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brisant les entraves qui la fixent à la contemplation exclusive de la matière.

Le cerveau étant un instrument dynamique vivant et sentant, deux voies nous sont ouvertes pour diriger nos investigations: la première nous conduit à étudier l'activité cérébrale dans ses effets sur le système musculaire, et en cela nous imitons les physiciens quand ils appliquent leur attention sur les phénomènes électriques; l'autre nous conduit à étudier ce que nous sentons en nous.

Ces deux manières d'étudier le cerveau représentent ce qu'on est convenu d'appeler la méthode expérimentale et la méthode psychologique, méthodes que l'on ne saurait sans inconvénient séparer dans l'étude du sujet qui nous occupe, et que les partisans exclusifs de l'une et de l'autre ne séparent que trop. Cela tient sans doute à ce que la valeur et l'importance de chacune de ces méthodes ont été mal définies et mal appréciées.

Le psychologue, en étudiant les choses de l'esprit, ne peut que sentir qu'il sent et qu'il agit; il peut arriver par ce moyen à faire un classement utile des diverses manifestations de l'esprit humain; mais en aucun cas il ne peut expliquer le mécanisme fonctionnel des choses. dont il parle; il n'expliquera pas, par exemple, le mécanisme fonctionnel de la parole avec laquelle il pense. Ceci est l'affaire du physiologiste, qui, à ce titre, peut compléter ce qui manque au psychologue.

Le physiologiste, de son côté, peut, par les procédés qui lui sont familiers, démontrer expérimentalement les liens matériels à la faveur desquels les choses de l'esprit. reçoivent une forme stable, permanente et sensible; mais, dans ses recherches, il a besoin d'être guidé par les connaissances qui sont du ressort de la psychologie. A notre avis, le malentendu qui existe depuis longtemps entre les psychologues et les physiologistes provient de ce que les uns et les autres n'ont pas encore trouvé le terrain sur lequel, tôt ou tard, ils seront amenés à s'entendre. Ce terrain est celui de la parole consi

dérée tout à la fois dans son mécanisme fonctionnel et dans ses attributs psychologiques.

Le jour où ce terrain sera mieux apprécié des uns et des autres, les physiologistes comprendront que, en faisant intervenir la parole dans l'étude des fonctions cérébrales, ils ne font qu'employer le même procédé dont ils se servent quand ils veulent déterminer les fonctions de la moelle: pour déterminer ces dernières fonctions, ils excitent la moelle ou un nerf, et ils étudient le résultat de cette excitation dans la contraction musculaire qui en résulte. Or la parole, elle aussi, n'est autre chose qu'une contraction musculaire résultant d'une certaine excitation cérébrale. Mais, pour apprécier judicieusement la nature de cette contraction, il ne suffit pas de regarder pour voir comme dans l'expérimentation au sujet de la moelle chose de plus il faut connaître les attributs psychologiques de la parole, et fonder ses appréciations sur cette connaissance.

il faut quelque

Ces considérations sur les méthodes rivales qui se disputent encore aujourd'hui la tête de l'homme, nous permettent de déterminer les limites, jusqu'ici très-nuageuses, qui séparent la psychologie et la physiologie: à l'une, l'étude des manifestations de l'activité de l'esprit humain ; à l'autre, l'étude du mécanisme merveilleux qui donne naissance ou sert d'occasion à ces manifestations.

D'ailleurs, l'emploi simultané de ces deux méthodes est indispensable, soit dans l'étude des fonctions cérébrales, soit dans l'étude des manifestations psychiques de l'intelligence humaine.

Tous nos efforts depuis quinze ans sont consacrés au développement de cette pensée, car nous avons compris de bonne heure que la physiologie se trouve dans une impasse dont elle ne peut sortir, qu'en laissant repousser les ailes qu'elle s'était volontairement coupées.

Prétendre ne pas se servir de la méthode psychologique dans l'étude du fonctionnement du cerveau, c'était se condamner à ne jamais faire la physiologie de cet or

gane; et comme, d'un autre côté, les psychologues n'ont pas les conditions requises pour faire cette physiologie, le sujet le plus intéressant de la science de l'homme se trouvait livré indéfiniment aux définitions trompeuses ou insuffisantes du matérialisme, et aux conceptions capricieuses des systèmes psychologiques.

On comprend à présent le but que nous nous sommes proposé d'atteindre. Son utilité n'est pas douteuse; mais nous ne pouvons pas en dire autant de notre compétence. De même que les psychologues ne peuvent pas s'improviser physiologistes et étudier d'emblée le sujet le plus délicat de la physiologie, de même le physiologiste ne peut pas s'improviser psychologue.

Les méthodes, comme les instruments de musique, requièrent un long apprentissage, et, si l'on veut ne pas jouer faux, il faut pratiquer souvent,

Mais, de même que le chanteur inexpérimenté trouve dans l'accompagnement du piano un criterium fidèle de la justesse des sons, de même, dans cette étude, la connaissance de l'anatomie et de la physiologie sera pour nous la pierre de touche où nous viendrons essayer, dans les cas douteux, la justesse des idées que nous suggérera la méthode psychologique.

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Mais il ne suffit pas d'avoir un but bien défini; pour l'atteindre, il faut des moyens convenables. Quels sont nos moyens?

Nos moyens, nous les demandons à l'analyse physiologique des mouvements de la vie. Nous donnerons ici un aperçu général de cette analyse.

Et d'abord qu'est-ce que la vie?

Dans ce qu'elle a d'appréciable à nos sens, la vie est un ensemble de mouvements spéciaux s'accomplissant dans nos organes pendant un temps donné.

Et ces mouvements, quelle en est la cause? car tout mouvement a une cause. - La force qui donne l'impulsion à ces mouvements est inconnue dans son essence; mais, comme elle provoque des phénomènes qui lui sont propres et qui ne se produisent que sous son influence, nous la distinguons nécessairement de toutes les forces de la nature, et nous la désignons sous un nom spécial : force vitale ou principe vital.

Le principe vital est également répandu dans toutes les parties du corps : toute molécule est vivante.

Les organes du corps sont des agrégats matériels qui empruntent leurs propriétés, d'un côté à la matière, de l'autre au principe de vie : ce sont des agrégats matériels vivants.

Le principe de vie est le même pour tous : il n'est ni bile, ni salive, ni contraction, ni perception; il est lui, et de son action sur des agrégats matériels différents résultent des produits et des effets différents : la bile, le sang, la salive, la contraction, la perception, sont les effets divers qui résultent de l'action du principe de vie sur les divers organes.

Le principe de vie est un en dépit de la division que, de tout temps, on a cherché à établir entre le principe qui préside aux fonctions de nutrition et celui qui préside aux fonctions supérieures du système nerveux. Cette division est purement artificielle et n'a d'autre valeur que celle que notre vanité lui donne au point de vue hiérarchique des fonctions de la vie. Nous voudrions qu'il y eût en nous un principe pour nous faire penser et un autre pour nous faire manger et digérer, parce que notre esprit établit, à bon droit, une différence immense entre ces divers ordres de fonctions; mais si, laissant de côté cette question de sentiment, nous osons regarder la réalité en face, nous sommes obligé de convenir qu'un principe unique anime la ma

chine corporelle, et que les attributs de ce principe sont variables selon les organes qui manifestent son existence.

Dans ses rapports avec le cerveau, le principe de vie mérite d'être désigné sous le nom d'intelligence. L'expression esprit humain convient mieux quand on considère l'intelligence en acte.

Enfin le mot âme est plus particulièrement applicable à l'ensemble des possibilités du principe de vie. Néanmoins nous emploierons ces expressions diverses selon la convenance du moment et sans attacher une grande importance à notre choix.

Si nous jetons à présent un simple coup d'œil sur l'ensemble des phénomènes vitaux, cette analyse nous montre que les lois générales de la vie sont les mêmes pour tous les organes; elle nous montre aussi que des lois particulières régissent la vie de chaque organe en particulier. Nous concluons de là que le fonctionnement du cerveau a des points de ressemblance et des points de dissemblance avec le fonctionnement des autres organes.

Établir ces points de ressemblance et de dissemblance est déjà un premier pas vers la solution qui nous occupe. Il est évident que si je parviens à constater que, dans la vie évolutive du cerveau, le phénomène perception correspond à tel autre phénomène de la vie évolutive du foie, je ne tirerai pas sans doute de cette comparaison la notion de l'essence même du phénomène perception, mais je saurai pertinemment quel rôle il faut lui accorder dans la description de la fonction cérébrale, et ce sera beaucoup. Mais comment parvenir à établir ces points de ressemblance et de dissemblance?

Lorsque dans cette recherche j'ai jeté les yeux sur l'ensemble des phénomènes de la vie, je me suis aperçu qu'il existait une lacune, que les travaux de Bichat n'avaient pas comblée. Ce grand physiologiste, redoutant d'envisager la vie dans son ensemble de peur d'être conduit en présence d'un principe immatériel dont il ne voulait pas s'occuper, individualisa la vie dans chaque organe

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