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THÉORIE

193

DES TOURBILLONS

CARTÉSIEN S.

SECTION PREMIÈRE.

Suppositions et idées préliminaires.

1. JE suppose le plein absolu.

2. Donc si la masse de la matière est infinie; elle ne peut changer de lieu, ou être mue toutà-la-fois; car il n'y a point d'autre espace à occuper que celui qu'elle occupe déja. Elle ne peut non plus, à proprement parler, se mouvoir toute entière circulairement; car une sphère infinie n'a point de vrai centre, ni les propriétés que nous connoissons aux sphères célestes mais la masse infinie de la matière peut être divisée en une infinité de sphères qui circuleront ; c'est-là ce qu'on appelle les Tourbillons inventés ou mis dans un nouveau jour par Descartes.

3. A plus forte raison la masse finie de la ma◄ tière pourra-t-elle être divisée en tourbillons. Nous Tome II.

N

ne connoissons, avec certitude, que certaines choses qui se passent dans notre tourbillon, auquel nous donnons le soleil pour centre. De ce centre jusqu'à Saturne, qui en est le corps visible le plus éloigné, il y a trois cent millions de lieues, et nous ne sommes nullement assurés que le tourbillon se termine à Saturne.

4. Je suppose que tous les mouvemens circulaires des planètes de notre tourbillon autour du soleil, sont exactement circulaires, quoiqu'ils ne le soient pas. Mercure est la plus excentrique de toutes à l'égard du soleil, et Vénus est la moins excentrique. La plus grande et la moindre distance de Mercure au soleil, sont entr'elles dans le rapport de 20 à 13, et les deux pareilles de Vénus dans celui de 125 à 124; d'où l'on voit que l'orbite de Vénus approche beaucoup plus d'être un cercle parfait que celle de Mercure. Entre ces deux extrêmes sont toutes les autres orbites. On peut conclure de là que la supposition de toutes les orbites exactement circulaires, n'est pas fort violente, sans compter même qu'elle ne subsistera pas toujours dans cette théorie.

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Tous les mouvemens célestes sont si unifor mes et si égaux, que depuis quatre mille ans peutêtre qu'on observe le ciel, on ne s'apperçoit pas que rien s'y démente: au contraire, ce qu'on au roit cru d'abord nouveau et irrégulier, vient dans

la suite à se lier parfaitement avec le reste. Il faut donc découvrir pour ces effets des causes qui, par leur nature, soient les plus constantes et les plus durables qu'il soit possible.

6. S'il n'y a point de vuide (1), on peut compter que tout notre tourbillon solaire n'est qu'un grand fluide; car il ne contient de corps solides que le soleil, qui ne l'est peut-être pas entièrement, six planètes principales et dix subalternes; et tout cela ensemble, comparé à la masse d'un globe qui a pour rayon trois cent millions de lieues (3), se trouvera n'être qu'un atôme : et que sera - ce si le tourbillon s'étend au-delà de Saturne.

3 7. Je ne suppose aucune attraction, mais seule ment les loix du mouvement reconnues par tous les philosophes, non que la matière une fois créée, et ayant reçu du Créateur une première impression de mouvement dans toutes ses parties, je croie qu'elle pût en un temps quelconque, et même infini, se mettre, en vertu des seules loix du mouvement, dans l'état où nous voyons aujourd'hui l'univers cela n'est non plus concevable qu'il le seroit que toutes les parties d'une pendule, détachées les unes des autres, et les parties de ces parties, à force d'être agitées toutes ensemble, vinssent enfin à s'arranger de manière qu'elles formassent une pendule régulière. Il faut que la main de l'hor loger s'applique à l'ouvrage, et que cette main soit

conduite avec beaucoup d'intelligence. Il ne fera rien que selon les loix du mouvement : mais ces loix seules n'eussent elles-mêmes ce qu'il fait pas par fera. L'application de ceci à l'univers et à son auteur, se présentera bien aisément.

que

On a dit le nombre des arrangemens que peut prendre la matière simplement agitée pendant un temps infini, étant infini, l'arrangement qu'elle prendra, avec le concours d'une intelligence, y est nécessairement compris. Mais je réponds que ces deux espèces d'arrangemens, l'un sans le concours d'une intelligence, l'autre avec ce concours, sont deux infinis différens, comme la suite infinie des nombres pairs et celle des impairs : aucun des termes de l'une ne se trouve dans l'autre.

8.

SECTION II

De la Force centrifuge.

C'EST une loi du mouvement, que dès qu'un corps est mû, ne fût-ce que par une impulsion instantanée, il continuera sans fin à se mouvoir en ligne droite, selon la direction que lui a donné d'abord la force motrice, et avec le degré de vîtesse qu'il en a reçu, à moins qu'il ne vienne à perdre son mouvement, en le communiquant à d'autres corps qu'il rencontrera, ou à changer sa direction

parce que ces mêmes corps lui en feront prendre d'autres.

9. Quand un corps par son mouvement décrit un cercle, il n'importe ici quelle en soit la cause; il se meut à chaque instant infiniment petit, selon une droite infiniment petite, qui est un des élémens ou côtés du polygone circulaire infini : il devroit donc (8) continuer à se mouvoir selon cette droite, qui alors deviendroit finie, et une tangente du cercle au point d'où le corps sera parti; mais la cause qui produit le mouvement circulaire, empêche que cela n'arrive. Le corps qui, s'il eût été abandonné à lui-même, eût suivi la direction de la première petite droite, est obligé de s'en détourner pour suivre celle d'une seconde droite; et toujours ainsi de suite : il souffre une espèce de violence qui, à chaque instant, l'empêche de s'échapper par une tangente de cercle.

10. J'appelle tendance cette espèce d'effort toujours subsistant et toujours réprimé.

11. Si le corps s'échappoit par une tangente quelconque du cercle, il continueroit son mouvement en ligne droite, selon la direction de cette tangente, et par conséquent s'éloigneroit toujours de plus en plus de ce même centre de cercle, dont auparavant il se tenoit toujours à une égale distance. Sa tendance à s'échapper s'appelle donc force centrifuge.

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