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de se répandre dans une grande étendue de terre à la fois, et que quelque fatalité lui prescrit des bornes assez étoites. Jouissons-en tandis que nous le possédons ce qu'il y a de meilleur, c'est qu'il ne se renferme pas dans les sciences et dans les spéculations séches; il s'étend avec autant de succès jusqu'aux choses d'agrément, sur lesquelles je doute qu'aucun peuple nous égale. Ce sont celles-là, Madame, auxquelles il vous appartient de vous occuper, et qui doivent composer toute votre philosophie.

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LETT TRE

Ecrite à l'auteur des Nouvelles de la République des Lettres (octobre 1699, page 386), contenant quelques objections contre les Entretiens sur la Pluralité des Mondes de FONTENELLE, contre le Systême de COPERNIC, du mouvement de la terre.

et

MONSI

ONSIEUR,

LA lecture des Entretiens sur la pluralité des Mondes, petit livre très-joli, me fit d'abord naître quelques difficultés, qui se sont depuis renouvellées par une seconde lecture du même livre. Je vous supplie de trouver bon que je vous les communique.

L'auteur, qui est un philosophe du temps, habile et poli, prend un tour ingénieux et riant; et il traite son sujet d'une manière si intelligible, qu'encore que je ne sois point mathématicien, je le compris dès la première fois, avec presqu'autant de facilité que la spirituelle marquise, qu'il y instruit de ses opinions sur le systême de Copernic.

Cependant, je trouve quelque chose dans une agréable plaisanterie que notre auteur fait, qui ne s'accorde pas, ce me semble, avec ce qu'il prétend insinuer.

Je conviens qu'il ne faut pas prendre à la rigueur ce qu'un écrivain mêle dans ses ouvrages pour égayer la matière; mais au moins je voudrois que les agrémens du discours ne fussent pas contraires au systême qu'on veut établir.

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Cet auteur, pour se faire entendre, emprunte la comparaison d'une boule, qui, en roulant, a deux mouvemens différens. « Avez-vous remarqué, dit-il à la Marquise, qu'une boule qui roule sur la terre a deux mouvemens? Elle va vers le but où » elle est envoyée, et en même-temps elle tourne » un grand nombre de fois sur elle-même, en » sorte que les parties d'en haut viennent en bas, » et celles d'en bas viennent en haut. La terre fait la même chose, continue-t-il; dans le temps qu'elle avance sur le cercle qu'elle décrit en un » an autour du soleil, elle tourne sur elle-même » en vingt-quatre heures, et chaque partie de la » terre perd le soleil et le recouvre ». Et un peu après, se formant des idées réjouissantes, il dit: Quelquefois, par exemple, je me figure que je suis suspendu en l'air, et que j'y demeure sans mouvement, pendant que la terre tourne

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» sous moi en vingt-quatre heures, et que je vois

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passer, sous mes yeux, tous ces visages différens, les uns blancs, les autres noirs, les autres

basanés, les autres olivâtres; que je vois d'abord » des chapeaux, et puis des turbans, et puis des >> têtes chevelues, et puis des têtes rases; tantôt > des villes à clochers, tantôt des villes à longues » aiguilles, qui ont des croissans, tantôt des villes » à tours de porcelaine, tantôt de grands pays qui » n'ont que des cabanes; ici, de vastes mers; là,

des déserts épouvantables; enfin, toute cette va» riété infinie qui est sur la surface de la terre.

Ainsi donc, répond la Marquise, dans le même , lieu où nous sommes à présent, je ne dis pas » dans ce parc, mais dans le même lieu à le pren» dre dans l'air, il y passe continuellement d'autres peuples qui prennent notre place, et au bout » de vingt-quatre heures nous y revenons. Copernic, reprend l'auteur, ne le comprendroit pas

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» mieux ».

Je ne sais si je me trompe; mais je comprends que si Copernic comprenoit ainsi son systême, il falloit qu'il se figurât la terre tournant, sans bouger de son lieu, comme la meule d'un émouleur tourne sous ses yeux, et dont il voit successivement toutes les parties de la circonférence, sans que cette meule change pourtant de place, quelque nombre de tours qu'elle puisse faire; et ainsi la comparaison

Tome 11.

L

de la boule qui roule, et qui a deux mouvemens, ne seroit pas bonne. Il ne faut être, ni philosophe, ni mathématicien pour le prouver : il suffit de faire rouler une boule dans un lieu couvert. On reconnoît au même instant, que si quelqu'un étoit monté sur une poutre, directement au-dessus de l'endroit où la boule commence à rouler, elle s'éloigneroit tout aussi-tôt en roulant, et ne rouleroit pas sous cet homme en approchant du but. Supposé donc qu'on eût suspendu un ciron en l'air, et qu'il y demeurât sans mouvement, à une telle distance, que lorsque la boule roulante seroit directement au-dessous du ciron, il pût voir et distinguer les objets, comme, par exemple, d'autres cirons, ou de petits grains de sable qui seroient sur la surface de la boule, il ne les verroit que pendant un moment; car comme une vue de ciron n'est pas fort longue, puisque, selon toutes les apparences, elle est proportionnée à la petitesse de son corps, il perdroit incontinent de vue la boule qui s'éloigneroit de lui dès le premier moment.

De même si la terre, que les mathématiciens nous assurent avoir environ neuf mille lieues de four, roule comme une boule, en avançant sur un cercle qu'elle décrit en un an autour du soleil, et si elle fait un tour sur elle-même en vingt-quatre heures, ce qui pourroit bien tre, il faudroit néces

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