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avoit trouvé moyen de satisfaire, par une seule réponse, à toutes sortes de questions.

Ceux qui recevoient ces oracles ambigus, prenoient volontiers la peine d'y ajuster l'événement, et se chargeoient eux-mêmes de le justifier. Souvent ce qui n'avoit eu qu'un sens dans l'intention de celui qui avoit rendu l'oracle, se trouvoit en avoir deux après l'événement; et le fourbe pouvoit se reposer sur ceux qu'il fourboit, du soin de sauver son honneur. Quand le faux prophète Alexandre répondit à Rutilien, qui lui demandoit quels précepteurs il donneroit à son fils, qu'il lui donnât Pythagore et Homère, il entendit tout simplement qu'on lui fît étudier la philosophie et les belleslettres. Le jeune homme mourut peu de jours après, et on représentoit à Rutilien que son prophète s'étoit bien mépris. Mais Rutilien trouvoit, avec beaucoup de subtilité, la mort de son fils annoncée dans l'oracle, parce qu'on lui donnoit pour précepteurs Pythagore et Homère, qui étoient morts.

CHAPITRE X VI I.

Fourberies des Oracles manifestement découvertes,

IL n'est plus question de deviner les finesses des

prêtres par des moyens qui pourroient eux-mêmes paroître trop fins : un temps a été qu'on les a découvertes de toutes parts aux yeux de toute la terre; ce fut quand la religion chrétienne triompha hautement du paganisme sous les empereurs chrétiens.

Théodoret dit que Théophile, évêque d'Alexandrie, fit voir à ceux de cette ville les statues creuses où les prêtres entroient, par des chemins cachés, pour y rendre les oracles.

Lorsque, par , par l'ordre de Constantin, on abattit le temple d'Esculape à Éges en Cilicie, on en chassa, dit Eusèbe dans la vie de cet empereur, non pas un dieu ni un démon, mais le fourbe qui avoit si long-temps imposé à la crédulité des peuples. A cela il ajoute, en général, que, dans les simulacres des dieux abattus, on n'y trouvoit rien moins que des dieux ou des démons; non pas même quelques malheureux spectres obscurs et ténébreux, mais seulement du foin et de la paille, ou des ordures, ou des os de morts. C'est de fui apprenons l'histoire de ce Théotecnus, qui consacra, dans la ville d'Antioche, une statue de Ju

que nous

piter, dieu de l'amitié, à laquelle il fit sans doute rendre des oracles, puisqu'Eusèbe dit que ce dieu avoit des prophètes. Théotecnus se mit par-là en si grand crédit, que Maximin le fit gouverneur de toute la province. Mais Lucinius étant venu à Antioche, et se doutant de l'imposture, il fit mettre à la question les prêtres et les prophètes de ce nouveau Jupiter. Ils avouèrent tout, et furent punis du dernier supplice, eux et leurs associés; et avant eux tous, Théotecnus leur maître. Le même Eusèbe nous assure encore, au 4o. liv. de la prép. évang., que de son temps le plus fameux prophète d'entre les payens et leurs théologiens les plus célèbres, dont quelques-uns mêmes étoient magistrats dans leurs villes, avoient été obligés, par les tourmens, d'expliquer en détail tout l'appareil de la fourberie des oracles. S'il s'agissoit présentement de ce que les chrétiens en ont cru, tous ces passages d'Eusèbe décideroient, ce me semble, la question. On plaçoit les démons dans un certain systême général qui servoit pour les disputes : mais quand on venoit à un point de fait particulier, on ne parloit guère d'eux; au contraire, on leur donnoit nettement l'exclusion..

Je ne crois pas qu'il puisse jamais y avoir de meilleurs témoins contre les démons que les prêtres payens; ainsi, après leurs dépositions, la chose me paroît terminée.. J'ajouterai seulement ici un chapit re

pitre sur les sorts, non pas pour en découvrir l'imposture, car cela est compris dans ce que nous avons dit sur les oracles, et de plus elle se découvre assez d'elle-même; mais pour ne pas oublier une espèce d'oracles très-fameux dans l'antiquité.

CHAPITRE XVIIL

Des Sorts.

LE sort est l'effet du hasard, et comme la dé

cision où l'oracle de la fortune; mais les sorts sont les instrumens dont on se sert pour savoir quelle est cette décision.

Les sorts étoient le plus souvent des espèces de dés, sur lesquels étoient gravés quelques caractères, ou quelques mots dont on alloit chercher l'explication dans des tables faites exprès. Les usages étoient différens sur les sorts: dans quelques temples, on les jettoit soi-même; dans d'autres, on les faisoit sortir d'une urne, d'où est venue cette manière de parler si ordinaire aux Grecs, le sort est tombé.

Ce jeu de dés étoit toujours précédé de sacrifices et de beaucoup de cérémonies. Apparemment les prêtres savoient manier les dés; mais s'ils ne vouloient pas prendre cette peine, ils n'avoient qu'à les laisser aller; ils étoient toujours maîtres de l'explication.

Tome II.

C c

Les Lacédémoniens allèrent un jour consulter les sorts de Dodone, sur quelque guerre qu'ils entreprenoient; car outre les chênes parlans, et les colombes, et les bassins, et l'oracle, il y avoit encore des sorts à Dodone. Après toutes les cérémonies faites, sur le point qu'on alloit jetter les sorts avec beaucoup de respect et de vénération, voilà un singe du roi des Molosses, qui, étant entré dans le temple, renverse les sorts et l'urne. La prêtresse, effrayée, dit aux Lacédémoniens qu'ils ne devoient pas songer à vaincre, mais seulement à se sauver; et tous les écrivains (Cicéron, liv. 2 de la devination.) assurent que jamais Lacédémone ne reçut un présage plus funeste.

Les plus célèbres entre les sorts étoient à Préneste et à Antium, deux petites villes d'Italie. A Préneste étoit la fortune, et à Antium les for→

tunes.

Les fortunes d'Antium avoient cela de remar→ quable, que c'étoient des statues qui se remuoient d'elles-mêmes, selon le témoignage de Macrobe, liv. 1, chap. 23, et dont les mouvemens différens, ou servoient de réponse, ou marquoient si l'on pouvoit consulter les sorts.

Un passage de Cicéron, au liv. 2 de la devination, où il dit que l'on consultoit les sorts de Préneste par le consentement de la fortune, peur faire croire que cette fortune savoit aussi remuer

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