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entretiens, dont je veux vous faire part. Je vous les diviserai par Soirs, parce qu'effectivement nous n'eûmes de ces entretiens que les soirs.

PREMIER SOI R.

Que la Terre est une Planète qui tourne sur elle-même et autour du Soleil.

NOUS

ous allâmes donc un soir, après souper, nous promener dans le parc. Il faisoit un frais délicieux, qui nous récompensoit d'une journée fort chaude, que nous avions essuyée. La lune étoit levée il y avoit peut-être une heure, et ses rayons, qui ne venoient à nous qu'entre les branches des arbres, faisoient un agréable mêlange d'un blanc fort vif, avec tout ce verd qui paroissoit noir. Il n'y avoit pas un nuage qui dérobât ou qui obscurcît la moindre étoile, elles étoient toutes d'un or pur et éclatant, et qui étoit encore relevé par le fond bleu où elles sont attachées. Ce spectacle me fit rêver, et peut-être, sans la Marquise, eussé-je rêvé assez long-temps; mais la présence d'une si aimable dame ne me permit pas de m'abandonner à la lune et aux étoiles. Ne trouvez-vous pas, lui dis-je, que le jour même n'est pas si beau qu'une belle nuit? Oui, me répondit - elle, la beauté du jour est comme une beauté blonde, qui a plus de brillant; mais la beauté

de la nuit est une beauté brune, qui est plus tou chante. Vous êtes bien généreuse, repris - je, de donner cet avantage aux brunes, vous qui ne l'êtes pas. Il est pourtant vrai que le jour est ce qu'il y a de plus beau dans la nature, et que les héroïnes de Roman, qui sont ce qu'il y a de plus beau dans l'imagination, sont presque toujours blondes. Ce n'est rien que la beauté, répliqua-t-elle, si elle ne touche. Avouez que le jour ne vous eût jamais jetté dans une rêverie aussi douce que celle où je vous ai vu prêt de tomber tout-à-l'heure à la vue de cette belle nuit. J'en conviens, répondis-je; mais en récompense, une blonde comme vous me feroit en-, core mieux rêver que la plus belle nuit du monde, avec toute sa beauté brune. Quand cela seroit vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterois pas. Je voudrois que le jour, puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, fit aussi le même effet. Pourquoi les amans, qui sont bons juges de ce qui touche, ne s'adressent-ils jamais qu'à la nuit, dans toutes les chansons et dans toutes les élégies que je connois ?: Il faut bien que la nuit ait leurs remercîmens, lui dis-je; mais, reprit-elle, elle a aussi toutes leurs plaintes. Le jour ne s'attire point leurs confidences: d'où cela vient-il? C'est apparemment, répondis-je, qu'il n'inspire point je ne sais quoi de triste et de passionné. Il semble, pendant la nuit, que tout soit en repos. On s'imagine que les étoiles marchent

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avec plus de silence que le soleil; les objets que le ciel présente sont plus doux; la vue s'y arrête plus aisément; enfin, on rêve mieux, parce qu'on se flatte d'être alors, dans toute la nature, la seule personne occupée à rêver. Peut-être aussi que le spectacle du jour est trop uniforme; ce n'est qu'un soleil et une voûte bleue; mais il se peut que la vue de toutes ces étoiles, semées confusément, et dis posées au hasard en mille figures différentes, favorise la rêverie, et un certain désordre de pensées où l'on ne tombe point sans plaisir. J'ai toujours senti ce que vous me dites, reprit-elle ; j'aime les étoiles, et je me plaindrois volontiers du soleil qui nous les efface. Ah! m'écriai-je, je ne puis lui pardonner de me faire perdre de vue tous ces mondes. Qu'appellez-vous tous ces mondes, me dit-elle, en me regardant, et en se tournant vers moi? Je vous demande pardon, répondis-je; vous m'avez mis sur ma folie, et aussi-tôt mon imagination s'est échappée. Quelle est donc cette folie, reprit-elle ? Hélas ! répliquai-je, je suis bien fâché qu'il faille vous l'avouer. Je me suis mis dans la tête que chaque étoile pourroit bien être un monde. Je ne jurerois pourtant pas que cela fût vrai; mais je le tiens pour vrai, parce qu'il me fait plaisir à croire. C'est une idée qui me plaît, et qui s'est placée dans mon esprit d'une manière riante. Selon moi, il n'y a pas jusqu'aux vérités à qui l'agrément ne soit nécessaire.

Et bien, reprit-elle, puisque votre folie est si agréable, donnez-la moi; je croirai, sur les étoiles, tout ce que vous voudrez, pourvu que j'y trouve du plaisir. Ah! Madame, répondis-je bien vîte, ce n'est pas un plaisir comme celui que vous auriez à une comédie de Molière; c'en est un qui est je ne sais où dans la raison, et qui ne fait rire que l'esprit. Quoi donc, reprit-elle, croyez-vous qu'on soit incapable des plaisirs qui ne sont que dans la raison? Je veux, tout-à-l'heure, vous faire voir le contraire. Apprenez-moi vos étoiles. Non, répliquai-je, il ne me sera point reproché que dans un bois, à dix heures du soir, j'aie parlé de philosophie à la plus aimable personne que je connoisse. Cherchez ailleurs vos philosophes.

J'eus beau me défendre encore quelque temps sur ce ton-là, il fallut céder. Je lui fis du moins promettre, pour mon honneur, qu'elle garderoit le secret; et quand je fus hors d'état de m'en pouvoir dédire, et que je voulus parler, je vis que je ne savois par où commencer mon discours; car avec une personne comme elle, qui ne savoit rien en matière de physique, il falloit prendre les choses de bien loin, pour lui prouver que la terre pouvoit être une planète, et les planètes autant de terres, et toutes les étoiles autant de soleils qui éclairoient des mondes. J'en revenois toujours à lui dire qu'il auroit mieux valu s'entretenir de bagatelles,

comme

comme toutes personnes raisonnables auroient fait en notre place. A la fin cependant, pour lui donner une idée générale de la philosophie, voici par où je

commençai.

Toute la philosophie, lui dis-je, n'est fondée que sur deux choses, sur ce qu'on a l'esprit curieux et les yeux mauvais; car si vous aviez les yeux meilleurs que vous ne les avez, vous verriez bien si les étoiles sont des soleils qui éclairent autant de mondes, ou si elles n'en sont pas; et si, d'un autre côté, vous étiez moins curieuse, vous ne vous soucieriez pas de le savoir, ce qui reviendroit au même : mais on veut savoir plus qu'on ne voit; c'est-là la difficulté. Encore si ce qu'on voit on le voyoit bien, ce seroit toujours autant de connu; mais on le voit tout autrement qu'il n'est. Ainsi, les vrais philosophes passent leur vie à ne point croire ce qu'ils voient', et à tâcher de deviner ce qu'ils ne voient point 5 et cette condition n'est pas, ce me semble, trop à envier. Sur cela, je me figure toujours que la nature est un grand spectacle, qui ressemble à celui de l'opéra. Du lieu où vous êtes à l'opéra, vous ne voyez pas le théâtre tout-à-fait comme il est : on a disposé les décorations et les machines pour faire de loin un effet agréable, et on cache à votre vue ces roues et ces contrepoids qui font tous les mouvemens. Aussi ne vous embarrassez-vous guère de deviner comment tout cela joue. Il n'y a peut

Tome 11.

B

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