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pouvoient être habitées, à cause de l'excès, ou du chaud, ou du froid; et du temps des Romains, la carte générale de la terre n'étoit guère plus étendue que la carte de leur empire, ce qui avoit de la grandeur en un sens, et marquoit beaucoup d'ignorance en un autre. Cependant, il ne laissa pas de se trouver des hommes, et dans des pays très-chauds, et dans des pays très-froids. Voilà déja le monde augmenté; ensuite, on jugea que l'océan couvroit toute la terre, hormis ce qui étoit connu alors, et qu'il n'y avoit point d'antipodes, car on n'en avoit jamais oui parler; et puis, auroient-ils eu les pieds en haut et la tête en bas? Après ce beau raisonnement, on découvre pourtant les antipodes. Nouvelle réformation à la carte, nouvelle moitié de la terre. Vous m'entendez bien, Madame, ces antipodes-là, qu'on a trouvés contre toute espérance, devroient nous apprendre à être retenus dans nos jugemens. Le monde achèvera peut-être de se développer pour nous; on connoîtra jusqu'à la lune. Nous n'en sommes pas encore-là, parce que toute la terre n'est pas découverte, et qu'apparemment il faut que tout cela se fasse d'ordre, Quand nous aurons bien connu notre habitation, il nous sera permis de connoître celle de nos voisins les gens de la lune. Sans mentir, dit la Marquise, en me regardant attentivement, je vous trouve si profond sur cette matière, qu'il n'est pas possible que vous

ne croyez tout de bon ce que vous dites. J'en se rois bien fâché, répondis - je; je veux seulement vous faire voir qu'on peut assez bien soutenir une opinion chimérique pour embarrasser une personne d'esprit, mais non pas assez bien pour la persuader. Il n'y a que la vérité qui persuade, même sans avoir besoin de paroître avec toutes ses preuves. Elle entre si naturellement dans l'esprit, que quand on l'apprend pour la première fois, il semble qu'on ne fasse que s'en souvenir. Ah! vous me soulagez, répliqua la Marquise; votre faux raisonnement m'incommodoit, et je me sens plus en état d'aller me coucher tranquillement, si vous voulez bien que nous nous retirions.

TROISIÈME SOIR.

Particularités du Monde de la Lune. Que les autres Planètes sont habitées aussi.

LA Marquisé voulut m'engager ; pendant le jour; à poursuivre nos entretiens; mais je lui représentai que nous ne devions confier de telles rêveries qu'à la lune et aux étoiles, puisqu'aussi bien elles en étoient l'objet. Nous ne manquâmes pas à aller le soir dans le parc, qui devenoit un lieu consacré à nos conver

sations savantes.

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J'ai bien des nouvelles à vous apprendre, lui dis-je;

que

dis-je; la lune que je vous disois hier, qui, selon toutes les apparences, étoit habitée, pourroit bien ne l'être point; j'ai pensé à une chose qui met ses habitans en péril. Je ne souffrirai point cela, répondit-elle. Hier, vous m'aviez préparée à voir ces gens-là venir ici au premier jour, et aujour d'hui ils ne seroient seulement pas au monde? Vous ne vous jouerez point ainsi de moi. Vous m'avez fait croire les habitans de la lune; j'ai surmonté la peine que j'y avois; je les croirai. Vous allez bien vîte, repris - je; il faut ne donner que la moitié de son esprit aux choses de cette espèce l'on croit, et en réserver une autre moitié libre, où le contraire puisse être admis s'il en est besoin. Je ne me paie point de sentences, répliqua-t-elle; allons au fait. Ne faut-il pas raisonner de la lune comme de Saint-Denis? Non, répondis-je; la lune ne ressemble pas autant à la terre que Saint-Denis ressemble à Paris. Le soleil élève de la terre et des eaux des exhalaisons et des vapeurs, qui, montant en l'air jusqu'à quelque hauteur, s'y assemblent, et forment les nuages. Ces nuages suspendus voltigent irrégulièrement autour de notre globe, et ombragent, tantôt un pays, tantôt un autre. Qui verroir la terre de loin, remarqueroit souvent quelques changemens sur sa surface, parce qu'un grand pays, couvert par des nuages, seroit un endroit obscur, et deviendroit plus lumineux dès qu'il seroit découvert. Tome 11.

E

On verroit des taches qui changeroient de place, ou s'assembleroient diversement, ou disparoîtroient tout-à-fait. On verroit donc aussi ces mêmes changemens sur la surface de la lune, si elle avoit des nuages autour d'elle; mais tout au contraire, toutes ses taches sont fixes, ses endroits lumineux le sont toujours, et voilà le malheur. A ce compte-là, le soleil n'élève point de vapeurs ni d'exhalaisons de dessus la lune. C'est donc un corps infiniment plus dur et plus solide que notre terre, dont les parties les plus subtiles se dégagent aisément d'avec les autres, et montent en haut dès qu'elles sont mises en mouvement par la chaleur. Il faut que ce soit quelques amas de rochers et de marbres, où il ne se fait point d'évaporation d'ailleurs, elles se font si naturellement et si nécessairement où il y a des eaux, qu'il ne doit point y avoir d'eaux où il ne s'en fait point. Qui sont donc les habitans de ces rochers qui ne peuvent rien produire, et de ce pays qui n'a point d'eaux? Et quoi, s'écria-t-elle, il ne vous souvient plus que vous m'avez assuré qu'il y avoit dans la lune des mers que l'on distinguoit d'ici? Ce n'est qu'une conjecture, répondis-je ; j'en suis bien fâché. Ces endroits obscurs, qu'on prend pour des mers, ne sont peut-être que de grandes cavités. De la distance où nous sommes, il est permis de ne pas deviner tout-à-fait juste. Mais, dit-elle, cela suffirat-il pour nous faire abandonner les habitans de la

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lune? Non pas tout-à-fait, Madame, répondis-je ; nous ne nous déterminerons, ni pour eux, ni contre eux. Je vous avoue ma foiblesse, répliqua-t-elle ; je ne suis point capable d'une si parfaite détermination, j'ai besoin de croire. Fixez-moi promptement à une opinion sur les habitans de la lune; conservons-les, ou anéantissons-les pour jamais, et qu'il n'en soit plus parlé : mais conservons-les plutôt, s'il se peut ; j'ai pris pour eux une inclination que j'au rois de la peine à perdre. Je ne laisserai donc pas la lune déserte, repris-je; repeuplons-la, pour vous faire plaisir. A la vérité, puisque l'apparence des taches de la lune ne change point, on ne peut pas * croire qu'elle ait des nuages autour d'elle, qui ombragent, tantôt une partie, tantôt une autre ; mais ce n'est pas à dire qu'elle ne pousse point hors d'elle de vapeurs ni d'exhalaisons. Nos nuages, que nous voyons portés en l'air, ne sont que des exhalaisons et des vapeurs, qui, au sortir de la terre, étoient séparées en trop petites parties pour pouvoir être vues, et qui ont rencontré un peu plus haut un froid qui les a resserrées et rendues visibles, par la réunion de leurs parties; après quoi ce sont de gros nuages qui flottent en l'air, où ils sont des corps étrangers, jusqu'à ce qu'ils rétombent en pluies. Mais ces mêmes vapeurs et ces mêmes exhalaisons se tiennent quelquefois assez dispersées pour être imperceptibles, et ne se ramassent qu'en formant des rosées

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