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David reproche aux payens des dieux qui ont une bouche et n'ont point de parole, et souhaite à leurs adorateurs pour toute punition, de devenir semblables à ce qu'ils adorent: mais si ces dieux eussent eu, non- seulement l'usage de la parole, mais encore la connoissance des choses futures, je ne vois pas que David eût pu faire ce reproche aux payens, ni qu'ils eussent dû être fâchés de ressembler à leurs dieux.

Quand les Saints-Pères s'emportent avec tant de raison contre le culte des idoles, ils supposent toujours qu'elles ne peuvent rien; et si elles eussent parlé, si elles eussent prédit l'avenir, il ne falloit pas attaquer avec mépris leur impuissance; il falloit désabuser les peuples du pouvoir extraordinaire qui paroissoit en elles. En effet, auroit-on eu tant de tort d'adorer ce qu'on croyoit être animé d'une vertu divine, ou tout au moins d'une vertu plus qu'humaine? Il est vrai que ces démons étoient ennemis de Dieu; mais les payens pouvoient-ils le deviner? Si les démons demandoient des cérémo

nies barbares et extravagantes, les payens les croyoient bizarres ou cruels; mais ils ne laissoient pas pour cela de les croire plus puissans que les hommes, et ils ne savoient pas que le vrai Dieu leur offroit sa protection contre eux. Ils ne se soumettoient le plus souvent à leurs dieux que comme à des ennemis redoutables, qu'il falloit appaiser à

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quelque prix que ce fût; et cette soumission et cette crainte n'étoient pas sans fondement, si en effet les démons donnoient des preuves de leur pouvoir, qui fussent au-dessus de la nature. Enfin le paganisme, ce culte si abominable aux yeux de Dieu, n'eût été qu'une erreur involontaire et excusable.

Mais, direz-vous, si les faux prêtres ont toujours trompé les peuples, le paganisme n'a été non plus qu'une simple erreur où tomboient les peuples crédules, qui, au fond, avoient dessein d'honorer un être supérieur.

La différence est bien grande. C'est aux hommes à se précautionner contre les erreurs où ils peuvent être jettés par d'autres hommes; mais ils n'ont nul moyen de se précautionner contre celles où ils seroient jettés par des génies qui sont au-dessus d'eux. Mes lumières suffisent pour examiner si une statue parle ou ne parle pas; mais du moment qu'elle parle, rien ne me peut plus désabuser de la divinité que je lui attribue. En un mot, Dieu n'est obligé, par les loix de sa bonté, qu'à me garantir des surprises dont je ne puis me garantir moimême; pour les autres, c'est à ma raison à faire son devoir.

Aussi voyons-nous que quand Dieu a permis aux démons de faire des prodiges, il les a en même temps confondus par des prodiges plus grands.

Pharaon eût pu être trompé par ses magiciens; mais Moïse étoit-là plus puissant que les magiciens de Pharaon. Jamais les démons n'ont eu tant de pouvoir, ni n'ont fait tant de choses suprenantes que du temps de Jésus-Christ et des apôtres.

Cela n'empêche pas que le paganisme n'ait toujours été appellé, avec justice, le culte des démons. Premièrement, l'idée qu'on y prend de la divinité, ne convient nullement au vrai Dieu, mais à ces génies réprouvés et éternellement malheureux.

Secondement, l'intention des payens n'étoit pas tant d'adorer le premier être, la source de tous les biens, que ces êtres mal-faisans, dont ils craignoient la colère ou le caprice. Enfin, les démons, qui ont sans contredit le pouvoir de tenter les hommes et de leur tendre des piéges, favorisoient, autant qu'il étoit en eux, l'erreur grossière des payens, et leur fermoient les yeux sur des impostures visibles. De-là vient qu'on dit que le paganisme rouloit, non pas sur les prodiges, mais sur les prestiges des démons; ce qui suppose qu'en tout ce qu'ils faisoient, il n'y avoit rien de réel ni de vrai.

Il peut être cependant que Dieu ait quelquefois permis aux démons quelques effets réels. Si cela est arrivé, Dieu avoit alors ses raisons, et elles sont toujours dignes d'un profond respect; mais à parler en général, la chose n'a point été ainsi.

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Dieu permit au diable de brûler les maisons de Job, de désoler ses pâturages, de faire mourir tous ses troupeaux, de frapper son corps de mille plaies; mais ce n'est pas à dire que le diable soit lâché sur tous ceux à qui les mêmes malheurs arrivent. On ne songe point au diable, quand il est question d'un homme malade ou ruiné. Le cas de Job est un cas particulier; on raisonne indépendamment de cela, et nos raisonnemens généraux n'excluent jamais les exceptions que la toute-puissance de Dieu peut faire à tout.

Il paroît donc que l'opinion commune, sur les oracles, ne s'accorde pas bien avec la bonté de Dieu, et qu'elle décharge le paganisme d'une bonne partie de l'extravagance, et même de l'abomination que les Saints-Pères y ont toujours trouvée. Les payens devoient dire, pour se justifier, que ce n'étoit pas merveille qu'ils eussent obéi à des génies qui animoient des statues, et faisoient tous les jours cent choses extraordinaires; et les chrétiens, pour leur ôter toute excuse, ne devoient jamais leur accorder ce point. Si toute la religion payenne n'avoit été qu'une imposture des prêtres, le christianisme profitoit de l'excès du ridicule où elle tomboit.

Aussi y a-t-il bien de l'apparence que les disputes des chrétiens et des payens étoient en cet

état, lorsque Porphyre avouoit si volontiers que les oracles étoient rendus par de mauvais démons. Ces mauvais démons lui étoient d'un double usage. Il s'en servoir, comme nous avons vu, à rendre inutiles, et même désavantageux à la religion chrétienne, les oracles dont les chrétiens prétendoient se parer; mais de plus, il rejettoit sur ces génies cruels et artificieux toute la folie et toute la barbarie

d'une infinité de sacrifices que l'on reprochoit sans

cesse aux payens.

C'est donc attaquer Porphyre jusques dans ses derniers retranchemens; et c'est prendre les vrais intérêts du christianisme, que de soutenir que les démons n'ont point été les auteurs des oracles.

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