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cela le consul promet en même-temps à ses soldats et la bataille et la victoire. Cependant il y eut contestation entre les gardes des poulets sur cet auspice, qu'on avoit rapporté à faux. Le bruit en vint jusqu'à Papirius, qui dit qu'on lui avoit rapporté un auspice favorable, et qu'il s'en tenoit-là; que si on ne lui avoit pas dit la vérité, c'étoit l'affaire de ceux qui prenoient les auspices, et que tout le mal devoit tomber sur leur tête. Aussi-tôt il ordonna qu'on mît ces malheureux aux premiers rangs; et avant que l'on eût encore donné le signal de la bataille, un trait partit sans que l'on sût de quel côté, et alla percer le garde des poulets, qui avoit rapporté l'auspice à faux. Dès que le consul sut cette nouvelle, il s'écria : « Les dieux sont ici présens, le criminel est puni; ils ont déchargé toute leur colère sur celui qui la méritoit : nous n'avons plus que des sujets d'espérances ». ». Aussi-tôt il fit donner le signal, et il remporta une victoire entière sur les Samnites.

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Il y a bien de l'apparence que les dieux eurent moins de part que Papirius à la mort de ce pauvre garde des poulets, et que le général en voulut tirer un sujet de rassurer les soldats que le faux auspice pouvoit avoir ébranlés. Les Romains savoient déja de ces sortes de tours dans le temps de leur plus grande simplicité.

Il faut donc avouer que nous aurions grand tort de croire les auspices ou les oracles plus miraculeux Tome II.

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que les payens ne les croyoient eux-mêmes. Si nous n'en sommes pas aussi désabusés que quelques philosophes et quelques généraux d'armées, soyons-le du moins autant que le peuple l'étoit quelquefois.

Mais tous les payens méprisoient-ils les oracles? Non, sans doute. Eh bien! quelques particuliers qui n'y ont point eu d'égard, suffisent-ils pour les décréditer entièrement? A l'autorité de ceux qui n'y croyoient pas, il ne faut qu'opposer l'autorité de ceux qui y croyoient.

Ces deux autorités ne sont pas égales. Le témoignage de ceux qui croient une chose déja établie, n'a point de force pour l'appuyer; mais le témoignage de ceux qui ne la croient pas, a de la force pour la détruire. Ceux qui croient, peuvent n'être instruits des raisons de ne point croire; mais il ne se peut guère que ceux qui ne croient point, ne soient point instruits des raisons de croire.

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C'est tout le contraire quand la chose s'établit : le témoignage de ceux qui la croient, est de soi-même plus fort que le témoignage de ceux qui ne la croient point; car naturellement ceux qui la croient, doivent l'avoir examinée, et ceux qui ne la croient point, peuvent ne l'avoir pas fait. Je ne veux pas dire que dans l'un ni dans l'autre cas, l'autorité de ceux qui croient ou ne croient point, soit de décision; je veux dire seulement, que si on n'a point d'égard aux raisons sur lesquelles les

deux partis se fondent, l'autorité des uns est tantôt. plus recevable, tantôt celle des autres. Cela vient, en général, de ce que pour quitter une opinion commune, ou pour en recevoir une nouvelle, il faut faire quelque usage de sa raison, bon ou mauvais; mais il n'est point besoin d'en faire aucun pour rejetter une opinion nouvelle, ou pour en prendre une qui est commune. Il faut des forces pour résister au torrent, mais il n'en faut point pour le suivre.

Et il n'importe sur le fait des oracles que parmi ceux qui y croyoient quelque chose de divin et de surnaturel, il se trouve des philosophes d'un grand nom, tels que les stoïciens. Quand les philosophes s'entêtent une fois d'un préjugé, ils sont plus incurables que le peuple même, parce qu'ils s'entêtent également et du préjugé et des fausses raisons dont ils le soutiennent. Les stoïciens en particulier, malgré le faste de leur secte, avoient des opinions qui font pitié. Comment n'eussent-ils pas cru aux oracles? Ils croyoient bien aux songes. Le grand Chrysippe ne retranchoit de sa créance aucun des points qui entroit dans celle de la moindre femmelette.

CHAPITRE I X.

Que les anciens Chrétiens eux-mêmes n'ont pas trop cru que les Oracles fussent rendus par les Démons.

QUOIQU'IL paroisse que les chrétiens savans des

premiers siècles aimassent assez à dire que les oracles étoient rendus par les démons, ils ne laissoient pas de reprocher souvent aux payens, qu'ils étoient joués par leurs prêtres. Il falloit que la chose fût bien vraie, puisqu'ils la publioient aux dépens de ce systême des démons, qu'ils croyoient leur être si favorable.

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songes et

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Voici comment parle Clément Alexandrin, au troisième livre des tapisseries. « Vante-nous, » veux, ces oracles pleins de folie et d'impertinence, » ceux de Claros, d'Apollon Pythien, de Didime, d'Amphilocus: tu peux encore y ajouter les au"gures, et les interprètes des et des prodiges. Fais-nous paroître aussi devant l'Apollon Pythien, ces gens qui devinoient par la farine ou par l'orge, et ceux qui ont été si estimés, parce qu'ils parloient du ventre. Que les secrets des temples » des Egyptiens, et que la nécromancie des Étrusques » demeurent dans les ténèbres; toutes ces choses » ne sont certainement que des impostures extra

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»vagantes, et de pures tromperies pareilles à celle » des jeux de dés. Les chèvres qu'on a dressées à » la devination, et les corbeaux qu'on a instruits à » rendre des oracles, ne sont, pour ainsi dire, que » les associés de ces charlatans qui fourbent tous les » hommes ».

Eusèbe, au commencement du quatrième livre de sa préparation évangélique, propose dans toute leur étendue les meilleures raisons qui soient au monde, pour prouver que tous les oracles ont pu n'être que des impostures; et ce n'est que sur ces mêmes raisons que je prétends m'appuyer dans la suite, quand je viendrai au détail des fourberies des oracles.

J'avoue cependant que, quoique Eusèbe sût si bien tout ce qui pouvoit empêcher qu'on les crût surnaturels, il n'a pas laissé de les attribuer aux démons; et il semble que l'autorité d'un homme si bien instruit des raisons des deux partis, est d'un grand préjugé pour le parti qu'il embrasse.

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Mais remarquez qu'Eusèbe, après avoir fort bien prouvé que les oracles ont pu n'être que des impostures des prêtres, assure, sans détruire ni affoiblir ces premières preuves, qu'ils ont pourtant été le plus souvent rendus par des démons. Il falloit qu'il apportât quelque oracle non suspect, et rendu dans de telles circonstances, que quoique beaucoup d'autres pussent être imputés à l'artifice des prêtres,

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