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et c'est pour devenir encore plus européenne qu'elle veut arriver à Constantinople. Serrer l'Europe sur sa poitrine par la Pologne et avancer ses deux bras l'un dans la Baltique, l'autre dans la Médi– terranée, voilà le travail de sa politique séculaire. Elle suit en cela une de ces lois fatales de l'histoire qui attirent les peuples nouveaux vers la civilisation. Vous qui dites que la question d'Orient est une question anglaise, regardez la carte: il est douteux que Constantinople soit la route de l'Inde, mais il est sûr que Constantinople est la clé de la Méditerranée. Entre Constantinople et Calcutta, vous verrez des déserts immenses, d'inaccessibles montagnes et tout un continent à traverser par les défilés les plus difficiles, gardés par les plus belliqueuses nations. Entre Constantinople et l'Italie, et l'Afrique et nos propres rivages, il n'y a que la plus attrayante et la plus facile des mers. La question de la prééminence en Asie ne peut se vider qu'en Europe; pour menacer l'Angleterre dans l'Inde, il faudra que la Russie l'ait vaincue en Europe, et pour la vaincre qu'elle ait fait de nous ses satellites. Ceux d'ailleurs qui voient dans l'Inde toute la fortune de l'Angleterre ignorent autant le génie anglais qu'ils méconnaissent l'ambition russe et qu'ils font bon marché des destinées françaises. Si l'Angleterre était attaquée dans l'Inde, il lui resterait, à elle nation insulaire, dans les mers du monde qu'elle peuple de ses colonies avec une fécondité gigantesque, il lui resterait une sphère d'expansion indéfinie. Si la Russie arrivait à Constantinople, nous, au contraire, nation continentale, qui devons aujourd'hui notre influence en Europe autant au principe émancipateur dont nous portons le drapeau qu'à notre position géographique, nous rencontrerions en face de nous le principe le plus contraire au nôtre, fortifié par un agrandissement de puissance irrésistible; nous n'aurions plus à choisir qu'entre une honteuse vassalité ou une lutte aussi terrible que le heurt de deux religions et de deux civilisations.

Si donc l'intérêt de la France lui commande d'empêcher l'établissement de la Russie à Constantinople, la plus simple prévoyance lui faisait une loi de s'opposer à la concession du protectorat des Grecs que voulait avoir la Russie. Ajourner une difficulté pareille par faiblesse, c'eût été la léguer plus terrible, et peut-être insurmontable, à l'avenir. Du reste, la témérité de la Russie et son mauvais vouloir contre nous ne nous ont pas laissé la faculté d'hésiter. Il ne nous a pas été permis, on l'a vu, en présence de cette question, de discuter s'il nous convenait de nous y engager, de quelle façon nous y entrerions, et avec quels alliés. Nous n'avons eu à nous mettre à la remorque d'aucune autre puissance. Nous avons été directement et personnellement pris à partie. Les projets de la Russie menaçaient

les intérêts généraux de l'Europe aussi bien que les nôtres; mais l'empereur Nicolas a espéré tromper l'Europe, en rejetant sur nous la responsabilité de ses ambitieux calculs. Pour que la question ne parût point européenne, il a d'abord essayé de la faire française. Il est venu nous chercher à propos des lieux-saints une injuste chicane dans laquelle il a cru pouvoir envelopper et faire passer inaperçue sa colossale entreprise contre la Turquie. La France ne pouvait donc point ne pas regarder comme sienne cette querelle. Cette conduite lui a, grâce à Dieu, réussi, et, par un juste retour, les défiances que la Russie excitait contre nous se sont dirigées contre elle, et c'est contre elle que s'est formé le concert européen dont elle avait voulu nous exclure.

Dans cet heureux revirement, plus trompée d'abord que les autres puissances, l'Angleterre s'est ralliée la première à nous avec une loyauté, une énergie et un ensemble dont la France doit lui être reconnaissante (1). Toute sa conduite dans cette affaire prouve la sincérité des efforts pacifiques de l'Europe. Les hommes d'état qui sont aujourd'hui au pouvoir en Angleterre avaient fait de la paix, depuis plusieurs années, la base de leur politique. C'est par la paix et pour la paix qu'ils tentaient et continuaient ces grandes expériences économiques qui augmentaient chaque jour l'élasticité de l'industrie anglaise et la prospérité des revenus publics. La paix, on peut le dire, était à la fois leur politique, leur carrière, leur ambition, leur gloire. Ce gouvernement avait pour chef le plus respecté des anciens amis de sir Robert Peel et le plus conciliant des diplomates européens. Jamais cabinet n'avait donc offert plus de gage de ses dispositions pacifiques. On l'a vu toujours prêt à toutes les concessions honorables et se préoccupant même de ménager autant que possible l'amour-propre de l'empereur de Russie. Il n'a pas craint de compromettre dans son pays sa popularité et son existence par la persistance de ses efforts et de ses espérances pacifiques. Quand donc un tel gouvernement s'est vu obligé d'accepter successivement toutes les mesures de précaution et de fermeté dont la France a pris l'initiative, quand un premier ministre comme lord Aberdeen et un ministre des affaires

(1) Nous avons montré, pièces en main, les tentatives faites d'abord par la Russie auprès de l'Angleterre pour empêcher l'alliance des deux puissances maritimes. Si le gouvernement français avait publié toutes les correspondances diplomatiques, il est probable que nous y verrions la contre-partie de ce jeu. Nous savons que le gouvernement russe a fait des efforts pour nous détacher de l'Angleterre. Nous pourrions citer le nom de la petite cour allemande où M. de Nesselrode avait essayé de nouer une intrigue dans ce sens, en faisant faire des ouvertures par l'envoyé russe auprès de cette cour au chargé d'affaires français.

étrangères comme lord Clarendon en sont venus à désespérer de la paix et à se préparer à la guerre, il faut bien avouer qu'il y a en Europe une seule volonté opposée à la paix, celle de l'empereur de Russie.

En exprimant cette conclusion, nous ne voulons point sortir, visà-vis de l'empereur Nicolas, de la modération que nous avons observée dans le cours de ce récit. Le dénigrement serait une petitesse envers un tel adversaire, et l'invective est indigne de la gravité des circonstances. L'avouerai-je? on ne peut se défendre d'une certaine compassion pour l'homme, quand on songe à la situation où s'est placé le souverain. Il y a vraiment quelque chose de tragique dans la crise qui va commencer pour la Russie. L'empereur Nicolas a toujours eu pour son pays de grandes et nobles ambitions; il avait toujours cherché, et il avait souvent réussi à exercer une prépondérance politique dans les affaires de l'Europe; il rêvait plus peut-être. Qui sait, quand il alla prier à Rome au tombeau des apôtres, s'il ne crut pas entrevoir dans l'avenir de bien autres triomphes pour l'église orthodoxe que ceux qu'il chargeait, il y a un an, le prince Menchikof de poursuivre à Constantinople? Eh bien! aujourd'hui l'œuvre de son règne s'écroule, et cette Europe, qu'il voulait pénétrer dans tous les sens, se ferme à lui de tous côtés et le cerne et l'isole dans son vaste empire. En Turquie, ses ancêtres lui avaient légué, avec la tradition de leurs ambitions, une influence qu'il avait lui-même accrue et qu'on croyait inébranlable. Aujourd'hui, soit que l'empereur Nicolas cède à l'Europe ou qu'il lui résiste, cette influence est également perdue. Quel échec et quelle douleur pour un cœur aussi fier que celui de l'empereur Nicolas! Vers la fin de ces négociations, M. de Nesselrode se plaignait un jour à l'ambassadeur anglais de ce qu'il appelait la partialité des cabinets européens contre la Russie. « C'est un parti pris, disait-il, de trouver mal tout ce que nous faisons. Attaqués de tous côtés, si nous prenons la parole pour nous défendre, on veut nous fermer la bouche. La Russie a toujours tort, la Porte a toujours raison. » Il s'attira cette réponse méritée de sir Hamilton Seymour: « Votre excellence doit se rappeler qu'à l'origine de cette affaire le gouvernement anglais a regardé la Russie comme seule blâmable, attendu que vous émettiez des exigences et que vous adoptiez des mesures violentes pour lesquelles vous ne fournissiez aucune raison. Ayant eu tort au commencement, chaque pas que vous avez fait dans la même voie vous a donné des torts nouveaux (1). » La situation actuelle doit renvoyer plus cruellement

(1) Sir Hamilton Seymour to the carl of Clarendon. Corresp., part 1, no 293.

ce reproche à l'empereur de Russie. Le refrain éternel de M. de Nesselrode à tous les momens de la négociation: « l'empereur ne peut plus reculer, son honneur est engagé, » n'est point une excuse. Pour une question d'amour-propre se croire forcé de mettre l'Europe en feu et de faire reculer la marche de son pays d'un demi-siècle! si cela était vrai, quel argument contre l'autocratie! Et qui le fournirait? Ce serait l'empereur Nicolas lui-même, lui le superbe contempteur de ces institutions libérales qui associent les peuples à leur gouvernement, et leur permettent d'échapper aux conséquences du caprice ou de l'entêtement d'un souverain.

Il nous est donc permis d'espérer, en finissant, que cette unanimité qui s'est faite si heureusement en Europe contre les desseins de la Russie existe, à l'heure qu'il est, complétement en France. La Russie a tout blessé parmi nous: le sentiment religieux, en nous disputant avec une jalousie de sectaire la place que nous réclamions pour les catholiques romains auprès du tombeau du Christ; le sentiment libéral, dont elle représente en Europe la négation la plus exclusive et la plus absolue; les intérêts matériels, dont ses exigences et son attitude ont brusquement refoulé l'essor; l'esprit de conservation, qu'elle compromet sur le continent tout entier par la plus égoïste et la moins légitime des ambitions. Devant cet ensemble d'intérêts nationaux lésés par la politique russe, et sous le jour qui montre à tous la position que la Russie a faite à la France, les dissentimens de partis et les préférences de système doivent disparaître. Nos cœurs, je le sais, seront tous dans cette guerre avec nos marins et avec nos soldats : ce n'est point assez; il faut qu'une conviction unanime les accompagne, la conviction qu'ils vont combattre pour une querelle française et pour le bon droit. En formant ce væu, je suis bien sûr d'ètre l'écho de ces esprits libéraux qui, parmi les fidélités dont ils ont le culte, ont toujours placé en première ligne la fidélité à l'intérêt et à l'honneur de la France.

EUGENE FORCADE.

SCIENCES

DE L'ARROSEMENT DU GLOBE.

Ingenti motu stupefactus aquarum. (VIRGILE.)
Etonne du mouvement immense des eaux.

Και σφιν διος ομβρος αέξει. (HOMÉRE.)
Les plantes croissent par la pluie du ciel.

La chaleur et l'humidité, ou plus poétiquement le feu et l'eau, voilà la fertilité. Cette fertilité pour les plantes se traduit immédiatement en populations d'espèces animales, en passant des animaux qui se nourrissent de végétaux à ceux qui se nourrissent d'autres animaux. Dans les races supérieures, tout le monde connaît les herbivores et les carnassiers; c'est donc en définitive la production des végétaux qui est la base et le régulateur de la vie sur toute la terre. Depuis le petit nombre de siècles où l'homme civilisé a parcouru la terre entière, il a pu, aidé de la vaste science qui porte aujourd'hui le nom de météorologie, jeter un coup d'œil sur l'ensemble des phénomènes que la nature déploie sur ce grand théâtre, et souvent même l'art a pu aider la nature dans les localités où l'espèce humaine, assez forte par sa population, par ses lumières, par ses travaux, par ses machines, n'était pas réduite à l'impuissance de la faiblesse ou à celle de l'ignorance. Comme il est toujours bon de définir par énumération, je rappellerai au lecteur que la météorologie de notre globe avait été déjà esquissée en partie dans les diverses branches des sciences d'observation qui portaient les noms de géographie physique, de physique du globe, de connaissance des climats, de statistique. des productions du globe, sans compter les divisions de l'économie politique, de la botanique, de la zoologie, de la géologie, de la physique, de la chimie, de la mécanique, qui avaient pour objet la vie et l'espace sur la surface de notre terre.

En circonscrivant aujourd'hui ces notions générales et en se renfermant dans le cadre déjà bien étendu de l'arrosement ou irrigation superficielle de

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