problèmes difficiles à résoudre; ne perdons pas notre temps à la recherche de l'impossible.

Les organes, en s'entretenant et en donnant naissance à un produit spécial, vivent, mais ne fonctionnent pas. Voyons ce que l'on doit entendre par fonction.

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Mouvements de la vie fonctionnelle. Considéré comme nous venons de le faire, chaque organe de la vie est une puissance. Mais une puissance qui concentrerait ses effets en elle-même n'aurait pas sa raison d'être. Il n'en est pas ainsi dans l'organisme : quoique jouissant d'une vie individuelle propre, les organes de la vie s'influencent les uns les autres d'une manière nécessaire; ils concourent ainsi au même but, qui est la réalisation de la triple destinée de l'être vivant: vivre, se mettre en rapport avec ce qui est lui et ce qui n'est pas lui, et se reproduire. Or la part que chaque organe fournit à la masse commune et dans un but commun est précisément le résultat de sa vie organique l'un fournit la salive, l'autre la bile, l'autre une contraction, l'autre enfin une excitation ou une perception. Nous donnons aux mouvements qui accompagnent la sortie ou la manifestation au dehors des produits de la vie organique le nom de mouvements fonctionnels, parce qu'un organe ne peut remplir réellement une fonction que dans ces circonstances, c'est-à-dire lors

qu'il met les résultats de sa propre vie en rapport avec les résultats de la vie des autres organes pour produire un effet vital déterminé.

L'organe qui vit simplement de sa vie organique est bien loin d'être une puissance; il subit, au contraire, l'impression du sang; mais, lorsqu'il se débarrasse du produit de sa vie pour concourir, en dehors de lui, à l'accomplissement d'un phénomène physiologique déterminé, il ne subit plus il fournit un instrument, une puissance, et c'est pourquoi nous disons qu'alors seulement il fonctionne.

D'après ce qui précède, on comprend aisément ce que nous entendons par vie fonctionnelle c'est l'ensemble des mouvements à la faveur desquels les produits de la vie organique sont mis en rapport les uns avec les autres, afin de concourir ensemble à l'une des trois destinées de l'être vivant.

Voyons à présent les éléments qui entrent dans une fonction.

Excitant fonctionnel. - Nul organe ne fournit le produit de sa vie organique s'il n'y est sollicité par un excitant spécial: la bile ne serait pas excrétée si les substances ingérées ou une cause morbide ne venaient pas en provoquer la sortie; le muscle ne se contracterait jamais si l'excitation nerveuse n'intervenait pas; le cerveau enfin ne fournirait jamais à la fibre musculaire son excitant spécial si le mouvement impressionneur ne venait pas le réveiller.

Matière fonctionnelle. Lorsque l'excitant fonctionnel a exercé son action sur l'organe, celui-ci entre en activité et fournit ce que nous appelons la matière fonctionnelle, c'est-à-dire ce quelque chose qui sort de chaque organe pour concourir à la vie fonctionnelle générale. Cette matière est constituée par les produits de la vie organique; et comme ces produits. sont variables selon les organes, nous aurons des matières fonctionnelles variables, mais que nous pourrons diviser en trois ordres, selon que le produit de la vie or

ganique ressort des lois de la chimie, de la mécanique ou de la dynamique moléculaire. La nature essentiellement différente de ces produits exige que l'on emploie, pour les analyser, des procédés spéciaux pour chacun d'eux : les produits ressortant de la chimie, par les procédés chimiques; les produits ressortant de la mécanique, par les procédés mécaniques; et les produits ressortant de la dynamique moléculaire, par les procédés que l'on emploie dans l'étude de la chaleur, de l'électricité, et aussi par un procédé spécial que la nature même du phénomène perception nous permet d'employer ici : nous voulons parler de l'investigation de soi-même par l'attention et par la réflexion.

Mouvements fonctionnels. Mais les produits de la vie organique ne deviennent réellement matière fonctionnelle que s'ils sont transportés au dehors de l'organe pour exercer leur influence spéciale sur les autres produits de la vie organique. Ce transport, cette influence ne peuvent s'exercer qu'à la faveur de certains mouvements; c'est à ces mouvements que nous donnons le nom de mouvements fonctionnels: le produit de la vie organique du foie n'est réellement matière fonctionnelle qu'en sortant des vésicules biliaires pour se mettre en rapport avec les produits de la vie organique de l'intestin; l'aptitude des fibres musculaires à se contracter devient matière fonctionnelle lorsque, sous l'influence de l'excitant fonctionnel, la fibre musculaire se contracte et concourt par son action sur d'autres tissus à un phénomène physiologique déterminé; l'aptitude du cerveau à fournir des perceptions ne devient matière fonctionnelle que si l'excitant fonctionnel vient provoquer la transformation des perceptions en mouvements fonctionnels, c'est-à-dire en incitations motrices (1).

(1) Nous verrons plus loin que l'exercice de la pensée exige l'intervention des signes du langage répétés tacitement.

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