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et seroient cependant fort réelles, et nous en imaginerions sans fin; car, afin que vous le sachiez, Madame, l'histoire des insectes en est toute pleine. Je le crois aisément, répondit-elle : n'y eût-il que les vers à soie, qui me sont plus connus que n'étoient les abeilles, ils nous fourniroient des peuples assez surprenans, qui se métamorphoseroient de manière à n'être plus du tout les mêmes, qui ramperoient pendant une partie de leur vie, et voleroient pendant l'autre ; et que sais-je, moi? cent mille autres merveilles qui feront les différens caractères, les différentes coutumes de tous ces habitans inconnus. Mon imagination travaille sur le plan que vous m'avez donné, et je vais même jusqu'à leur composer des figures. Je ne vous les pourrois décrire; mais je vois pourtant quelque chose. Pour ces figures-là, répliquai-je, je vous conseille d'en laisser le soin aux songes que vous aurez cette nuit. Nous verrons demain s'ils vous auront bien servie, et s'ils vous auront appris com→ ment sont faits les habitans de quelque planète.

QUATRIÈME SOIR.

Particularités des Mondes de Vénus, de Mercure de Mars, de Jupiter et de Saturne.

Les songes ne furent point heureux; ils repré

sentèrent toujours quelque chose qui ressembloit à ce que l'on voit ici. J'eus lieu de reprocher à la Marquise ce que nous reprochent, à la vue de nos tableaux, de certains peuples, qui ne font jamais que des peintures bizarres et grotesques. Bon! nous disent-ils, cela est tout fait comme des hommes; il n'y a pas- là d'imagination. Il fallut donc se résoudre à ignorer les figures des habitans de toutes ces planètes, et se contenter d'en deviner ce que nous pourrions, en continuant le voyage des mondes que nous avions commencé. Nous en étions à Vénus. On est bien sûr, dis-je à la Marquise, que Vénus tourne sur elle-même; mais on ne sait bien en quel temps, pas ni par conséquent combien ses jours durent. Pour ses années, elles ne sont que de près de huit mois, puisqu'elle tourne en cè temps-là autour du soleil. Elle est grosse comme la terre, et par conséquent la terre paroît à Vénus de la même grandeur dont Vénus nous paroît. J'en suis bien aise, dit la Marquise; la terre pourra être pour Vénus l'étoile du berger et

comme Vénus l'est

la mère des amours, pour nous. Ces noms - là ne peuvent convenir qu'à une petite planète qui soit jolie, claire, brillante, et qui ait

un air galant. J'en conviens, répondis – je; mais savez-vous ce qui rend Vénus si jolie de loin? c'est qu'elle est fort affreuse de près. On a vu, avec les lunettes d'approche, que ce n'étoit qu'un amas de montagnes beaucoup plus hautes que les nôtres, fort pointues, et apparemment fort sèches; et par cette disposition, la surface d'une planète est la plus propre qu'il se puisse à renvoyer la lumière avec beaucoup d'éclat et de vivacité. Notre terre, dont la surface est fort unie auprès de celle de Vénus, et en partie couverte de mers, pourroit bien n'être pas si agréable à voir de loin. Tant pis, dit la Marquise, car ce seroit assurément un avantage et un agrément pour elle, que de présider aux amours des habitans de Vénus; ces gens-là doivent bien entendre la galanterie. Oh! sans doute, répondisje, le menu peuple de Vénus n'est composé que de Céladons et de Sylvandres, et leurs conversations, les plus communes, valent les plus belles de Clélie. Le climat est très-favorable aux amours. Vénus est plus proche que nous du soleil, et en reçoit une lumière plus vive et plus de chaleur. Elle est à-peu-près aux deux tiers de la distance du soleil à la terre.

Je vois présentement, interrompit la Marquise,

comment sont fait les habitans de Vénus; ils ressemblent aux maures grenadins, un petit peuple noir, brûlé du soleil, plein d'esprit et de feu, toujours amoureux, faisant des vers, aimant la musique, inventant tous les jours des fêtes, des danses et des tournois. Permettez-moi de vous dire Madame, répliquai-je, que vous ne connoissez guère bien les habitans de Vénus. Nos maures grenadins n'auroient été auprès d'eux que des lapons et des groënlandois pour la froideur et pour la stupidité.

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Mais que sera-ce des habitans de Mercure? Ils sont plus de deux fois plus proche du soleil que nous. Il faut qu'ils soient foux à force de vivacité. Je crois qu'ils n'ont point de mémoire, non plus que la plupart des nègres; qu'ils ne font jamais de réflexion sur rien; qu'ils n'agissent qu'à l'aventure, et par des mouvemens subits; et qu'enfin c'est dans Mercure que sont les petites - maisons de l'univers. Ils voient le soleil neuf fois plus grand que nous ne le voyons; il leur envoie une lumière si forte

que

s'ils étoient ici, ils ne prendroient nos plus beaux jours que pour de très - foibles crépuscules, et peut-être n'y pourroient-ils pas distinguer les objets; et la chaleur à laquelle ils sont accoutumés, est si excessive, que celle qu'il fait ici au fond de l'afrique, les glaceroit. Apparemment notre fer, notre argent, notre or se fondroient chez eux, et

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gens

on ne les y verroit qu'en liqueur, comme on ne voit ici ordinairement l'eau qu'en liqueur, quoiqu'en de certains temps ce soit un corps fort solide. Les de Mercure ne soupçonneroient pas que, dans un autre monde, ces liqueurs-là, qui font peut-être leurs rivières, sont des corps des plus durs l'on connoisse. Leur année n'est que de trois mois. La durée de leur jour ne nous est point connue, parce que Mercure est si petit et si proche du soleil, dans les rayons duquel il est presque toujours perdu, qu'il échappe à toute l'adresse des astronomes, et qu'on n'a pu encore avoir assez de prise sur lui pour observer le mouvement qu'il

que

doit avoir sur son centre: mais ces habitans ont

besoin qu'il achève ce tour en peu de temps; car apparemment, brûlés comme ils sont par un grand poële ardent, suspendu sur leurs têtes, ils soupirent après la nuit. Ils sont éclairés, pendant ce temps-là, de Vénus et de la terre, qui leur doivent paroître assez grandes. Pour les autres planètes, comme elles sont au-delà de la terre, vers le firmament, ils les voient plus petites que nous ne les voyons, et n'en reçoivent que bien peu de lumière.

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Je ne suis pas si touchée, dit la Marquise, de cette perte-là que font les habitans de Mercure que de l'incommodité qu'ils reçoivent de l'excès de la chaleur. Je voudrois bien que nous les sou

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