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sensible et intelligente par essence; mais l'activité seule rend ses pouvoirs effectifs.

Ce n'est que par son activité fonctionnelle que l'âme évoque dans le souvenir les notions acquises pour les soumettre à la pierre de touche de ses perfectionnements successifs; se souvenir est dans ses aptitudes, mais, pour se souvenir quand elle le veut, il faut nécessairement qu'elle soit fonctionnellement active. Enfin ce n'est que par son activité fonctionnelle que l'âme se donne un de ses plus beaux apanages en provoquant les mouvements intelligents parmi lesquels nous trouvons les mouvements du langage.

Sans les mouvements du langage qu'elle se donne ellemême, l'âme serait un instrument intelligent, mais cet instrument serait nécessairement très-imparfait. Nous nous bornerons à dire ici que sans le langage l'homme ne penserait pas, ne raisonnerait pas, n'aurait pas la conscience intelligente, la conscience du verbe, n'aurait pas enfin la volonté raisonnée de ses actes.

La notion sensible et la notion intelligente, la mémoire, les mouvements et le langage, telles sont les activités fondamentales au moyen desquelles l'âme se fait et se constitue elle-même. A elle les attributs, la puissance; à son activité fonctionnelle, la mise en œuvre, le développement et le résultat presque divin de ses incomparables facultés. Après avoir justifié, comme nous venons de le faire, le nom d'activités fondamentales que nous appliquons à certaines activités fonctionnelles de l'âme, nous examinerons dans les chapitres suivants chacune de ces activités, et peut-être l'on appréciera mieux alors les motifs de ces nouvelles dénominations.

CHAPITRE II.

PREMIÈRE ACTIVITÉ FONDAMENTALE DE L'AME.

La notion sensible et la notion intelligente.

§ I.

DE LA NOTION SENSIBLE.

Qu'est-ce qu'une notion sensible?

Pour se faire une juste idée de cette activité fondamentale de l'âme, il faut la distinguer de ce qui lui ressemble le plus, c'est-à-dire de la perception distincte.

La perception distincte est celle qui résulte de l'attention de l'âme sur une cause impressionnante déterminée. Quand nous embrassons un paysage dans une vue générale, nous en avons une perception confuse; mais si nous reposons notre attention sur un point, la perception que nous avons de ce point est une perception distincte. Toute notion sensible est une perception distincte, mais la réciproque n'est pas vraie. Toute perception distincte n'est pas une notion sensible. Nous sommes à tout instant impressionnés par des causes dont nous ignorons les caractères distinctifs, et nous agissons malheureusement trop souvent sous l'influence de ces causes.

La notion sensible est une perception avec quelque chose de plus, et ce quelque chose de plus est un certain mode d'activité de l'âme qui transforme les perceptions en notions sensibles.

Pour transformer une perception en notion sensible, l'âme entre en activité fonctionnelle dans un but déterminé, et ce but, toujours le même, consiste à distinguer la perception destinée à devenir notion sensible de toutes les perceptions déjà connues. Tel est le but de l'activité fonctionnelle de l'âme dans l'acquisition de toute notion sensible distinguer par des caractères formels une perception de toute autre.

Tant que cette distinction n'est pas faite, la perception est une perception quelconque dont les traits s'effacent peu à peu. Dès que la distinction est établie, la perception est une notion sensible, une notion acquise et durable.

Nous remarquerons ici, qu'il ne faut pas confondre perception distincte avec perception distincte de toute autre : la première est une perception distincte en elle-même, clairement sentie; la seconde emprunte son caractère essentiel à la comparaison qui a été établie entre elle et une autre perception.

Après avoir déterminé les éléments qui constituent la notion sensible, nous pousserons plus loin notre analyse en considérant la notion sensible en elle-même; nous nous appliquerons surtout à montrer en quoi consiste la distinction établie par l'activité de l'âme dans l'acquisition d'une notion sensible.

Pour simplifier autant que possible les données du problème, nous laisserons de côté, pour le moment, les notions complexes, telles que la notion sensible d'un objet, celle d'un animal, celle d'une plante, et nous ne nous occuperons que des notions qui portent sur des perceptions élémentaires. Les notions complexes ne sont d'ailleurs que la résultante des notions sensibles comme nous le verrons bientôt.

Les perceptions élémentaires, nous les avons énumérées toutes, sont des perceptions de besoin, de plaisir, de douleur, des perceptions de couleur, de son, d'odeur, de tact, des perceptions de rapports, etc. Comment l'âme

parvient-elle à distinguer entre elles ces diverses perceptions pour en constituer des notions sensibles? On entrevoit déjà que c'est sur ce terrain difficile, et non sur celui de la connaissance complexe, que doit se dénouer le problème de la connaissance.

Nous avons déjà établi (page 75) que l'âme, en tant qu'activité sensible, ne sent qu'elle sent qu'à une condition pendant qu'elle perçoit d'une façon, elle doit se souvenir qu'elle peut percevoir d'une autre façon. L'âme qui percevrait sans cesse la couleur rouge, sans avoir jamais perçu autre chose, ne sentirait pas qu'elle perçoit cette couleur; modifiée par cette impression visuelle, elle s'identifierait entièrement avec cette modification et ne ferait qu'un avec elle. La multiplicité des impressions, -il en faut au moins deux, est donc indispensable à la conscience sensible (1). La même loi s'impose à l'activité sensible quand il s'agit d'acquérir une notion sensible.

Les perceptions élémentaires modifient l'âme de diverses manières; mais elles ne portent pas en elles des caractères formels et capables de fournir directement à l'àme les éléments de ses distinctions. L'âme qui sent une douleur, qui voit un objet, qui en odore un autre, est modifiée de diverses manières par ces impressions, mais elle serait incapable de formuler les caractères propres de ces diverses manières de sentir. Cela ne nous étonne pas d'ailleurs; le phénomène perception étant inexplicable, comme nous l'avons démontré, il serait absurde de chercher en lui des caractères qui tiennent à sa nature intime.

L'ame ne distingue pas le rouge parce qu'il est rouge, le violet parce qu'il est violet, pas plus qu'elle ne distingue la douleur parce qu'elle est douleur, et le plaisir parce qu'il est plaisir. [Non, mille fois non. L'âme est simplement modifiée d'une façon différente par ces différentes impressions, et, pour qu'elle puisse les distinguer entre

1) Voir plus loin le sens de ce mot.

elles, un élément nouveau, indispensable doit intervenir. Cet élément est le souvenir. L'âme ne distingue la couleur rouge que parce qu'elle se souvient en même temps qu'elle peut être modifiée d'une autre façon par d'autres couleurs; elle distingue la douleur par ce qu'elle se souvient de l'état de plaisir ou de l'absence de la douleur; elle distingue le résistant parce qu'elle se souvient du mou; elle distingue le désagréable parce qu'elle se souvient de l'agréable. Il suit de là que la distinction qui ca

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ractérise toute notion sensible est le résultat, non pas d'une simple perception, mais d'un jugement établi entre diverses manières de sentir.

Notre démonstration paraîtra beaucoup plus claire en raisonnant sur l'exemple suivant:

Soit une poire D impressionnant par sa couleur verte une des cellules des couches optiques B. Cette impression a pour résultat le développement d'une perception de couleur verte en B; puis le mouvement qui a provoqué la perception continue sa route à travers les fibres de l'encéphale et va émouvoir une cellule C correspondant à la

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