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des hommes, qui s'étoient mis à la plus belle place de l'univers; et j'ai du plaisir à voir présentement la terre dans la foule des planètes. Bon, réponditelle, croyez-vous que la vanité des hommes s'étende jusqu'à l'astronomie? Croyez-vous m'avoir humiliée, pour m'avoir appris que la terre tourne autour du soleil? Je vous jure que je ne m'en estime pas moins. Mon Dieu, Madame, repris-je, je sais bien qu'on sera moins jaloux du rang qu'on tient dans l'univers, que de celui qu'on croit devoir tenir dans une chambre, et que la préséance de deux planètes ne sera jamais une si grande affaire que celle de deux ambassadeurs. Cependant, la même inclination, qui fait qu'on veut avoir la place la plus honorable dans une cérémonie, fait qu'un philosophe, dans un systême, se met au centre du monde, s'il peut. Il est bien aise que tout soit fait pour lui; il suppose peut-être, sans s'en appercevoir, ce principe qui le flatte, et son cœur ne laisse de s'intéresser à une affaire de pure spéculation. Franchement, répliqua-t-elle, c'est-là une calomnie que vous avez inventée contre le genre humain. On n'auroit donc jamais dû recevoir le systême de Copernic, puisqu'il est si humiliant. Aussi, repris-je, Copernic lui-même se défioit-il fort du succès de son opinion. Il fut très-long-temps à ne la vouloir pas publier. Enfin, il s'y résolut, à la prière de gens très-considérables; mais aussi, le jour qu'on lui

pas

apporta le premier exemplaire imprimé de son livre, savez-vous ce qu'il fit? il mourut. Il ne voulut point. essuyer toutes les contradictions qu'il prévoyoit, et se tira habilement d'affaire. Écoutez, dit la Marquise, il faut rendre justice à tout le monde. Il est sûr qu'on a de la peine à s'imaginer qu'on tourne autour du soleil; car enfin, on ne change point de place, et on se retrouve toujours le matin où l'on s'étoit couché le soir. Je vois, ce me semble, à votre air, que vous m'allez dire que, comme la terre toute entière marche. Assurément, interrompis-je, c'est la même chose que si vous vous endormiez dans un bateau qui allât sur la rivière, vous vous trouveriez à votre réveil dans la même place et dans la même situation, à l'égard de toutes les parties du bateau. Oui; mais répli→ qua-t-elle, voici une différence; je trouverois à mon réveil le rivage changé, et cela me feroit bien voir que mon bateau auroit changé de place. Mais il n'en va pas de même de la terre; j'y retrouve toutes choses comme je les avois laissées. Non pas, Madame, répondis-je, non pas; le rivage est changé aussi. Vous savez qu'au-delà de tous les cercles des planètes sont les étoiles fixes: voilà notre rivage. Je suis sur la terre, et la terre décrit un grand cercle autour du soleil. Je regarde au centre de ce cercle, j'y vois le soleil. S'il n'effaçoit point les étoiles, en poussant ma vue en ligne droite au-delà

du soleil, je le verrois nécessairement répondre à quelques étoiles fixes; mais je vois aisément, pendant la nuit, à quelles étoiles il a répondu le jour, et c'est exactement la même chose. Si la terre ne changeoit point de place sur le cercle où elle est, je verrois toujours le soleil répondre aux mêmes étoiles fixes; mais dès que la terre change de place, il faut que je la voie répondre à d'autres étoiles. C'est-là le rivage qui change tous les jours; et comme la terre fait son cercle en un an autour du soleil, je vois le soleil, en l'espace d'une année, répondre successir vement à diverses étoiles fixes qui composent un cercle; ce cercle s'appelle le Zodiaque. Voulez-vous que je vous fasse ici une figure sur le sable? Non, répondit-elle, je m'en passerai bien, et puis celá donneroit à mon parc un air savant que je ne veux pas qu'il ait. N'ai-je pas oui dire qu'un philosophe, qui fut jetté, par un naufrage, dans une isle qu'il ne connoissoit point, s'écria à ceux qui le suivoient, en voyant de certaines figures, des lignes et des cercles tracés sur le bord de la mer: Courage, com+ pagnons, l'isle est habitée ; voici des pas d'hommes, Vous jugez bien qu'il ne m'appartient point de faire de ces pas-là, et qu'il ne faut pas qu'on en voie ici. Il vaut mieux, en effet, répondis-je, qu'on n'y que des pas d'amans, c'est-à-dire, votre nom et vos chiffres gravés sur l'écorce des arbres par la main de vos adorateurs. Laissons-là, je vous prie,

voie

les adorateurs, reprit-elle, et parlons du soleil. J'entends bien comment nous nous imaginons qu'il décrit le cercle que nous décrivons nous-mêmes; mais ce tour ne s'acheve qu'en un an, et celui que le soleil fait tous les jours sur notre tête, comment se fait-il? Avez-vous remarqué, lui répondis-je, qu'une boule qui rouleroit sur cette allée auroit deux mouvemens? Elle iroit vers le bout de l'allée, et en même temps elle tournéroit plusieurs fois sur elle-même, en sorte que la partie de cette boule, qui est en haut, descendroit en bas, et que celle d'en bas monteroit en haut. La terre fait la même chose. Dans le temps qu'elle avance sur le cercle qu'elle décrit en un an autour du soleil, elle tourne sur elle-même en vingt-quatre heures. Ainsi, en vingt-quatre heures, chaque partie de la terre perd le soleil et le recouvre; et à mesure qu'en tournant, on va vers le côté où est le soleil, il semble qu'il s'élève; et quand on commence à s'en éloigner, en continuant le tour, il semble qu'il s'abaisse. Cela est assez plaisant, dit-elle; la terre prend tout sur soi, et le soleil ne fait rien : et quand la lune et les autres planètes, et les étoiles fixes, paroissent faire un tour sur notre tête, en vingt-quatre heures, c'est donc aussi une imagination? Imagination pure,, repris-je, qui vient de la même cause. Les planètes font seulement leurs cercles autour du soleil en des temps inégaux, selon leurs distances inégales; et celle

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que nous voyons aujourd'hui répondre à un certain
point du Zodiaque, ou de ce cercle d'étoiles fixes,
nous la voyons demain à la même heure répondre à
un autre point, tant parce qu'elle a avancé sur son
cercle, que parce que nous avons avancé sur le nôtre.
Nous marchons, et les autres planètes marchent aussi;
mais plus ou moins vîte que nous. Cela nous met
dans différens points de vue à leur égard, et nous
fait paroître dans leurs cours des bizarreries dont il
n'est pas nécessaire que je vous parle : il suffit que
vous sachiez que ce qu'il y a d'irrégulier dans les
planètes, ne vient que de la diverse manière dont
notre mouvement nous les fait rencontrer, et qu'au,
fond elles sont toutes très-réglées. Je consens qu'elles
le soient, dit la Marquise; mais je voudrois bien que
leur régularité coûtât moins à la terre. On ne l'a
guère ménagée; et pour une grosse masse aussi
pesante qu'elle est, on lui demande bien de l'agi-
lité. Mais, lui répondis-je, aimeriez – vous mieux
le soleil, et tous les autres astres, qui sont de
que
très-grands corps, fissent, en vingt-quatre heures,
autour de la terre, un tour immense? que les étoiles
fixes, qui seroient dans le plus grand cercle, parcou
russent en un jour plus de vingt-sept mille six cent
soixante fois deux cent millions de lieues? car il
faut que tout cela arrive, si la terre ne tourne pas
sur elle-même en vingt-quatre heures. En vérité, il
est bien plus raisonnable qu'elle fasse ce tour, qui

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